Une lumière dans les ténèbres - Chapitre I - La rencontre

                                                                                        

722 de l’ère moderne

L’obscurité l’avait accompagné depuis des siècles. Une gêne dans son bras droit lui donna envie de le détendre mais les chaînes le maintenaient immobile et Ardyn grogna de frustration. Combien de temps s’était-il écoulé depuis ? Le regard vide, il leva la tête pour observer les faibles lueurs d’une lumière qui commençait à décroître, son unique spectacle depuis que plus aucun mortel n’était réapparu devant lui. Ses longs cheveux lui obstruaient la vue mais il arrivait tout de même à percevoir quelques rayons.

« C’est ici ! » entendit-il soudainement.

Il tenta de secouer la tête pensant avoir imaginé cette voix qui provenait de l’extérieur de la prison mais les chaînes le firent grimacer et l’empêchèrent de poursuivre ce mouvement.

« Bien, allons-y. »

Une autre voix, différente de la première cette fois. Puis les faisceaux lumineux d’un éclairage superficiel vinrent l’aveugler et il eut toute la peine du monde à détecter le nombre de mortels s’étant engouffrés dans sa prison de pierre.

Il faisait sombre mais Ardyn put entrevoir certains détails. Leur tenue était étrange et leur visage camouflé par un casque ne lui permit pas de voir à quoi ils ressemblaient. Sauf l’un d’entre eux. Un jeune homme blond aux yeux clairs, peut-être bleus ou verts, qui l’observait d’un air fasciné, comme s’il était une bête curieuse. Il souriait mais son sourire dérangea Ardyn car il était empreint de cette malice qu’ont les hommes assoiffés de pouvoir.

Image

« Quel endroit sordide ! Alors, c’est donc lui. » déclara le blond en s’adressant à l’un de ses hommes et qui semblait être le chef. « Il ne ressemble pas à l’homme que j’imaginais dans mon esprit. Bien moins impressionnant ! »

Il s’avança et détailla Ardyn de la tête aux pieds.

« Nous allons te libérer de ta prison mais avant cela, je dois obtenir ta parole que tu nous suivras bien gentiment et que tu ne tenteras rien contre nous. »

Le regard ambré d’Ardyn ne cessait de fixer l’individu qui le prenait de haut. Comment était-il au courant de son existence et comment ces étrangers avaient-ils pu parvenir jusqu’ici ? L’île d’Angelgard était normalement tenue sous bonne garde non seulement par les Dieux mais aussi par les sbires des Luciens. Il était vrai que depuis quelques années, il avait senti que l’atmosphère du lieu avait changé. Que se passait-il à l’extérieur ? Afin de le savoir, il devrait faire profil bas et se mettre ce mortel prétentieux dans la poche. Il aurait facilement pu tous les éliminer une fois privé de ses entraves mais il avait l’intime conviction qu’il valait mieux pour lui de faire preuve d’un maximum de prudence.

« Bien… » dit-il simplement au jeune homme blond qui attendait sa réponse.

« Parfait. J’ai entendu dire que tu étais un homme de parole et mon instinct me dicte que nous allons faire de grandes choses ensemble mon cher Ardyn Izunia. » s’exclama-t-il puis il se tourna de nouveau vers son second. « Ou devrions-nous t’appeler Ardyn Lucis Caelum ? »

Le prisonnier arqua un sourcil, interloqué. Son traître de frère avait-il échoué à l’effacer de l’Histoire comme il le lui avait promis ? Non, le connaissant, c’était peu probable mais il le découvrirait bien assez tôt.

« Non. Simplement Ardyn Izunia. »

Le perpétuel sourire de Verstael se mua en un rictus sarcastique « Hmm, je comprends oui. Comment avoir envie de porter le nom de ceux qui t’ont exilé ? » lui demanda-t-il. « Mon nom est Verstael Besithia, éminent chef de la recherche scientifique de l’Empire de Niflheim. » se présenta-t-il avec arrogance puis il fit un geste de la main dans la direction de son second. « Edoran, tu peux y aller. »

Le soldat en question s’approcha d’Ardyn sans aucune peur ni hésitation et lui enleva ses chaînes sans difficulté. Il se pencha discrètement et pendant qu’il permettait à Ardyn d’accéder peu à peu à sa liberté, lui chuchota respectueusement à l’oreille « Bon retour, votre Majesté… »

Son travail effectué, le soldat se mit aussitôt en retrait pour laisser de l’espace à l’homme dont les cheveux violets qui avaient poussés durant ces longs siècles d’emprisonnement, étaient négligemment attachés. Les membres enfin libres, Ardyn les étira et serra les poings, jouissant de cette mobilité retrouvée.

« Sortons d’ici, nous discuterons plus longuement une fois à Graléa. » lança Verstael, impatient.

Ardyn ne connaissait pas ce nom et lorsqu’il se retrouva à l’extérieur de la prison, il réalisa alors à quel point le monde avait changé. Le temps avait suivi son cours, le monde n’était plus celui qu’il avait connu et il se sentit alors complètement déphasé de la réalité. Son expression faciale évolua subitement et il ricana pour lui-même.

« Verstael, regarde… » interpella le subordonné qui l’avait libéré et qui se trouvait toujours à l’intérieur de la prison.

« Qu’est-ce donc ? » exigea de savoir ce dernier en regardant ce que le soldat lui montrait.

« J’aimerais les prendre avec moi. Cela me fera un petit souvenir ! » s’exclama exagérément l’homme aux cheveux violets.

L’ensemble de l’unité eut un frisson d’effroi et les hommes se mirent à chuchoter entre eux.

« Silence ! » s’écria Verstael. « Donnez-lui de quoi les ranger. »

Ils obtempérèrent et quittèrent ensuite la prison, accompagné d’Ardyn qui marchait d’un pas mal assuré. Il lui faudrait un peu de temps pour rééduquer ses jambes même si son corps n’avait pas réellement changé.

o-o-o-o

« Est-ce là la tenue que vous souhaitez porter ? » demanda un homme au look excentrique.

« C’est exact. » répondit Ardyn calmement.

« Mais, c’est un style en dehors de notre époque, je n’avais jamais vu ça avant ! De plus, vous allez mourir de chaud sous toute cette couche de vêtements ! » se plaignit l’homme qui était un tailleur de renom.

« Peu importe. Vous m’avez demandé ce que je souhaitais. C’est chose faite. »

« Bon…d’accord. L’Empereur a exigé qu’on vous confectionne ce que vous désiriez donc je n’ai pas mon mot à dire à ce sujet. Mais euh…vous ne voulez pas autre chose monsieur ? »

« Je n’ai besoin de rien d’autre. Faites m’en plusieurs identiques. »

« Bien…L’Empereur souhaite néanmoins que vous portiez ces accessoires sur votre tenue officielle. »

Le tailleur lui présenta plusieurs décorations métalliques stylisées, des broches symbolisant l’Empire plus précisément. Ardyn n’était à Graléa que depuis quelques jours seulement mais il avait déjà mémorisé les lieux et avait compris que la technologie de Solheim n’était plus usitée à cette époque et que la nation souhaitait la développer. Le pays avait déjà pu trouver quelques reliques du passé mais les chercheurs avaient bien du mal à en comprendre le fonctionnement. L’Empereur Iedolas Aldercapt avait pour ambition de retrouver cette gloire passée et il avait entrepris une politique expansionniste. Il n’avait pas fallu longtemps à Ardyn pour comprendre les raisons de sa libération. L’Empire souhaitait profiter de ses innombrables connaissances en la matière.

« Vos effets seront prêts d’ici une semaine monsieur. On m’a informé que Verstael Besithia vous attendait dans son bureau. »

Ardyn remercia nonchalamment le tailleur d’un geste élégant et se rendit là où il était attendu. Le scientifique était assis à son fauteuil et l’invita à prendre un siège en ayant du mal à cacher son excitation.

« Je vais aller droit au but Ardyn Izunia. » commença-t-il. « Tu n’es pas sans savoir que nous sommes en guerre contre le Lucis. Mais avant cela, les Luciens t’ont condamné à l’exil sur cette île…où tu es resté prisonnier pendant près de deux mille ans. »

Enfin. Il savait enfin combien de temps il était resté emprisonné à Angelgard. Il n’avait pas pu avoir accès à cette information en arrivant, jugeant qu’il se devait de rester discret mais à présent, il savait. Deux mille ans avec pour seule compagnie les ténèbres, qui ne l’avaient pas quitté depuis ce jour fatidique. L’Empire avait eu vent de son incarcération. Comment, il l’ignorait. Cela lui importait peu en réalité car il n’avait qu’un objectif en tête : rencontrer le Roi de cette époque, le confronter et lui révéler son existence. Le Lucis l’avait effacé de l’Histoire ? Il le forcerait à ne plus l’oublier.

o-o-o-o

05 avril 756 de l’ère moderne, Altissia.

« Je peux venir travailler demain sans problème, monsieur Richards. »

Sur le pas de la porte d’une boutique, une femme brune aux yeux verts saluait un vieil homme qui semblait être son employeur.

« Très bien. Je te garderai le livre que tu m’as demandé ma petite Mi-Hann. »

Elle s’inclina, reconnaissante.

« À demain, monsieur. »

« À demain, ma petite. »

Elle sourit intérieurement. Malgré ses trente trois ans, l’homme continuait à la traiter comme la petite fille curieuse qui s’était présentée à sa boutique pour la première fois il y a des années. Sa journée de travail terminée, la jeune femme se promena un peu en ville pour profiter de l’air marin de la belle cité et elle n’était pas pressée de rentrer chez elle. Du moins, jusqu’à la tombée de la nuit.

Mais alors que Mi-Hann abordait la rue proche de l’Hôtel Leville, un des établissements les plus prestigieux de la ville, elle s’arrêta net, n’en croyant pas ses yeux. Cet homme aux cheveux violets qui se trouvait presque face à elle au beau milieu de la rue d’Altissia, elle l’avait vu dans un des vieux ouvrages que sa famille gardait précieusement depuis des générations. Elle se frotta les yeux, pensant avoir rêvé mais il était bien réel. Cet homme ressemblait énormément au sauveur de ses ancêtres malades. Sans lui, elle n’aurait jamais pu voir le jour.

Il était encore plus charismatique que sur l’illustration des livres qui le représentait chevauchant fièrement un Chocobo noir et saluant la foule. C’est alors qu’il se retourna, se sentant épié et s’approcha lentement de la jeune femme.

« Eh bien, eh bien, qu’avons-nous là ? »

« Je… » 

Il plongea ses iris ambrés dans ceux de la femme qui l’observait intensément et se sentit extrêmement mal à l’aise.

« Ces yeux sont… fort dérangeants. »

« Pardonnez-moi mais vous ressemblez beaucoup à une figure de l’Histoire du Lucis, répondit-elle en baissant timidement les yeux. Je ne voulais pas vous manquer de respect en vous fixant de la sorte. »

« Intéressant… »

Il se planta devant elle, la regardant droit dans les yeux. Elle rougit devant la beauté de ses iris couleur soleil. Il sourit narquoisement, effectua un geste devant son visage, la jeune femme se sentit soudainement très fatiguée et elle s’évanouit. Lorsqu’elle se réveilla, elle ne comprit pas tout de suite ce qu’il lui arrivait. Elle se trouvait dans un grand appartement et couchée sur un lit. Mi-Hann avait été enlevée et était maintenant prisonnière. Pourquoi l’avait-il kidnappée ? Pensait-il qu’elle pouvait être d’une quelconque menace ? Pourtant, elle n’avait aucun pouvoir particulier, c’était une femme comme les autres. Elle avait de longs cheveux bruns ondulés, de jolis yeux verts et des lèvres légèrement rouges. Elle entendit du bruit et la porte s’ouvrit alors, laissant apparaître son ravisseur.

« Oh, tu es déjà réveillée ? Parfait. Nous allons pouvoir débuter notre petit interrogatoire. »

Ardyn s’approcha du lit et se pencha au-dessus de la jeune femme qui frémit. La pointe de ses cheveux violets lui caressait les joues tant son visage était proche du sien. Il la dévisageait à son tour.

« Dis-moi donc, pourquoi me regardais-tu de la sorte à Altissia ? Tu as prononcé quelque chose d’intéressant donc je suis tout ouïe ma chère ! » 

Mi-Hann avala sa salive. À vrai dire, cela n’était pas tant ses mots qui la perturbaient mais la proximité de l’homme. Elle frissonna lorsque ses doigts effleurèrent par inadvertance ses lèvres pour se saisir ensuite de son menton.

« Parle ! » fit-il plus fermement.

« V…vous m’êtes familier. Vous ressemblez trait pour trait à sa Majesté Ardyn Lucis Caelum ! »

À l’évocation de son nom, ce dernier arqua un sourcil.

« Il y a bien longtemps qu’on ne m’avait pas appelé de la sorte. Mais qui es-tu donc ? »

La jolie brune se redressa alors avec difficulté quand elle saisit à qui elle avait affaire.

« Alors c’est bien vous ?! Je le savais. Dès que je vous ai vu, j’ai su que vous étiez le héros dont parlent les livres de ma famille. » 

Ardyn laissa échapper un rire mais reprit rapidement son sérieux.

« Les livres ? Quels livres ? Ne dis pas de sottises. Comme tu n’es pas supposée le savoir, j’ai été effacé de l’Histoire et… » 

« Non, c’est faux ! C’est d’ailleurs pour cette raison que la plupart de mes ancêtres ont dû fuir, ils ont refusé d’obéir et de brûler nos ouvrages. Malheureusement, ils n’ont réussi à sauver qu’une poignée de livres, qu’ils ont confié à leur descendance jusqu’à ce qu’un seul d’entre eux finisse entre mes mains. Cependant, il s’agit du plus important d’entre eux. » 

« Quel est ton nom ? » demanda Ardyn froidement.

« Mi-Hann Grants mais mon nom d’origine est Kurena. » répondit-elle.

« Kurena… » murmura l’homme aux yeux ambrés dont les doutes s’étaient évaporés à l’énonciation de ce nom.

L’homme se caressa le menton, il n’avait pas quitté la jeune femme des yeux.

« Très bien, je te crois. »

« …?... »

« Cependant, tu ne vas pas pouvoir partir d’ici. » 

« Oh…Vais-je devoir rester enfermée dans cette chambre ? » 

L’attitude de sa captive déstabilisa quelque peu Ardyn.

« N’es-tu pas effrayée ? » la questionna-t-il surpris.

« Non pourquoi ? Vous n’allez pas me faire de mal, vous êtes quelqu’un de b… »

Il l’empêcha de terminer sa phrase en posant vivement son index sur la bouche de la brune. Cette dernière écarquilla les yeux, prise de stupeur.

« Je te conseille de ne pas terminer ce que tu étais en train de dire. La personne dont tu parles n’existe pas et il serait fâcheux pour toi que tu me mettes en colère. » Ses yeux se firent plus sombres. « Je ne suis pas l’individu décrit dans ton satané bouquin. » 

Et alors qu’il parlait, son regard s’attarda sur le vert de ses yeux qui l’avaient incité à l’emmener avec lui et ne montraient aucune peur. Il n’avait plus agi sans réfléchir depuis sa sortie d’Angelgard, toutes ses actions étaient minutieusement calculées mais cette fois, il avait agi par instinct à Altissia. Cette femme éveillait en lui une émotion oubliée. Ses yeux d’un vert émeraude qui l’imploreraient sûrement de la laisser partir à un moment ou à un autre, ne quittaient pas les siens et accentuaient encore plus cette sensation étrange. Cela le dérangeait fortement. Il desserra légèrement sa prise sur sa mâchoire afin de permettre à la jeune femme de parler.

« Je n’ai jamais eu l’intention de m’en aller. Je souhaite demeurer auprès de mon Roi. Je vous servirai du mieux que je pourrais, je saurai me rendre utile et je… » 

Elle ne put terminer sa phrase, interrompue par la lourdeur de l’atmosphère ambiante. Les mots moururent dans sa gorge dès lors qu’elle s’aperçut que le regard de l’homme avait changé. Elle sut qu’en cet instant, elle n’existait plus car ses yeux ne reflétaient que le vide et elle sut qu’elle ne devait pas poursuivre sa requête. Elle le voyait l’observer de manière complètement détachée, comme si elle était devenue transparente et il avait l’air d’être perdu dans ses pensées.

La jeune femme continuait de le fixer sans dire un mot, s’attendant probablement à ce qu’il s’exprime enfin. Il se remit alors à la regarder, révélant de nouveau son intérêt à son égard et l’étrange sensation qu’il ressentait à chaque fois que ses iris se perdaient dans le vert si particulier de ses yeux. Le doute qui s’était insinué en lui à Altissia ne l’avait pas trompé mais qu’allait-il faire d’elle à présent ?

« Je repasserai plus tard… » appuya l’homme aux yeux ambrés, dans un sourire qui était tout sauf sincère. « Pour l’heure, je dois m’absenter. Tu trouveras de quoi manger ici et de quoi te changer, tu n’as qu’à te servir. »

Alors qu’il allait quitter la pièce, il se retourna une dernière fois.

« Et n’oublie pas, ne t’avise pas de t’enfuir où je ne serai pas aussi courtois la prochaine fois. » dit-il en accompagnant sa menace d’un rictus.  

 

                                              

 

Son ravisseur parti, Mi-Hann s’empressa de se faire couler un bain et se glissa dans l’eau chaude. Ce n’était pas ainsi qu’elle avait imaginé sa rencontre avec le héros dont l’honneur avait été bafoué. Il était comme dénué de sentiments. Elle ne savait que trop bien ce qu’il lui était arrivé, du moins, en partie car elle ignorait ce que 2000 ans pouvaient bien infliger au psychisme d’une personne. Seulement, ce que tous avaient oublié, elle, avait refusé d’oublier. Ses lectures s’étaient profondément ancrées en elle. La peste des étoiles, son sacrifice pour sauver la population, la corruption daemonique, la trahison et le rejet, son immense solitude. La jeune femme prit conscience de son arrogance. Il avait raison, elle ne savait rien, elle ne pouvait pas comprendre mais elle le voulait, du plus profond de son être.

Après son bain, la brune se mit à chercher un vêtement pour cacher sa nudité car elle avait mis sa robe à sécher après l’avoir lavée. Elle ne trouva que des effets d’homme, trop grands pour elle. Ardyn se vêtait avec beaucoup de goût, sa penderie était pleine de longs manteaux, de vestes, de chemises, de foulards et de chapeaux fedora. Un peignoir à motifs floraux attira son attention. Certes il était trop large mais il ferait l’affaire. Elle serra le cordon et fut satisfaite du résultat. Mi-Hann visita la chambre, c’était une pièce qui ressemblait plus à un salon qu’à une chambre tant elle était vaste. Un canapé et des fauteuils dans un coin, une bibliothèque de l’autre, une table et quelques chaises, un piano dans le fond, quelques plantes, des tapis et le lit sur lequel elle s’était éveillée, décoraient cet espace privé. Elle trouva du papier vierge et de quoi écrire et se mit à dessiner. Elle adorait ça, depuis l’enfance. Pratiquer cet art la détendait et elle en avait bien besoin, il fallait penser à autre chose qu’à ce qu’il s’était passé quelques heures plus tôt.

o-o-o-o

« Il va sans dire que si nous la lâchons sur la cité en plus de nos soldats Magitek et de nos autres daemons, notre victoire est assurée ! » s’exclama Verstael, gonflé d’orgueil.  

« Penses-tu maîtriser la situation ? » demanda l’Empereur perplexe.

« Bien sûr votre Majesté ! Ne vous l’ai-je pas prouvé avec la défaite de la Glacéenne ? » 

« Hmm…Nous avons tout de même perdu plus de la moitié de notre armée. »

« La victoire mérite bien quelques sacrifices votre grandeur. » s’exclama Ardyn en théâtralisant sa gestuelle. « Mais soyez rassuré ! Notre but premier n’en sera que plus accompli ! »

« Le Cristal… » murmura Iedolas, empreint de convoitise. « La pierre sacrée nous apportera tous ses bienfaits… »

« Bien sûr ! La gloire d’Insomnia sera votre ! »

L’Empereur se leva, mettant un terme à la réunion.

« Très bien. Nous allons suivre ce plan et le mettre à exécution. »

« Les Luciens ne se douteront de rien. » ricana Verstael. 

« Même s’ils soupçonnent quoique ce soit, ils ne pourront pas refuser. Ils sont déjà au pied du mur sans mauvais jeu de mots. » ironisa Ardyn qui était Chancelier impérial. « Je me rendrai en personne à Insomnia en tant que légat exposer les conditions de ce Traité. »

« Je vais organiser une réception afin de fêter l’aboutissement du projet « Arme de Diamant » et accorder de nouveaux fonds au professeur Besithia pour poursuivre ses recherches. »

« Votre Majesté, vous me faites trop d’honneur… » remercia le scientifique.

« Je compte sur toi pour continuer à lui apporter tes lumières, Ardyn. »

« Cela va de soit votre Grandeur. » acquiesça l’homme en exécutant une révérence.

« Par ailleurs…Amène ton invitée à cette soirée. » ajouta le monarque âgé. « Nous manquerons cruellement de présence féminine. »

Son manque de prudence avait attisé la curiosité de l’Empereur. Qui que ce soit qui l’avait vu amener cette femme à Zegnautus, en avait parlé à Iedolas.

« Une femme ? » s’interrogea Verstael qui vit alors Iedolas hocher lentement de la tête. « Je ne t’ai jamais vu avec une femme depuis que je te connais. C’est curieux ! »

« Ce n’est que…temporaire…mais vos désirs sont des ordres… »

Quittant la salle de réunion, Ardyn se mordit la lèvre inférieure, frustré par son manque de vigilance qui lui avait fait commettre une erreur, la première depuis son arrivée au sein de l’Empire. D’autant plus qu’il n’avait échangé que quelques mots avec elle donc l’idée d’exposer cette étrangère aux yeux de tous ne l’enchantait guère. Il s’agissait d’une soirée en petit comité qui se tiendrait à la fin de la semaine. De ce fait, seul le gratin du gouvernement serait présent et il se devait de ne pas trop attirer l’attention sur lui.

Le Chancelier rejoint ses appartements et s’aperçut que la femme s’était déjà mise à l’aise malgré sa situation. Elle n’avait pas l’air d’être perturbée par son enlèvement car il la trouva en train de lire tranquillement assise sur un de ses fauteuils. Lorsqu’elle le vit, elle le salua avec un sourire doux et sincère.

« Vous avez des livres absolument formidables. Certains d’entre eux sont difficilement trouvables de nos jours, je suis impressionnée ! » s’exclama-t-elle en se levant pour lui montrer un vieil exemplaire d’un ouvrage historique. « Celui-ci par exemple, comment vous l’êtes-vous procuré ? Je pensais qu’il avait disparu des bibliothèques… »

Ardyn arqua un sourcil, l’air intrigué. Elle n’était pas censée connaître l’origine de ce livre qui datait de plusieurs siècles à moins d’évoluer dans ce milieu.

« En effet, je possède le tout dernier exemplaire. »

Elle le regardait avec des yeux empreints d’admiration et de fascination, loin de la manière dont on le regardait habituellement. C’était plutôt le genre d’expression que les gens affichaient à l’époque où il…Ardyn balaya cette pensée désagréable de son esprit aussitôt.

« Tu vas devoir m’accompagner à une réception vendredi soir. Je ferai venir quelqu’un pour te confectionner quelque chose de plus présentable. » dit-il en désignant le peignoir trop grand pour elle qui révélait parfois une de ses épaules l’obligeant à le remettre en place sans cesse.

« Allez-vous me dire pourquoi vous m’avez amenée ici ? » lui demanda-t-elle tout en rangeant le livre là où elle l’avait trouvé.

Elle avait eu l’air de prendre le temps de la réflexion avant de lui poser la question.

« Es-tu vraiment en position de t’enquérir de quoique ce soit ? »

« Eh bien, il me semble que j’ai le droit de savoir oui. » répondit-elle sans se départir de son assurance. « Je ne dirai rien sur ce que je sais si c’est ce qui vous inquiète… »

Ardyn s’approcha d’elle et elle frémit. Encore une fois, ce n’était pas de la peur mais c’était en rapport avec sa proximité, ça, il en était convaincu.

« Et dis-moi donc Mi-Hann, que sais-tu ? »

La femme aux longs cheveux bruns le fixa intensément comme pour essayer de lire en lui. Il s’en amusa car c’était peine perdue, il avait acquis une parfaite maîtrise de lui-même.

« Je possède un certain journal et je sais que vous avez connu son auteur. Vous étiez même très proches. »

Il devait au moins reconnaître que cette femme ne manquait pas d’audace. Ardyn fit un pas vers elle, suffisamment grand pour l’obliger à reculer et elle se retrouva alors contre le mur du salon. Ses yeux vert émeraude toujours plongés dans ses iris soleil tentaient de deviner les intentions de l’homme qui se penchait à son oreille pour lui répondre. Une odeur s’engouffra dans ses narines, l’odeur de cette femme, l’odeur de sa peau, une odeur légèrement fruitée et enivrante, perturbante, dérangeante qui le poussa à se redresser pour s’en libérer. Même son odeur était pleine d’irrévérence.

Le parfum d’Ardyn surprit Mi-Hann. Inédit, particulier et peu courant. Il sentait la fève tonka avec juste la dose idéale d’épice et d’amande amère. L’effet était envoutant, chaud et rompait complètement avec l’habituelle odeur des effluves masculines se voulant viriles et fortes. Cette fragrance particulière était en contradiction avec l’attitude surjouée de cet homme charismatique à la stature imposante. Elle se baissa pour passer sous son avant-bras après qu’il ait posé sa main sur le mur à quelques centimètres de sa tête et elle agit comme si de rien n’était.

« Où est ce journal ? » demanda-t-il en lui tournant le dos.

« Chez moi, à Altissia. Gardé secret. »

Ardyn fit un demi-tour sur lui-même en levant son bras gauche à mi-hauteur et enfonçant le poing droit sur ses hanches. Cela lui donnait un air théâtral un peu exagéré qui empêchait de deviner ses intentions. Elle ne put s’empêcher de le trouver captivant dans sa façon d’être alors même qu’elle devinait qu’il n’était pas sincère dans sa démarche. Il devait probablement agir ainsi avec tout le monde.

« Quel dommage que je ne retourne pas dans cette ville avant un moment ! Je meurs d’envie d’en savoir plus à ce sujet. Enfin, c’est une façon de parler bien-sûr ! »

L’immortalité. Un sujet sûrement délicat à aborder avec cet homme. Elle décida de changer de sujet.

« Que devrais-je faire lors de cette réception ? »

« Oh, tu sais, les choses habituelles que font les gens du beau monde ! » expliqua-t-il tout en se frottant légèrement le cuir chevelu. « La règle des trois S chez les femmes de la haute société : saluer, sourire, séduire. Enfin, tu vois quoi ! »

« Je ne fais pas ça. » rétorqua Mi-Hann en croisant les bras. « Chez moi, ce serait plus les trois S de la communication. »

Il esquissa un demi-sourire amusé.

« Simplicité, sincérité, silence. » cita-t-il.

« Exactement. »

« Je remarque que tu ne respectes pas souvent le dernier point. » se moqua l’homme aux cheveux violets.

Elle se mit à rire et il ne s’attendit pas à cette réaction.

« Non c’est vrai. Je voulais surtout dire que j’aimais écouter les autres mais aucun mot en s ne m’est venu sur le moment. J’ai bien compris que le mot d’ordre était la discrétion. »

La jeune femme se dirigea près des immenses fenêtres du salon qui couvraient presque tout le mur. De là où elle était, elle pouvait voir distinctement l’extérieur et avait une vue d’ensemble de la cité.

« Quelle ville sinistre… » murmura-t-elle. « Elle s’est ultra modernisée mais elle manque d’identité. Ce n’était pas comme ça avant… »

« Et que reproches-tu à cette grande cité ? »

« Graléa est dénuée de vie. J’aime la nature et je trouve qu’elle mériterait d’être embellie. Il n’y a rien de plus agréable pour moi que de sentir le vent porter les odeurs des arbres fleurissant au printemps. »

« L’Empereur vante régulièrement la beauté d’Insomnia. » déclara Ardyn en se plaçant aux côtés de la jolie brune. « Même si je doute fortement qu’il fasse allusion à son paysage ! »

« Oui, j’imagine qu’il est admiratif de son mur et de son cristal. »

Il la fixa aussitôt, intrigué par ce qu’elle venait de dire. Ses mots sonnaient presque comme un reproche et elle avait attisé son intérêt.

« Hmmm j’ai bien l’impression que quelque chose te gêne ? »

Mi-Hann observait à présent le ciel gris, annonciateur d’une pluie à venir.

« Comment ne pas l’être quand on sait toute l’injustice que sa présence a engendré ? » dit-elle sans le regarder, comme si elle se parlait à elle-même. « Les cadeaux des Dieux sont parfois empoisonnés… »

Il arqua un sourcil, surpris et commença à détailler les traits du visage de la jeune femme alors qu’elle était redevenue silencieuse. Elle ne lui ressemblait pas vraiment mais l’éclat de ses yeux était quant à lui, identique et ses cheveux, longs et ondulés, aussi noirs de jais qu’avaient pu être les siens. Il n’avait plus de doute à avoir : elle faisait bien partie de sa famille. Cependant, la ressemblance s’arrêtait là car les traits de Mi-Hann étaient tout ce qu’il y avait de plus féminin. Le regard de l’homme descendit ensuite sur sa gorge puis sur son sternum, attiré par le soulèvement de sa poitrine provoqué par le rythme régulier de sa respiration. Une vague de chaleur s’empara soudainement de lui.

« Quand êtes-vous sorti d’Angelgard ? » demanda Mi-Hann ce qui eut pour effet de le ramener à la réalité. « Était-ce longtemps avant votre nomination en tant que Chancelier ? »

« La curiosité est un vilain défaut. »

Sans un mot de plus, Ardyn s’éloigna et termina la soirée à travailler dans son coin. Du moins, c’est ce qui sembla à la jeune femme. Une pile de livres posés négligemment sur son bureau qu’il ouvrait de temps à autre comme pour rechercher une information, l’homme rédigeait quelque chose sur du papier et une certaine quantité de feuilles finit par se former sur le meuble en bois brun sur lequel il était attablé. Il leva les yeux, interrompant momentanément son activité pour s’adresser à la jolie brune, lui indiquer qu’il travaillerait une bonne partie de la nuit et lui signifier qu’elle pouvait prendre le lit pour passer la nuit. Cependant, il s’aperçut qu’elle s’était déjà installée sur le canapé du salon et qu’elle s’était endormie. Il haussa les épaules et s’attela de nouveau à sa tâche.

o-o-o-o

Le tailleur impérial se présenta aux appartements d’Ardyn afin de prendre les mesures de la femme mystérieuse qui entretenait les rumeurs les plus folles au sein de la Cour impériale. Tous se demandaient à quoi pouvait bien ressembler la créature qui avait su attiser la convoitise du secret Ardyn Izunia.

« Madame, bonjour ! » salua l’homme avec respect. « Laissez-moi me présenter : Jandelaine, tailleur réputé de la Cour, à votre service. »

« Bonjour Monsieur, je suis enchantée. » répliqua Mi-Hann avec la même déférence.

Les yeux de l’artisan se remplirent de mille étoiles dès lors qu’ils se posèrent sur la morphologie de la jolie brune, en sous-vêtements au beau milieu de la salle de bain pendant qu’Ardyn attendait à côté.

« Merveilleux, merveilleux ! » murmurait-il comme possédé.

Il tournait autour d’elle, étirait son mètre pour mesurer divers paramètres qu’il était le seul à pouvoir comprendre et parlait dans sa barbe.

« Oui ! Je visualise tout à fait ! Oh…ma plus grande œuvre…Oui ! »

Mal à l’aise devant l’air scrutateur de l’individu, Mi-Hann se laissait néanmoins faire, tournée dans tous les sens et manipulée comme une poupée de chiffon. Au bout d’un moment qui lui sembla une éternité, le tailleur s’arrêta visiblement satisfait et nota toutes ses observations sur un petit carnet.

« Voilà pour le tissu…oui celui-ci sera parfait…ensuite il faut…cette couleur serait bien…non plus cet accessoire… » marmonnait-il. « Bien, Madame. J’ai tout ce qu’il me faut, je viendrai vous l’apporter vendredi dans l’après-midi. »

« Mais ça ira ? Cela ne vous laisse pas beaucoup de temps, n’en faites pas trop, je ne voudrais pas que vous vous tuiez à la tâche… » s’inquiéta-t-elle.

Emu par l’empathie dont sa cliente faisait preuve à son égard, ce qui n’était pas du tout habituel chez les personnes pour qui il travaillait habituellement, Jandelaine essuya ses yeux mouillés par l’émotion avec un mouchoir en soie brodé.

« Vous êtes un ange dans cette jungle impitoyable ! »

« Monsieur, voyons. Vous exagérez… »

« Pas du tout ! Vous savez, les gens de la haute société sont rarement affables. La plupart du temps, ils exigent et traitent les personnes de rang inférieur comme des moins que rien. Enfin…, ils ne sont pas tous comme cela bien-sûr. Monsieur Izunia est plutôt agréable en comparaison… »

« Ah oui ? » fit-elle intéressée.

« Oui ! C’est un homme courtois et poli. Je ne l’ai jamais vu se montrer désagréable avec qui que ce soit. Si seulement il pouvait me demander de lui confectionner une autre tenue ! Ahhhh je serais le plus heureux des artisans ! »

Son apparence était le reflet de ce qu’il dégageait : secrète. La jeune femme avait la conviction qu’il tentait de se dissimuler sous tous ces vêtements afin de ne laisser à personne l’occasion de découvrir son vrai lui. Son épaisse carapace ne se fissurerait pas de sitôt mais elle ne s’en plaignait pas et ne forcerait pas les choses.

Comme prévu, le tailleur fit porter la tenue pour la soirée. C’était une robe de cocktail en dentelle et en mousseline noire, cintrée à la taille et dont les manches mi longues étaient transparentes et ne laissaient apparaître que des motifs floraux à l’image de ceux qu’arboraient le Chancelier sur les drapés en tissu gris qu’il portait de part et d’autre de son col. Légèrement décolletée et découvrant ses épaules, la robe laissait apparaître la naissance de la poitrine ce qui accentuait la féminité sans pour autant la rendre vulgaire. Le rendu était d’une élégance et d’un raffinement sans commune mesure. Mi-Hann enfila la robe et commença à remonter la fermeture éclair qui se bloqua à la moitié de son dos, prise dans le tissu du vêtement. Elle réussit à libérer le zip et réitéra son geste, plus délicatement cette fois.

« Evidemment… » se plaignit-elle en s’apercevant que le problème venait d’elle.

Elle n’arrivait pas à atteindre la glissière pour la remonter jusqu’en haut et leva les yeux vers Ardyn qui s’affairait un peu plus loin. Lui demandait-elle de l’aider ? Elle trépignait sur place, hésitante.

« Votre Majesté ? » appela-t-elle finalement au bout d’un moment.

« Hmm ? » répondit-il sans lever la tête de ce qu’il faisait.

« Est-ce que vous…pouvez m’aider s’il vous plait ? »

Il daigna enfin lui accorder son attention.

« Il me semble qu’on apprend à s’habiller seul dès l’enfance. » se moqua-t-il.

« Eh bien, on dirait que je n’ai pas réussi à dépasser ce stade. » répliqua-t-elle sans se vexer pour autant.

L’homme se leva et se plaça devant elle. Elle lui tourna le dos pour lui donner l’accès à la fermeture éclair.

« Merci infiniment. Il aurait été inconvenant que je me présente à la réception de cette façon. »

Alors qu’il allait rétorquer que la situation aurait pu être distrayante, son regard fut attiré par la peau nue du dos de la jeune femme et notamment, par sa chute de reins vertigineuse. Le pic de chaleur refit son apparition tandis qu’il détaillait le corps de Mi-Hann et il sentit son rythme cardiaque s’accélérer. L’homme s’empressa de remonter la fermeture pour se soustraire rapidement de cette situation dérangeante.

L’heure de la soirée approcha et l’homme aux cheveux violets indiqua à la jolie brune de le suivre. Ils quittèrent les appartements et s’engagèrent dans les longs couloirs blancs de la forteresse de Zegnautus jusqu’à accéder à un ascenseur qui semblait personnel.

« Inutile de te rappeler de te faire discrète et d’éviter de mentionner tes origines. » déclara Ardyn en pénétrant dans l’élévateur.

« Je sais. Je salue et je souris. » rétorqua la jeune femme sans ajouter la séduction à ses paroles.

« Certes mais le but est de ne rien faire qui pourrait les irriter. »

« D’accord. »

Arrivés à l’étage correspondant, il lui tendit son bras qu’elle saisit doucement sans se faire prier. Ce simple contact sans arrière-pensée la rendit heureuse. Mi-Hann inspira longuement et se fondit dans son rôle.

C’était une petite réception mais il y avait un monde fou et la plupart des invités étaient âgés. Ils devaient faire partie du gouvernement et les proches de ceux-ci devaient y être mêlés. Il y avait très peu de femmes et presque aucune de l’âge de la jolie brune qui se retrouva un peu incommodée car ces dernières n’avaient pas raté l’entrée de l’inconnue insolemment agrippée au bras du célèbre Ardyn Izunia. Un vieil homme aux cheveux blancs et à la tenue officielle s’approcha d’eux et dévisagea la jeune femme sans aucune retenue. Mi-Hann reconnut aussitôt l’Empereur et le salua d’une révérence des plus élégantes.

« Charmante. » dit-il simplement. « Ardyn, vous comptiez nous cacher une telle splendeur ! »

« Votre Majesté, ce n’était aucunement mon intention ! Mais comment faire de l’ombre à votre rayonnante présence, c’est impossible. Même le plus beau des joyaux parait terne en comparaison ! » flattait-il.

Ses louanges étaient totalement exagérées et Mi-Hann le ressentit dès son premier flot de paroles. Or, l’Empereur y était très sensible et ce qui aurait sûrement mit n’importe quelle autre personne mal à l’aise fonctionnait parfaitement sur le monarque. Ardyn l’avait probablement compris depuis longtemps.

« Comment avance le plan ? » demanda le vieil homme d’un air qui se voulut subitement grave.

« Très bien, votre Majesté. N’ayez-crainte ! Tout se déroule comme prévu. »

La jeune femme tiqua. C’est probablement sur ça qu’il passait ses journées. 

Un serveur se présenta, un plateau de flûtes de champagne à la main. Iedolas prit deux coupes et en tendit une à la jolie brune.

« Comment vous appelez-vous très chère ? »

« Mi-Hann votre Altesse Impériale. » répondit-elle en saisissant le verre avec grâce.

« Ardyn ne nous a pas vraiment habitué à cela. C’était à se demander si le travail n’était pas son unique intérêt ! »

« Oh mais je vous affirme qu’il passe ses journées à œuvrer pour l’Empire ! » déclara Mi-Hann en clôturant sa phrase par un gloussement typique des femmes de la haute société. Se donner un air simple à la limite de la naïveté était un bon moyen d’éviter d’éveiller la moindre suspicion à son égard.

L’Empereur eut l’air d’apprécier et le premier verre d’alcool commença à faire son effet puisqu’il eut l’air aussitôt bien plus détendu qu’au départ.

« Ma chère, accompagnez-moi ! » dit-il d’un ton qui ne laissait aucune place au doute. Sa réplique ressemblait plus à un ordre qu’à une demande et Mi-Hann ne se fit pas prier pour obéir en lui offrant son plus beau sourire. « Ardyn, je vous l’emprunte. Vous n’y voyez pas d’inconvénient n’est-ce pas ? »

« Faites votre Majesté ! » s’exclama l’homme aux cheveux violets qui les observa s’éloigner peu à peu.

Il esquissa un demi-sourire qui traduisit son contentement. Finalement, Mi-Hann lui était bien utile et son intelligence renforçait sa couverture. Il songea brièvement à lui, si prévoyant et lucide.

« Alors c’est elle. » lança un vieil homme dégarni et au regard vitreux qui regardait dans la direction de la jeune femme.

« Verstael, mon bon ami ! »

« C’est curieux, j’ai l’impression de l’avoir déjà vue quelque part mais impossible de mettre le doigt dessus… » déclara le scientifique.

Ardyn leva un sourcil, perplexe.

« Comme lorsque tu es persuadé de savoir quelque chose mais que la réponse refuse d’apparaître, limpide. » poursuivit le vieil homme. « Je me fais vieux, je dois confondre. »

La soirée se déroula de façon monotone. Les mondanités n’étaient pas le fort d’Ardyn. De par son passé, il n’était guère accoutumé aux prestigieuses réceptions ni attaché à des intérêts matériels. Mi-Hann finit par le rejoindre au bout d’une heure et demie, relâchée avec regret par l’Empereur qui devait s’entretenir avec ses ministres.

« Nous allons prendre congé. » l’informa-t-il.

Le rouge aux joues, visiblement fatiguée, la jeune femme acquiesça en hochant lentement de la tête. Il lui tendit de nouveau son bras qu’elle s’empressa de tenir et ils quittèrent la soirée.

Sur le chemin du retour, Ardyn remarqua que le pas de la jolie brune était un peu chancelant. Ils avaient dû la faire boire plus que de raison pour tenter de lui soutirer des informations.

« Tu n’as rien dit de particulier ? »

« Non, rien. » répondit-elle d’une voix inhabituelle.

« Combien as-tu bu de verres ? Tu as l’air ivre morte. »

« Deux et j’ai refusé les autres. Je ne suis pas ivre. Je me sens juste un peu étourdie et j’ai chaud. »

Il eut un rictus, amusé « Oui, c’est là la définition de l’ivresse, ma chère. » 

Ils atteignirent l’ascenseur. Ardyn pénétra à l’intérieur suivi de Mi-Hann mais le talon de sa chaussure buta sur le metal décorant le sol de l’entrée de l’élévateur et elle bascula en avant, la tête la première. Instinctivement, l’homme aux cheveux violets la rattrapa avant qu’elle ne tombe et ne se blesse. Les portes de l’ascenseur se refermèrent sur eux. Le visage niché contre son torse, les doigts agrippant son gilet, les yeux clos, Mi-Hann se sentait bien.

« Vous sentez bon. » murmura-t-elle, totalement détendue.

« Rappelle-moi de ne plus te faire boire une seule goutte d’alcool. » rétorqua-t-il perturbé par ce contact. « …Mi-Hann ? »

« Zzzzz… »

Il ne manquait plus que ça. Ardyn tapota sa joue pour la réveiller.

« Réveille-toi, ce n’est pas le moment de dormir. »

Ardyn soupira, dépité. Elle avait en plus le sommeil lourd. Il la souleva sans aucune difficulté et arpenta le couloir menant jusqu’à ses appartements, jetant de temps en temps de brefs coups d’œil pour vérifier si la jeune femme s’éveillait enfin mais elle dormait comme une masse. Arrivé devant la porte de son appartement, il dût se baisser pour l’asseoir sur ses genoux et libérer ainsi sa main pour ouvrir. Il passa la paume de celle-ci sur un détecteur qui s’activa. Un clic retentit et la porte s’ouvrit automatiquement de quelques centimètres. Ardyn porta de nouveau Mi-Hann dans ses bras et poussa la porte avec son pied pour l’ouvrir en grand. Lorsqu’il voulut déposer la jeune femme sur le lit, il remarqua alors que cette dernière n’avait pas lâché son gilet comme si elle ne souhaitait pas rompre le contact avec lui.

« Quelle enquiquineuse… » murmura-t-il.

Sa longue chevelure noire était éparpillée sur l’oreiller et sa bouche, légèrement entrouverte, laissait échapper le léger son de sa respiration. Ses paupières closes se mirent à trembler quand il passa ses doigts sous la paume de la main de la jolie brune afin de se libérer de sa prise. Le contact de sa peau était chaud, électrisant et étrangement agréable. Machinalement, leurs deux paumes se retrouvèrent l’une contre l’autre et il glissa ses doigts entre les siens par curiosité. Il fit un geste de retrait dès qu’il sentit les doigts de la jeune femme se serrer contre les siens, réalisant ce qu’il était en train de faire. Ardyn regarda sa main et fronça les sourcils. Que lui était-il passé par la tête ?

o-o-o-o

Quelques jours passèrent durant lesquels le Chancelier impérial travailla en étroite collaboration avec Verstael afin de finaliser le projet « Arme de Diamant ». La machine daemonique était fin prête et le scientifique était surexcité à l’idée de la lâcher sur la capitale ennemie le jour du Traité de paix. Néanmoins, il fut bien obligé de calmer ses ardeurs puisqu’il lui restait encore un bon mois à patienter avant que ce jour arrive mais il n’avait de cesse de vanter son incroyable génie et la supériorité de l’armée impériale. Ardyn n’en avait cure, il poursuivait un tout autre but.

Son immortalité l’empêchait de succomber mais il commença tout de même à ressentir les effets des longues journées de travail accumulées. Ces effets ne se manifestaient pas sous la forme d’une fatigue harassante comme c’était le cas pour les mortels. Dans son cas, c’était tout autre et il savait alors qu’il ne maitrisait pas complètement les ténèbres en lui, elles étaient douées de volonté et la moindre faiblesse de sa part leur permettraient de surgir à n’importe quel moment. Seulement, quand il en arrivait à cet état extrême, il ignorait comment l’apaiser. Qui plus est, la médicamentation était devenue inutile, son corps avait fini par s’habituer.

La migraine apparut vers la fin de la journée accompagnée d’hyperthermie et il grimaça en appuyant sur ses tempes, ce qui alerta rapidement Mi-Hann.

« Votre Majesté, tout va bien ? » s’inquiéta-t-elle.

« On ne peut mieux ! Ne fais pas attention et continue ta petite activité ! »

Il exagérait et mentait comme lorsqu’il essayait de se dissimuler d’elle. La jeune femme commençait à relever des détails et à mémoriser ses manies. Son sens de l’observation était extrêmement développé et Ardyn le savait puisqu’il était pareil. La douleur s’intensifia et força le Chancelier à ployer le genou à terre. Ce n’était pas assez, il n’était pas assez fort pour les contenir. Si elles parvenaient à prendre le dessus, il ne pourrait pas…

L’homme aux cheveux violets fut tiré de sa torpeur par la main de la jeune femme qui s’était posée sur son front. Pris d’incompréhension et les sens parasités par la douleur, il la repoussa si vivement qu’elle perdit l’équilibre.

« Ce n’est pas le moment de faire votre mauvaise tête ! » s’écria-t-elle alors.

« Occupe-toi de tes affaires… » rétorqua-t-il

« Mais je vois bien que vous souffrez ! Vous avez une migraine ? » demanda-t-elle en ignorant sa remarque. « Venez, asseyez-vous et laissez-moi vous aider. »

« Je n’ai pas besoin de…argghh »

Le sifflement dans sa tête était insupportable. C’était comme si des hurlements s’enchaînaient, s’amplifiaient dans son crâne et refusaient de s’arrêter. La douleur était lancinante et les pulsations répétées et régulières. Il avait supporté une douleur plus atroce encore mais celle-ci était intérieure et perdurait alors que les autres avaient cessé il y a bien des siècles déjà. Ardyn se releva avec difficulté.

« Asseyez-vous là et laissez-moi faire. » lui indiqua Mi-Hann.

« Tu commences à m’agacer, je t’ai dit que… »

« Oui, oui ! J’ai bien entendu mais vous feriez bien de laisser tomber tout de suite car je vais revenir à la charge jusqu’à ce que vous abandonniez... »

Il la vit filer dans la cuisine pendant qu’il prenait un siège et chercher au milieu des épices. Elle sortit ensuite une tasse de l’étagère et fit chauffer de l’eau. La jeune femme ouvrit un tiroir, s’empara d’une râpe et frotta énergiquement un petit morceau de plante dont les fines lamelles formées tombaient dans la tasse. Elle versa l’eau chaude dans le récipient et laissa infuser. Puis, elle se lava les mains et pleine d’assurance et de détermination, s’approcha de l’homme aux cheveux violets pour se placer devant lui.

« Je vous apporte la tisane dans quelques minutes. »

Et les doigts qu’il avait souhaité toucher quelques jours auparavant se retrouvèrent sur ses tempes et les massèrent longuement. Au départ crispé, Ardyn finit par se détendre et par fermer les yeux, appréciant grandement ce moment, se laissant complètement aller, la tête balancée au gré des mouvements maitrisés et adroits de Mi-Hann. De ses tempes, elle passa à son front puis aux coins de ses sourcils pour recommencer un autre cycle. La migraine s’estompa peu à peu sans disparaître complètement cependant. La jeune femme brisa ainsi le contact au grand dam du Chancelier et lui tendit la tisane dans lequel avaient infusé les petits morceaux.

« C’est une tisane au gingembre. Je ne savais pas quel était le degré de la douleur et les massages ne sont parfois pas suffisants. »

Il prit une gorgée du breuvage. Le goût était infect mais il but tout de même l’intégralité de la tasse.

« Tu ne me crains pas. Pourquoi ? »

« Je ne sais pas. Pourquoi les oiseaux volent ? Pourquoi le soleil brille ? On peut toujours essayer de trouver une raison logique ou scientifique. Au final, le fait est là, implacable. Je n’ai pas peur, c’est tout. »

Peut-être devait-il lui montrer sa véritable apparence. Là, elle aurait peur, inévitablement. Seulement, pour une raison qui lui échappa sur le moment, il ne put se résoudre à la lui dévoiler.

Il avait une dette envers elle à présent car sa migraine avait disparu.

« Que veux-tu en échange ? » lui demanda-t-il.

Elle cligna des yeux, surprise.

« Rien, je n’ai pas fait ça pour avoir quoique ce soit en retour. »

« Que veux-tu ? » insista-t-il en appuyant un peu plus sur ses mots.

« J’aimerais sortir. » déclara-t-elle après avoir réfléchi quelques secondes.

« Sortir ? Où donc ? » 

« Emmenez-moi manger quelque part. »

« Tu peux tout à fait manger ici. »

« Vous m’avez demandé ce que je voulais. Eh bien, c’est ce que je veux. » 

Ardyn prit le temps de la réflexion.

« Bon très bien. Je suis un homme de parole. » dit-il exaspéré.

« Quand y allons-nous ? » demanda gaiement la jeune femme.

« J’ai encore du travail à finir donc pas avant demain. Donne-moi juste la destination. »

« Lestallum. »

« Ce n’est pas la porte à côté. »

« Si ce n’est pas possible, je peux toujours m’en contenter vous savez. »

« Je n’ai rien dit de tel mais sortir en civil m’empêche d’utiliser les vaisseaux Magitek. Nous prendrons donc la voiture. »

Le lendemain, Mi-Hann ne tenait plus en place et eut du mal à cacher sa joie lorsqu’Ardyn lui fit signe de le suivre. Ce n’était qu’un simple gage de remerciement donc l’homme ne comprenait pas pourquoi la jeune femme était aussi heureuse. Il était vrai que cela faisait plus d’une semaine qu’elle était cloitrée dans ses appartements mais jusqu’à présent, elle ne s’en était encore jamais plainte. Ils gagnèrent sa voiture et l’homme prit le volant pendant que la jeune femme s’assit côté passager.

« Vous aimez les voitures ? » demanda la jolie brune, curieuse.

« Qu’est-ce qui te fait croire ça ? »

« Eh bien, par rapport à son tuning. Je ne pense pas qu’une personne qui n’y ferait pas attention se soucierait du détail. J’aime beaucoup sa couleur, c’est la même que celle de vos cheveux. C’est assez raccord du coup. » détailla-t-elle, une pointe de gêne dans la voix.

Ardyn ne répondit pas tout de suite.

« C’est une voiture qui ne me laisse jamais tomber. » avoua-t-il après quelques secondes. « Elle méritait bien que je la bichonne un peu. »

Durant le trajet, Mi-Hann admirait le paysage et jetait de temps en temps des coups d’œil furtifs au conducteur qui ne mit pas longtemps à s’en rendre compte.

« Quoi ? » s’indigna-t-il, dérangé par les regards insistants de la jolie brune.

« R…rien. » répondit-elle simplement.

« Tu regardes souvent les gens pour rien ? » 

« Oui. J’ai toujours aimé observer les gens afin de deviner leurs pensées. » 

« Et à quoi je pense ? » 

« Que je suis pénible ? » 

« Perspicace ! »

« Désolée. »

« … »

La route se poursuivit dans le silence, un silence pesant. C’est Ardyn qui brisa la glace.

« Tu ne m’as pas dit où tu souhaitais manger. » 

« J’aimerais aller à un restaurant là-bas qui sert du riz au poulet. »

« Ce n’est pas ce qu’on pourrait appeler de la cuisine grand luxe. » se moqua l’homme aux yeux ambrés. »

« J’aime les choses simples. Mes parents m’emmenaient souvent dans cette ville dans mon enfance donc c’est plus pour le cadre nostalgique. » expliqua-t-elle doucement.

« Je vois. » conclut-il.

Avoir repensé à ses proches avait un peu attristé Mi-Hann. Elle fut soulagée qu’Ardyn ne lui pose pas de questions à ce sujet, elle aurait mal supporté de l’entendre se railler de leur mort. Sa mère était morte de maladie et son père, porté disparu mais annoncé décédé par les autorités. C’était un homme qui avait rejoint l’Empire en 720, en tant que soldat afin de servir le Niflheim, une nation qui visait la renaissance de la civilisation de Solheim. Leur fille naissait en 723. Il était mort dans l’ignorance la plus totale et sa mère, brisée par le chagrin, avait suivi peu après. La jeune femme fut ensuite adoptée par une famille modeste qui n’arrivait pas à avoir d’enfant. Elle gardait précieusement dans son esprit les nombreuses histoires que ses vrais parents lui racontaient, des histoires qui étaient contenues dans des ouvrages perdus à jamais. La petite fille préserva tel un trésor, le dernier livre de sa famille, vestige de 2000 ans de tragédie et de mensonge.

La voiture s’arrêta alors que la jolie brune était encore plongée dans ses pensées. Cette ambiance, ces odeurs, c’était comme dans son enfance. Lestallum n’était pas une ville aussi charmante qu’Altissia mais elle avait quelque chose, c’était un diamant brut entretenu par une majorité de femmes, des femmes courageuses et fortes. Elle descendit du véhicule et suivit Ardyn de nouveau. Sa démarche était distinguée et élégante, il marchait assez vite, elle avait du mal à le suivre. Elle eut l’impression qu’il avait hâte d’en finir. Après tout, il n’était pas venu parce-que cela lui faisait plaisir. Arrivés sur la place où se situait le restaurant, il lui fit signe de choisir une table ce qu’elle s’empressa de faire. Elle prit place à une table un peu à l’écart et l’homme vint la rejoindre aussitôt. Le cadre était simple, il est vrai.

« Merci d’avoir accepté ma requête, je n’étais pas venue ici depuis longtemps. »

« Un marché est un marché » répondit-il en haussant les épaules.

« Alors il vaudrait mieux que nous profitions de cette soirée, n’est-ce pas ? » fit-elle en souriant.

« Nous rentrons dès que tu as terminé. »

« Vous ne mangez pas ? »

« Non. »

« Pourquoi ? Vous n’avez pas faim ? »

« Si je mange, tu cesses de m’ennuyer ? »

« Hmm, peut-être ! » dit-elle en se mettant à rire innocemment.

                                                              

Ardyn l’observait sans dire un mot alors que le patron posait les commandes sur la table. A vrai dire, il n’avait pas besoin de manger ni même de dormir d’ailleurs. Il le faisait parfois car il appréciait certains mets gastronomiques mais dormir lui permettait seulement de recharger son énergie magique. Son état physique lui, était statique.

« Goûtez ça. Leurs brochettes sont délicieuses ! Le riz fond dans la bouche, un vrai régal. C’est un plat simple mais efficace. » 

« Vraiment, il t’en faut peu. » 

Mi-Hann acquiesça, un sourire toujours affiché sur ses lèvres. Elle semblait s’amuser et apprécier ce…Qu’est-ce que c’était exactement ? C’était un rendez-vous, du moins probablement à ses yeux. L’homme ne toucha pas à son assiette et se contenta d’observer les allées et venues des habitants de la ville, ville qui s’était développée grâce à l’énergie du météore, transformée en électricité via sa centrale. Selon lui, cette cité serait encore debout même si les ténèbres finissaient par envahir tout Eos. Il leva les yeux vers la jeune femme. Elle avait un grain de riz sur le coin de la bouche et son demi-sourire caractéristique s’afficha alors sur ses lèvres.

« Vous avez l’air de vous ennuyer. J’aurais dû choisir un autre lieu, je suis désolée. » 

Perplexe, Ardyn la fixa de ses yeux couleur soleil tout en tapotant l’extrémité de sa propre bouche avec son index pour lui signifier qu’elle avait quelque chose dessus. Mi-Hann s’essuya frénétiquement les lèvres, les joues rosies par la gêne.

« Pourquoi tiens-tu tant que ça à ce que je me divertisse ? » demanda-t-il alors.

« C’est juste que vous affichez toujours une expression si détachée, comme si plus rien ne comptait. Comme si vous étiez seul au monde. » 

« Ainsi, tu me prends en pitié. »

« N-non ! Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Pas dans ce sens-là…Je… »

« Et pourtant, ce sont bien tes propres mots. » rétorqua Ardyn, sans se départir de son calme. « Qu’est-ce que tu crois ? Tu penses que tu peux me faire oublier deux mille ans d’existence dont tu n’as pas la moindre idée ?

« Je ne veux pas vous les faire oublier, c’est impossible. On oublie pas un passé comme le vôtre. Ce que je veux, c’est vous aider à l’accepter et à vivre avec. »

L’homme perdit patience. Il se leva brusquement de son siège, déposa plus d’argent que nécessaire sur la table et attrapa fermement le bras de la belle brune pour l’entraîner loin des regards indiscrets. Il la tenait toujours alors qu’ils se dirigeaient vers sa voiture.

« Vous me faites mal ! » s’écria Mi-Hann.

Il n’écoutait pas et poursuivait son chemin, déterminé à rentrer.

« Ecoutez, je m’excuse pour ce que j’ai dit mais je ne veux pas rentrer, pas encore. Être enfermée dans cette cage est une vraie torture, il n’y a presque rien à faire, c’est à en devenir f… » 

Ardyn s’arrêta net et la regarda sévèrement.

« Comme si tu avais la moindre idée de ce que ça fait que d’être emprisonné…depuis tous ces siècles. Si longtemps que tu en perds la notion du temps. » 

« Je ne sais peut-être pas ce que ça fait oui, c’est vrai. Je ne suis pas immortelle et je suis bien heureuse de ne pas l’être, je n’envie pas du tout votre condition. Je ne peux même pas vous dire que je vous comprends, je peux seulement l’imaginer. » 

Il s’aperçut qu’elle avait autre chose à dire mais elle n’osait pas poursuivre.

« Va jusqu’au bout de ta pensée maintenant que tu es lancée. » 

« Puis-je réellement parler sans détour ? » 

« Fais donc. » 

Mi-Hann dégagea doucement la main de l’homme aux cheveux violets qui tenait toujours son bras mais la garda dans la sienne et posa son autre main par-dessus. Mal à l’aise par ce contact, il s’en délivra rapidement mais ne s’énerva pas.

« Lorsque j’étais petite et que je lisais inlassablement le dernier livre de ma famille, mes passages favoris étaient les passages qui vous concernaient » expliqua-t-elle en souriant timidement « Vous étiez le héros qui a tant fait pour son peuple, vous avez sauvé tellement de personnes…Je ne serais pas là pour en parler si ça n’avait pas été le cas. Le couple Kurena qui vivait à votre époque…les deux étaient atteints par cette maladie qui change les gens en daemon, la peste des étoiles. Vous les avez sauvés sans rien demander en retour et vous avez fait cela pour tant d’autres encore. Ils ont retranscrit ces faits dans ces livres mais ma famille en a perdu beaucoup, le temps a fait son œuvre, certains ont été brûlés par le Lucis car il avait été exigé que votre nom soit effacé de l’Histoire. » 

« Tout ça n’a plus d’importance désormais. » murmura Ardyn.

« Ça en a pour moi. Ma famille s’est battue pour que vous ne soyez pas oublié et a même été persécutée pour ça. Certains en sont morts. Je souhaite poursuivre leur œuvre même si c’est peu comparé à leurs nombreux sacrifices. Si au moins une personne se rappelle encore qui vous étiez, alors tout ceci n’aura pas été vain. Toutes ces morts, toute cette injustice, je ne le supporte pas et je n’ai que 33 ans. Comment le supportez-vous, comment avez-vous fait pour le supporter tout ce temps ? » implora presque Mi-Hann.

Ses yeux de jade exprimaient tellement d’émotions différentes. Il ressentait le besoin, à travers elle, de les contempler, de s’en nourrir puisqu’il en avait perdu tout intérêt. Tout était devenu d’une fadeur à hurler. Pour se sentir vivant, il avait expérimenté un nombre incalculable de choses mais elles s’étaient, presque dans leur totalité, soldées par un échec. La torture, l’humiliation, la déchéance d’autrui, de tout un peuple, tout ça ne suffisait plus pour se sentir exister et c’est ce petit bout de femme qui le faisait se sentir presque normal, presque vivant. Les battements frénétiques de son cœur ne le trompaient pas. Elle était différente des autres. Elle le regardait comme un homme, pas comme un monstre. Il se rapprocha d’elle, ils étaient seuls dans cette ruelle sombre à l’écart du centre-ville de Lestallum, à peine éclairée par les lampadaires. Ardyn n’avait plus envie de réfléchir et l’odeur fruitée de la jeune femme commençait à envahir son esprit et à faire naître de nouveau ce pic de chaleur incompréhensible dans son corps, bien plus puissant cette fois. Ils ne se touchaient pas. Mi-Hann était adossée au mur et n’osait pas bouger, ne sachant pas ce que l’homme avait l’intention de faire. Le visage d’Ardyn était à quelques centimètres du sien, tout près de son oreille, de la même façon qu’au moment où, dans le salon, ils s’étaient retrouvés dans la même situation. Elle entendait sa respiration s’accélérer comme s’il luttait contre quelque chose.  

« Votre Majesté… » l’appela-t-elle doucement.

« Appelle-moi Ardyn… »

« J-je…ne peux pas. Vous êtes mon Roi… »

Cet instant dont il avait tant rêvé, qu’il avait tant désiré et fantasmé par le passé, il ne le souhaitait plus avec elle. Simplement avec elle.

« Appelle-moi Ardyn. » insista-t-il, le souffle court.

La jeune femme ferma les yeux et obéit.

« Ardyn… »

« Dis-le encore. » murmura-t-il, le feu en lui s’embrasant de plus en plus.

« Ardyn… » souffla-t-elle.

Il se perdit dans un désir qui s’était manifesté petit à petit et n’avait eu de cesse de grandir. Ses doigts s’aventurèrent sur la cuisse de la jeune femme et il commença à la caresser tout en remontant lentement le tissu. Mi-Hann retint un gémissement car ils se trouvaient au beau milieu de la rue mais ce contact électrisa ses sens. Son geste était si doux qu’elle ne put s’empêcher de sangloter. Elle le savait, elle l’avait toujours su. Il n’était pas ce qu’il laissait paraître à présent. L’ancien Ardyn, le bon et bienveillant Ardyn était toujours là, quelque part et hurlait pour sortir. L’homme s’arrêta aussitôt, entendant les plaintes de la jeune femme et réalisant qu’il était en train de perdre le contrôle, mit de la distance entre eux. Il ne se reconnaissait pas, elle le rendait irrationnel.

« A-Ardyn…t-tout va bien ? » essaya-t-elle péniblement d’articuler, encore sous l’émotion.

La voir tenter de s’exprimer aussi difficilement lui procura un sentiment étrange, entre frustration et déception. Il reprit contenance en faisant ce qu’il savait faire de mieux depuis sa libération et ses lèvres s’étirèrent naturellement dans un rictus moqueur.

« Oh ? J’ai l’impression que tu as un peu de mal à parler. Ça change ! Je dois dire que c’est plutôt plaisant. » 

« Pardon ? »

« Quoi ? Tu pensais que j’étais sérieux ? Ah, voyons, ne sois pas stupide. »

« Vous avez joué avec moi ? »

« Oui, voilà, c’est ça. Tu t’attendais à quoi ? » lâcha-t-il sans scrupules.

Là, c’est ainsi. De la douleur dans ses yeux émeraude, indescriptible sensation. Un pincement, comme lorsqu’une aiguille vous transperce. Elle était blessée et tournait la tête.

« Je veux rentrer. » murmura-t-elle.

Sans lui répondre, Ardyn prit la direction de la voiture tandis que la jeune femme lui emboîtait le pas. Cette dernière était murée dans le silence et l’observait de loin. L’homme avait une démarche particulière, raffinée, élégante comme s’il balançait son corps afin de palier quelque chose. Il lui sembla que cette différence se situait au niveau de sa jambe gauche. Était-ce de naissance ? S’était-il blessé lors d’un combat ? Elle aurait voulu le lui demander mais elle ne souhaitait pas encaisser une énième remarque de sa part. Elle était consciente que la vie à ses côtés ne serait pas simple et elle s’y était préparée mais elle avait baissé la garde ce soir-là, pensant s’être un peu rapprochée de lui. Or, il n’en était rien. Il ne se dévoilerait pas aussi facilement, peut-être jamais d’ailleurs. Ce dont elle était sûre, c’est qu’elle ne devait pas baisser les bras mais là, elle était fatiguée. Elle s’endormit plusieurs fois dans le véhicule, assommée par les évènements de la journée et le comportement changeant de l’homme pour qui sa famille avait tout abandonné.

« Qu’attends-tu pour monter dans la voiture ? » demanda-t-il intrigué par son changement d’attitude.

« Oui. » 

« Comment ? Pas de plaintes, pas de jérémiades ? » 

« … » 

« Te voilà bien obéissante. Il t’en aura fallu du temps. »

« Oui… »

Levant un sourcil interrogateur, Ardyn répliqua une nouvelle fois, tentant de faire réagir la femme aux longs cheveux ondulés.

« Mouais, je n’aime pas trop cette nouvelle version de Mi-Hann. » 

« Pouvons-nous nous hâter ? J’aimerais prendre une douche et me reposer un peu. » 

« Dis-donc, tes parents n’ont pas eu le temps de t’apprendre les bonnes manières à ce… » 

Un claquement résonna sur le parking et Ardyn se frotta la joue tout en dévisageant la jeune femme, d’un air satisfait.

« Eh bien, eh bien. La violence maintenant. »

Cependant, son contentement se mua doucement en une incompréhension car il arrêta de sourire en voyant des larmes couler le long du visage de la brune. Elle souffrait, c’étaient des larmes de douleur. Il aurait dû apprécier ce moment, s’en délecter mais il ne put rien dire, il était simplement là, planté devant elle à la regarder pleurer comme une enfant. Instinctivement, sa main se leva pour oser un contact mais il se ravisa. Ce sentiment. Une émotion qu’il n’avait plus ressentie depuis aussi longtemps qu’il s’en souvenait, la culpabilité. Il serra les dents puis se concentra de nouveau sur Mi-Hann qui avait séché ses larmes.

« Pardon de vous avoir giflé. Je n’aurais pas dû faire ça, c’est impardonnable de frapper son Roi. Qui plus est, vous n’avez pas complètement tort. J’étais jeune quand mes parents sont morts et ma famille adoptive est…enfin…elle n’est pas toujours agréable avec moi. »

« … » 

Elle sourit faiblement.

« Voilà encore que je vous parle de moi. Je n’apprends visiblement pas assez vite mais je ferai attention à l’avenir. »

« Non, c’est… » commença-t-il à dire. 

« ...?... » 

La femme aux yeux de jade le fixa, surprise par son attitude.

« Nous devrions rentrer. Il se fait tard. » 

« Ah, oui c’est vrai. » acquiesça-t-elle.

La nuit était déjà bien tombée sur la région de Cleigne et le trajet en voiture se fit dans le silence le plus total. Mi-Hann tournait le dos au conducteur pour éviter d’être attirée par sa présence car elle aurait fini par le regarder, ce qu’elle aurait regretté aussitôt. L’heure s’écoula, il était un peu plus de 21 heures.

« Des daemons… » murmura-t-elle en apercevant des Bombos au loin qui se déplaçaient sur les plaines entourant le Disque de Cauthess.

« Tu ne risques rien tant que nous restons sur la route. » déclara Ardyn, confiant.

« Dire qu’ils étaient des humains ou des animaux… »

« Effroyable n’est-ce pas ? De pauvres enfants de la nature réduits à l’état de mo… »

« Ne le dites pas ! » s’écria-t-elle subitement en plaquant ses mains sur ses avant-bras.

Une pluie fine commençait à tomber.

« Je me refuse à les appeler ainsi… »

« Et pourquoi donc ? L’humanité tout entière les traite ainsi depuis deux millénaires. »

« Parce qu’ils ne savent pas…Ils ne savent pas ce qu’ils sont en réalité. »

L’ondée avait évolué en une forte averse. Le temps qu’Ardyn active la décapotable pour relever le toit, ils étaient déjà trempés.

« Si je les appelle de cette façon, c’est comme si je reconnaissais que… »

« Que… ? »

L’homme aux cheveux violets voulait entendre la suite.

« C’est comme si je reconnaissais que vous en êtes un également. »

« Ha ! »

C’est tout ce qui sortit de la bouche d’Ardyn lorsque les mots de Mi-Hann l’atteignirent.

« Touchante sollicitude mais néanmoins vaine. Les humains craignent ce qu’ils ne comprennent pas.  L’acte le plus désintéressé est bien vite oublié lorsque la terreur s’en mêle. »

« Ce n’est pas grave. Tant que je le crois, le reste m’est bien égal. Mon ancêtre le croyait et je compte bien suivre ses traces. » déclara la jeune femme en dégageant les quelques mèches mouillées qui recouvraient son visage.

« … »

Ils ne prononcèrent plus un mot jusqu’à leur arrivée à Graléa. En descendant du véhicule, Ardyn se dirigea à l’arrière et ouvrit le coffre de la voiture pour en sortir un parapluie noir orné du blason impérial dont le design ressemblait beaucoup à celui de sa veste. Il fit un mouvement lent de la main afin d’inviter Mi-Hann à venir s’abriter de la pluie. Il tombait des cordes. La jeune femme était trempée des pieds à la tête et sa robe humide dévoilait les formes de son corps ce qui n’échappa pas au regard perçant du Chancelier. 

Ils regagnèrent les appartements de la forteresse de Zegnautus et Mi-Hann prit une douche bien chaude qui put la détendre. Elle se sentait un peu lasse et songea à leur toute première dispute. Lorsqu’Ardyn sentait qu’elle tentait de s’insinuer dans sa carapace, il se fermait aussitôt en usant de mots pouvant être très durs. C’était sa manière de se protéger des autres tout comme il se couvrait de tous ces vêtements, se rendant inaccessible. Du moins, c’est ce qu’elle pensait sincèrement. La jeune femme souffla un bon coup et tapa vigoureusement sur ses joues avec la paume de ses mains pour se redonner du courage.

« Allez Mi-Hann, ne te laisse pas abattre ! Il en vaut la peine. » se parla-t-elle à elle-même.

Elle n’avait rien à se mettre cependant car sa seule robe était mouillée et la robe de cocktail qu’elle avait portée était inadaptée pour la nuit. De ce fait, elle s’entoura de la serviette et quitta la salle de bains, cherchant Ardyn du regard. Il travaillait encore à son bureau, plongé dans un ouvrage scientifique récent.

« Ardyn, je suis désolée d’apparaître de cette façon devant vous mais je n’ai rien pour passer la nuit… »

Il leva les yeux vers elle, la vit affublée d’une simple serviette de bain et il se concentra de nouveau sur son labeur.

« Sers-toi dans ma penderie. Je ferai mander Jandelaine pour qu’il te fasse d’autres atours. »

« Je vous remercie. »

Mi-Hann prit une de ses nombreuses chemises blanches. Ardyn était grand et athlétique sans être exagérément musclé. Il mesurait un bon mètre quatre-vingt-dix pour soixante-dix-neuf kilos. La chemise était évidemment bien trop grande pour elle mais elle put au moins lui servir de chemise de nuit. La jeune femme souhaita bonne nuit à l’homme aux cheveux violets comme elle avait pris l’habitude de le faire, se coucha dans le grand lit et s’endormit rapidement.

Un peu plus tard dans la soirée, Ardyn rangea ses livres dans l’immense bibliothèque du salon et plaça les données, qu’il avait inscrites sur papier, dans un tiroir qu’il ferma à clef. Puis il pénétra lui aussi dans la salle de bains, ferma la porte derrière lui et commença à se déshabiller. Nu, devant le miroir, seul avec lui-même, il observa l’image que ce dernier lui renvoyait puis son esprit se perdit dans des pensées que son rôle permanent lui empêchait d’avoir. Une dépression qui durait depuis une éternité. Des pensées mêlées de frustration, de colère, de tristesse, de mort. Mais une odeur familière s’infiltra dans ses narines, une odeur qu’il avait déjà eu l’occasion de sentir et qui, dernièrement, aiguisait ses sens. Une odeur qui provoquait un changement dans son organisme. Son regard fut attiré par la serviette étendue sur le séchoir, la serviette que Mi-Hann avait utilisée. Ardyn tendit le bras pour s’en emparer et sembla hésiter un instant. Il fixa sa main, perplexe. La maitrise de son corps lui échappait par moment mais il ne pouvait pas le tromper : il désirait cette femme, ardemment. Quand cela avait-il commencé ? Tel un animal cédant à son instinct primitif, il s’empara de la serviette et la huma longuement, les effluves laissées par la douche de la jeune femme s’engouffrant dans son esprit et remplaçant pour un instant, les précédentes pensées qui l’assaillaient. Son désir se manifesta physiquement, il replaça la serviette sur l’étendoir et fit couler l’eau de la douche, laissant son imagination s’exprimer et se libérant alors, en solitaire, du feu qui l’embrasait tout entier.

                  

o-o-o-o

Jandelaine ne se fit pas prier pour revenir se mettre au service de la gentille et délicate fleur, comme il aimait la surnommer, qui logeait chez Ardyn Izunia. Le Chancelier s’était absenté car sa présence avait été exigée pour une réunion importante et la jeune femme était donc seule dans le vaste appartement. Le tailleur lui proposa plusieurs modèles qu’il avait confectionnés sous l’inspiration, suite à sa première visite.

« Vous avez un talent incroyable. Elles sont toutes plus belles les unes que les autres. »

« Vous me faites trop d’honneur, Madame ! »

Le travail de l’artisan était minutieux, précis et le tissu était d’excellente facture. Il devait coûter, de ce fait, assez cher.

« Je ne sais pas laquelle choisir. J’adore les motifs baroques et vous en avez créé beaucoup dans ce style. »

« Vous comptez n’en choisir qu’une ? » demanda le tailleur, surpris.

« Il me parait déplacé d’exiger plus, vous m’avez déjà assez gâtée comme cela. »

« C’est que…Monsieur Izunia a déjà payé une certaine somme. » expliqua Jandelaine. « Et par certaine somme, j’entends qu’une seule robe ne vaut pas le prix qu’il m’en a donné. »

La jeune femme cligna des yeux « Pardon ? »

« Plus précisément, Monsieur Izunia m’a lancé une bourse pleine de gils en me disant ensuite de me débrouiller avec vous. »

Mi-Hann émit un petit rire discret, c’était bien son genre.

« D’accord. Dites-moi seulement combien je peux en choisir. »

« Cinq, Madame. »

Mais cela devait représenter une grosse somme d’argent ! Elle ne pourrait jamais le rembourser à ce rythme.

« Je travaille pour l’Empire depuis plus de trente ans. Les choses se savent rapidement dans ce milieu, les rumeurs vont bon train et tout le monde sait que le Chancelier Impérial n’a jamais accordé le moindre crédit aux biens matériels. Quand d’autres roulent dans des voitures luxueuses, la sienne est un vieux modèle. Quand d’autres multiplient les toilettes les plus prestigieuses, la sienne n’a pas changé depuis le jour où il m’a demandé de lui confectionner sa tenue officielle. C’est un homme simple mais très mystérieux à y réfléchir. »

Mi-Hann s’abstint de répliquer à la déclaration de Jandelaine. Ardyn avait accédé au rang de Chancelier pour une bonne raison. Ce dont elle était persuadée, c’est que ce n’était pas par pouvoir ou par cupidité. Son motif était différent. 

« Bien maintenant, les essayages, ce qui me permettra d’effectuer les modifications nécessaires ! » s’exclama l’artisan, euphorique.

L’homme s’affaira pendant que la jeune femme patientait, immobile et obéissait à ses requêtes. La longue station debout commençait à l’étourdir.

« Madame, tout va bien ? Vous avez l’air fatiguée. » interrogea Jandelaine, inquiet. « Nous pouvons nous arrêter là si vous le souhaitez. »

« N-non. Ne vous en faites pas, ça va aller. Poursuivons, je ne veux pas vous faire revenir pour si peu. »

La jeune femme avait terriblement chaud et se sentait fiévreuse. Sa tête était lourde et son corps faible mais elle ne se plaignit pas et supporta les nombreux revirements du tailleur qui avait un souci du détail extrême. C’était un homme perfectionniste et le moindre élément n’échappait pas à ses yeux de lynx.

« Voilà, c’est terminé ! » lança Jandelaine, satisfait.

« Je vous remercie infiniment. Je les porterai avec fierté. » dit-elle reconnaissante.

« Je vais prendre congé de vous mais faites attention à vous, reposez-vous, vous n’avez pas l’air bien. » conseilla l’homme, visiblement inquiet.

Mi-Hann le salua et ce dernier quitta l’appartement en vérifiant une nouvelle fois l’état de sa cliente. Elle se força à lui sourire et il passa le pas de la porte en la refermant derrière lui. Seule, la jolie brune ramassa les effets qui étaient étendus sur la grande table de la cuisine et les rangea sur des cintres dans un coin libre de la penderie. Puis, difficilement, elle rejoint un siège pour s’asseoir car elle ne supportait plus le poids de son corps sur ses jambes affaiblies mais malgré sa position assise, la fièvre fut la plus forte, ses yeux se voilèrent et commencèrent à se fermer.

o-o-o-o

« Combien de soldats Magiteks pourras-tu déployer, Verstael ? »

« Si le rythme de production se poursuit sans heurts, des milliers votre Majesté. » répondit le vieil homme. « Je suggère l’usage des créatures daemoniques dont nous avons fait mention durant la précédente réunion. »

« Qu’en penses-tu Ardyn ? »

« La frappe sur les zones protégées par l’unité des Lames Royales doit être déterminante pour les contraindre à se retirer. »

« Nous établirons sans difficulté la supériorité de l’armée du Niflheim. » ajouta le scientifique. « Ces chiens du Lucis n’auront d’autre choix que d’accepter nos conditions. »

L’Empereur Iedolas Aldercapt tira lentement sur les poils blancs de sa barbe taillée en pointe et un sourire machiavélique étira ses lèvres.  

« Nous enverrons ensuite la proposition du Traité de paix qui sonnera la fin d’Insomnia et le Cristal sera enfin à moi ! » jubila-t-il sans réserve. « Qu’en est-il du daemon mentionné dans ton rapport ? »

« Orthros est fin prêt, il sera déployé dès la détection des Lames Royales à bord. » affirma Verstael.

o-o-o-o

Ardyn rentra en milieu d’après-midi et s’étonna de trouver Mi-Hann assoupie à la table de la cuisine. Il avait bien repéré ses habitudes et ce n’était pas son genre de dormir en journée mais lorsqu’il s’approcha d’elle, il remarqua immédiatement que quelque chose n’était pas normal. Sa respiration, forte et saccadée, était différente. Il approcha prudemment sa main de son front, elle était brûlante de fièvre. À ce contact, les yeux de la jeune femme frémirent et Ardyn enleva aussitôt sa main. Ils s’ouvrirent faiblement et lorsqu’elle s’aperçut de la présence de l’homme à ses côtés, elle se redressa immédiatement. 

« J-je me suis assoupie… ? Je suis…navrée, v-vous êtes là depuis…longtemps ? » s’excusa-t-elle avec difficulté.

Il le décelait parfaitement, elle se forçait. Ses joues étaient rouges et ses yeux luttaient pour rester ouverts.

« Je vais me préparer quelque chose, cette réunion était interminable. Va te coucher dans le lit, la table n’est pas un endroit pour dormir. » déclara-t-il en sachant pertinemment comment elle allait réagir.

« A-attendez, j-je vais vous faire à manger ! » s’exclama-t-elle.

C’était la première fois qu’Ardyn souhaitait prendre un repas depuis qu’elle était ici, soit un peu plus de trois semaines. Au début, elle le lui proposait systématiquement mais il avait toujours refusé. Il ne mangeait pas et buvait très rarement. Elle avait remarqué que lorsqu’il souffrait de ses périodes de migraines intenses, qu’elle arrivait à présent à anticiper, il buvait énormément d’eau comme s’il était déshydraté et qu’il n’arrivait pas à faire passer cela. C’était devenu un rituel entre eux. Mi-Hann voyait arriver ses crises, préparait une tisane de gingembre et lui massait les tempes jusqu’à ce qu’il se sente mieux. Ardyn avait essayé d’effectuer lui-même ces massages mais ils n’avaient eu aucun effet notable, seule la technique de la jeune femme semblait faire disparaître sa douleur.

Mi-Hann se leva, beaucoup trop vivement car un vertige l’assaillit et la força à reprendre sa position initiale. La fièvre était trop forte et elle se sentait vidée de son énergie. Elle tenta de regarder Ardyn mais elle se sentit alors partir, un voile noire lui brouillant l’esprit, sombra dans l’inconscience et bascula sur le côté. L’instinct de l’homme aux cheveux violets fut de nouveau le plus fort et il la rattrapa avant qu’elle n’atteigne le sol.

« Que me fais-tu faire… »

Il claqua de la langue, ennuyé. Il la coucha sur le lit et l’observa en détails. Elle avait dû prendre froid suite à la forte averse qui était tombée il y a cinq jours, le jour où ils étaient sortis hors de la forteresse. Seulement, un indicible doute s’infiltra en lui et il fut incapable de se sortir cette idée de la tête. Et si…elle l’avait attrapée ? Il regarda les membres nus de la jeune femme pour tenter de déceler la moindre trace qui aurait pu confirmer cette hypothèse. Rien. Il dégagea lentement sa longue chevelure pour vérifier son cou. Rien. C’était probablement un simple rhume. Ardyn se redressa et s’apprêtait à partir quand il entendit la jeune femme greloter. Elle respirait fort et vite. Ces symptômes faisaient eux-aussi partie de la peste des étoiles. Si elle se transformait dans ses appartements, cela attirerait l’attention sur lui. Il aurait très bien pu vérifier lui-même mais l’idée d’approcher sa main des boutons de sa robe le rendait anormalement nerveux. Il essaya de se convaincre que la jeune femme se réveillerait bientôt tout en réfléchissant au délai de progression de la maladie qui différait d’un individu à l’autre, allant de quelques jours à plusieurs semaines.

« Ardyn… »

La voix de Mi-Hann le tira de ses pensées, elle avait ouvert les yeux mais l’homme constata qu’elle luttait pour se maintenir éveillée.

« Je vais…vite aller…mieux, ne vous…occupez pas…de moi. » dit-elle faiblement.

« Tu as certains des symptômes de la peste des étoiles. Tu m’en vois navré car je suis un gentleman et c’est un acte qui est tout sauf courtois mais je vais devoir vérifier que tu n’es pas infectée. »

La jeune femme sembla hésiter puis hocha lentement de la tête au bout de quelques secondes pour lui signifier son accord.

« Je…vous fais confiance… » affirma-t-elle en terminant sa réplique par un léger sourire.

Elle se laissa emporter par le sommeil et Ardyn dégagea doucement le drap qui la recouvrait.

Ce n’était pas la première fois que l’homme aux cheveux violets voyait le corps nu d’une femme, il n’avait aucune raison d’être troublé pour si peu. Pourtant, malgré ses tentatives pour s’en convaincre, aucun de ces corps ne lui faisait le même effet que le corps de cette femme alors même qu’elle était encore habillée. Le feu en lui était sur le point de s’allumer et il ne savait pas encore qu’à compter de cet instant, il ne serait plus jamais capable de l’éteindre.

Ardyn déboutonna les premières attaches de sa robe longue et un problème se posa déjà à lui. Mi-Hann portait autre chose en dessous et il n’avait jamais vu ce vêtement avant, il n’existait tout simplement pas à l’époque à laquelle il avait vécu. L’homme baissa les bretelles sur les côtés et tira un peu sur le devant sans succès. Le vêtement devait probablement se retirer de derrière. Il enleva sa veste qui le gênerait dans ses mouvements, grimpa sur le lit et se pencha au-dessus d’elle. Elle était totalement vulnérable comme si elle était offerte à lui. Ardyn pencha la tête sur le côté, ce n’était pas le moment de penser à ce genre de chose. Il souleva légèrement le corps de la jeune femme pour passer ses mains derrière son dos et dégrafer son soutien-gorge. Mais le contact de ses doigts sur sa peau blanche fit accélérer les battements de son cœur, il déglutit et il décida de se hâter afin d’en finir le plus rapidement possible.

« Tsss… »

C’était plus difficile que prévu et l’homme se demanda quel était l’imbécile qui avait bien pu inventer pareille chose. Il abandonna brièvement et décida de déboutonner le reste de la robe ce qui lui permettrait de basculer Mi-Hann sur le côté et enlever plus facilement le maudit vêtement. Le dernier bouton ôté, il hésita quelques secondes avant d’écarter les deux pans de tissu qui cachaient encore le corps de la jeune femme. Sa retenue commença à s’amenuiser lorsqu’il se résout à le faire et toute son attention fut portée sur les formes provocatrices de la jolie brune. Il se mordit la lèvre inférieure devant l’audace de ses yeux ambrés qui se baladaient là où auparavant, il n’aurait jamais imaginé vouloir regarder. Sa libido, à présent complètement éveillée, lui hurlait de la posséder sur le champ, de toucher chaque parcelle de son corps, de lécher et de mordre les parties charnues qui semblaient appeler sa bouche curieuse à découvrir quel goût la jeune femme pouvait bien avoir. Il la tourna lentement sur le côté pour vérifier si elle portait des stigmates sur son corps, il n’y avait rien, et la remit dans sa position initiale. Mi-Hann bougea dans son sommeil, une de ses jambes se releva légèrement et laissa apparaître son entrejambe que sa culotte en dentelle dissimulait. L’excitation d’Ardyn était à son paroxysme, il brûlait littéralement de l’intérieur et aurait presque oublié pourquoi il se trouvait là, au-dessus d’elle, si la jeune femme ne s’était pas mise à tousser brusquement. Il revint aussitôt à la réalité, replaça le drap pour soustraire sa vue à l’emprise que la jeune femme avait sur elle et s’éloigna, jugeant qu’il avait terminé ses vérifications.

Ardyn passa sa main dans ses cheveux pour repousser les mèches qui lui tombaient sur le visage et remit de l’ordre dans ses idées. Il ne comprenait pas pourquoi son organisme réagissait autant à cette femme. Devait-il mettre cela sur le compte de sa longue abstinence ? C’était ridicule, il n’y avait songé à aucun moment durant son emprisonnement et même lorsqu’il vivait encore une existence humaine, ce n’était pas quelque chose pour lequel il ressentait un vif attrait. Cependant, les faits étaient là, implacables. Mi-Hann déclenchait un changement physique chez lui et suffisamment puissant pour l’empêcher de raisonner normalement.

Mi-Hann se réveilla au milieu de la nuit, elle avait soif. Elle se redressa sur le lit et s’aperçut qu’elle n’était vêtue que de ses sous-vêtements.

« Rassure-toi, je ne t’ai rien fait. »

La voix grave d’Ardyn s’éleva et brisa le silence ambiant. La jeune femme le chercha du regard mais il faisait sombre, elle ne voyait rien.

« Ardyn, où êtes-vous ? Je ne vous vois pas. »

« J’ai une bonne nouvelle pour toi. Tu n’es pas infectée par la peste des étoiles. » dit-il en ignorant sa question. « Alors, déçue de ne pas faire partie de la grande famille des daemons ? »

La jolie brune se leva du lit, elle se sentait mieux et la fièvre était tombée. Elle avança à tâtons vers la cuisine pour allumer la lumière, enfiler quelque chose de plus habillé et se servir un verre d’eau pour étancher sa soif. Elle approcha sa main de l’interrupteur mais la pièce s’éclaira avant que ses doigts n’atteignent le bouton. Ardyn se trouvait face à elle, la main sur l’interrupteur et l’autre sur les hanches à l’observer, l’air amusé et un demi-sourire affiché sur les lèvres. Mi-Hann rougit et cacha ce qu’elle put du regard ambré du Chancelier impérial.

« Ma chère, il ne te reste pas grand-chose à cacher que je n’ai pas encore vu ! » s’exclama-t-il moqueur.

Elle bafouilla quelque chose d’incompréhensible mais qui montra clairement son mécontentement, se hâta jusqu’à la penderie et enfila un peignoir.

« Je ne sais comment vous remercier pour ce que vous avez fait pour moi. C’était vraiment gentil de votre part. »

« Il ne s’agit pas de gentillesse mais de logique. » nia-t-il. « Je suis bien trop près du but pour te laisser tout gâcher. »

Mi-Hann l’observa en silence, perplexe puis elle se servit un verre d’eau qu’elle but d’une seule traite.

« Cela n’arrivera pas, je n’attendrai pas de me transformer pour agir. »

« Ha ! Et que feras-tu donc ? Tu ignores où se trouve l’Oracle. »

Ses yeux vert émeraude se firent plus intenses.

« Je ne demanderai pas l’aide de l’Oracle…Ce serait trahir mon Roi et ma lignée. Je m’y refuse. »

Cette conversation prenait une tournure qui lui plaisait étrangement.

« Les mortels feraient n’importe quoi pour sauver leur peau. C’est instinctif et tu n’es pas différente des autres. » répliqua-t-il. « À présent, va te coucher. Tu as une tête horrible, tu me ferais presque peur. »

« Il faut que je mange d’abord quelque chose, je suis affamée. »

« Tu as une bien curieuse façon de montrer ta dévotion à ton Roi ! » lança-t-il en feignant d’être vexé.

« Eh bien, pour le moment, ce maudit instinct de survie me dicte de m’alimenter. » rétorqua la jeune femme en le regardant d’un air malicieux.

Leurs échanges le distrayaient bien plus qu’il ne l’admettait et il l’observa pendant toute la préparation de son repas, de l’instant où elle ouvrit la fenêtre pour aérer la pièce à celui où elle posa son assiette sur la table de la cuisine. C’était un moment banal dans la journée d’un mortel mais Ardyn ne parvint pas à détacher ses yeux ambrés de ses mouvements rapides, précis et maîtrisés. Elle devait avoir l’habitude de cuisiner. Quand elle s’attabla pour commencer à  manger, Ardyn s’éclipsa à son bureau pour travailler sur les recherches de Verstael. Les humains de cette époque manquaient cruellement de connaissances ce qui l’arrangeait en quelque sorte puisque sans cela, il ne serait jamais sorti de sa prison.

« Vous allez vous absenter aujourd’hui ? »

« Oui. » répondit l’homme sans lever les yeux de ses livres.

« Je vois. »

Il perçut un changement de ton dans sa voix qui ressemblait à de la déception.

« Pourquoi cette question ? »

« Je pensais qu’on pourrait peut-être…sortir ou faire quelque chose…ensemble… »  

Qu’entendait-elle par faire quelque chose ensemble ? Ardyn n’eut pas le temps de réfléchir à ce qu’avait dit Mi-Hann car son portable sonna soudainement.

« Oui ? Professeur, bien le bonjour mon bon ami ! Evidemment ! Je passerai comme je te l’avais promis, n’en doute pas…Avec les vérifications de tes travaux, bien sûr. Eh bien, à bientôt ! »

La personne à l’autre bout du fil devait être le vieil homme qu’elle avait croisé pendant la réception. La jeune femme se demanda sur quoi il pouvait bien travailler. L’Empire du Niflheim s’était énormément développé en trente ans, c’est pourquoi sa mère biologique avait quitté la capitale pour Lestallum. Mi-Hann était originaire de Graléa et il ne faisait plus bon vivre dans cette cité. Elle savait que de près ou de loin, Ardyn avait un lien avec tout ça.

Le Chancelier Impérial coupa son téléphone et quitta précipitamment l’appartement. D’habitude, il prenait toujours soin de ranger ses travaux dans le tiroir de son bureau mais il avait tout laissé tel quel ce qui ne lui ressemblait pas. La jeune femme haussa les épaules et posa ses couverts dans l’évier pour faire la vaisselle. Un fort courant d’air s’engouffra dans la pièce ce qui surprit la jeune femme et elle entendit le bruit caractéristique des feuilles s’envolant dans son dos. Elle se retourna vivement car elle avait réalisé à quoi correspondait ces papiers et ferma aussitôt la grande fenêtre. Tous les travaux d’Ardyn étaient éparpillés aux quatre coins du salon. Il fallait qu’elle les ramasse rapidement avant que l’homme aux yeux ambrés ne revienne même si elle se doutait qu’il s’en rendrait compte. Mi-Hann ramassa la feuille qui se trouvait le plus proche d’elle et vérifia brièvement si une notation était apposée afin de pouvoir les classer dans l’ordre. Il y avait des dates mais pas de numérotation. Elle ramassa la plupart des feuilles sans trop regarder jusqu’à ce qu’une d’entre elle attire son attention.

8 avril 756 - Finalisation de la conception du projet « Arme de Diamant ». Déploiement de l’unité lors du Traité de paix confirmé. Maîtrise de l’ego instable.

21 avril 756 - Progression de la conception de l’unité SAS-0822, nom de code « Barbaros » expérimentation sur la fusion entre un animal et un moteur magitek. Prototype. Projet mené par le professeur Verstael Besithia.

« Une fusion entre un animal et une machine ? Qu’est-ce que c’est que ça ? Ça date d’il y a quelques jours à peine…Et un traité de paix ? » s’interrogea-t-elle.

Des croquis scientifiques lui semblèrent familiers.

« J’ai déjà vu ça dans les ouvrages de ma famille. » murmura-t-elle intriguée « Il s’agit d’une étude vieille de deux mille ans menée par mon ancêtre lorsqu’il cherchait un moyen d’inverser la transformation… »

Un peu plus bas sur la feuille, une illustration représentait un organisme allongé, unicellulaire.

« Comment s’appelait-il déjà ? »

Elle retrouva le nom dans ses souvenirs. 

« Parasite photosensible mutant du plasmodium malariae. Mais ce document est incomplet, il manque la part la plus importante du fléau des étoiles. »

« En effet. »

La voix d’Ardyn résonna dans sa tête ce qui la tira de ses réflexions et elle sursauta.  

« Je peux savoir ce que tu fais ? » demanda l’homme en gardant son calme.

« J-je…je ramassais les feuilles qui ont été dispersées par le vent. »

Effectivement, l’homme remarqua que quelques papiers jonchaient le sol dans la pièce.

« Soit. Et tu t’es sentie obligée de fourrer ton nez dans mes affaires ? »

« Je ne voulais pas regarder mais ceci a attiré mon attention. » lui dit-elle en lui montrant l’étude qu’elle tenait encore dans sa main. « Qu’est-ce que l’Empire essaie de faire avec des recherches vieilles de deux mille ans ? Elles ne leur appartiennent pas. »

« Elles sont à moi. »

« Ne me mentez pas, je sais que c’est faux. Vous savez pertinemment qu’elles sont du fait des Kurena. »

« Je ne te mens pas. Sur qui crois-tu que ces recherches ont porté ? » Mi-Hann le fixa puis baissa les yeux. « Oui, sur ma propre personne mais tu dois déjà le savoir n’est-ce pas ? Donc, techniquement, je suis libre de disposer de ces recherches comme je l’entends. »

« C’est de la folie. Le but de ma famille était de trouver un moyen d’inverser la transformation pour vo… »

« Il n’y en a pas. »

« … »

« Il n’y a aucun moyen d’inverser la mutation une fois qu’elle s’est produite. »

La jeune femme se souvint que le journal mentionnait ce fait mais elle pensait jusqu’alors qu’il ne s’agissait que d’une théorie.

« Quand bien même, l’Empire semble essayer de manipuler une force qui le dépasse complètement. Et toutes ces expériences étranges et ce Traité de paix ? Je comprends mieux pourquoi le pays est en perdition. » déclara-t-elle, stupéfaite. « Mais, et vous ? Quel est votre rôle dans tout ça ? »

« Tu poses beaucoup trop de questions, Mi-Hann. »

La jeune femme tentait de comprendre ses motivations.

« Non, c’est impossible. Il y a sûrement une explication logique. Le pouvoir ne vous intéresse pas, il ne vous a jamais intéressé. Lorsque vous avez accepté d’endosser le rôle de souverain, c’était uniquement parce que ce statut vous permettrait d’aider encore plus de gens. »

Elle ne vit rien venir car l’homme avait utilisé ses pouvoirs pour apparaître juste devant elle et il la tenait par le visage en la regardant froidement.

« C’est amusant comme les mortels s’imaginent pouvoir savoir ce que je veux vraiment ! »

Tout son visage reflétait la colère. Elle aurait dû être terrorisée par la lueur inquiétante qui imprégnait ses yeux ambrés mais il n’en était rien. 

« Je persiste à dire que ce n’est pas pour le pouvoir que vous faites ça. Je suppose que l’Empereur compte voler le Cristal pendant le faux Traité de paix et qu’il ignore que la pierre sacrée sera complètement inutile entre ses mains ? C’est de ça dont il parlait pendant la soirée. Iedolas a complètement perdu la tête et ça a commencé bien avant que vous ne sortiez d’Angelgard. »

Ardyn relâcha légèrement sa prise. Nul doute qu’elle était brillante. La jeune femme aux longs cheveux noirs comprit qu’elle visait juste.

« Si vous ne dites rien alors que vous savez, c’est que cet événement sert vos propres intérêts… »

« Et quels sont-ils ces intérêts puisque tu sembles si sûre de toi ? »

Elle tentait encore de lire en lui et ne décrochait pas de ses yeux ambrés, comme hypnotisée. Lui aussi s’était perdu dans son regard émeraude et la colère avait laissé la place à un désir violent.

Il passa rapidement derrière elle via un mouvement qui ne laissa qu’une brume noire sur son passage, saisissant son cou entre ses doigts et passant son autre bras sous sa poitrine pour la maintenir contre lui.

« Continue, je t’écoute ? » lui demanda-t-il à l’oreille.

Mi-Hann bascula la tête en arrière, déconcentrée par la voix suave de l’homme aux cheveux violets. Ce mouvement décupla encore plus l’excitation de ce dernier dont le rythme cardiaque ne cessait d’augmenter.

« Je sais que ça a forcément un rapport avec votre famille... »

Son cœur cognait dans sa poitrine, il était beaucoup trop proche et l’odeur de son parfum était enivrant. Elle avait oublié où elle se trouvait et elle avait perdu la notion du temps. Lorsqu’elle sentit les doigts d’Ardyn descendre le long de ses épaules et baisser le peignoir les recouvrant, la chaleur l’envahit aussitôt. L’homme approcha alors sa main de la poitrine de la jeune femme et commença à caresser sa clavicule ce qui arracha un petit gémissement à cette dernière qu’elle tenta de retenir. Il baissa la tête juste à hauteur de son cou et s’imprégna de nouveau de son odeur, il n’avait jamais imaginé qu’une femme pouvait sentir si bon.

« C’est encore un jeu pour vous, n’est-ce pas ? » l’entendit-il demander ce qui le sortit totalement de l’emprise dans laquelle il se trouvait.

Il recula d’un pas et regarda sa main, surpris par sa propre attitude. Elle se tourna pour lui faire face et remit son peignoir en place.

« Ardyn, ne jouez pas avec moi s’il vous plait. »

Il la dévisageait sans un mot alors qu’il avait pris pour habitude de formuler de grands discours dans le but de contrôler son auditoire. Elle leva la main pour toucher ses cheveux mais il bloqua son geste, lui signifiant qu’il n’était pas d’accord.

« Vous voyez ? C’est exactement de cela dont je parle et je ne veux pas que ça se passe ainsi. » répliqua-t-elle calmement. « Je vais me coucher. Bonne nuit, Ardyn. »

Il avait agi instinctivement car il ne supportait pas qu’on le touche. Non, ce n’était pas complètement vrai. Il l’avait laissée le manipuler lorsque sa migraine était devenue trop douloureuse à supporter mais c’était uniquement parce qu’il avait baissé la garde pendant un instant. Baisser la garde ? Ça aussi, c’était faux puisque Mi-Hann le massait dès qu’elle sentait que ses maux de tête surgissaient. Comment arrivait-elle à les détecter d’ailleurs ? Il aurait dû se poser ces questions bien plus tôt. Il aurait dû se demander dès le départ pourquoi il l’avait ramenée avec lui, pourquoi il était aussi attiré par elle, pourquoi son odeur le rendait fou, pourquoi son intelligence le fascinait et pourquoi l’idée qu’elle le rejette le terrorisait au plus haut point. Mais Ardyn ne se posa pas ces questions, il nia l’évidence et se cacha derrière un masque de désinvolture.

« Bravo, tu m’as percé à jour ! Je vais devoir redoubler d’ingéniosité si je veux continuer à m’amuser avec toi ! »

Elle le regardait avec une expression qui en disait long sur ce qu’elle pensait de lui à ce moment-là. Elle maudissait les êtres qui étaient responsables de son état psychologique actuel.

« Faites de votre mieux. »

Et elle fila sous les draps sans se demander son reste.

L’homme aux cheveux violets regroupa les travaux écrits et ramassa les trois feuilles qui traînaient encore par terre. Mi-Hann avait déjà commencé à les classer et elle ne s’était pas trompée. Il s’assit à son bureau pensant travailler encore un peu mais son esprit divaguait sans cesse sur ce qui s’était passé quelques minutes plus tôt et il finit par ranger les papiers à leur place habituelle. Il pouvait dormir même sans ressentir de fatigue et là, il sentait quand même qu’il avait besoin de repos. Seulement, il savait qu’il ne pourrait pas dormir convenablement. En jetant un œil vers le lit, il eut l’irrépressible envie de s’allonger pour profiter de la chaleur de Mi-Hann. Agacé par cette émotion qu’il ne pouvait pas contrôler, il se leva brusquement et jeta le premier objet qui rencontra sa main contre le mur. Un pot rempli de stylos stylisés s’écrasa contre la cloison et tomba sur le sol, les outils roulant librement de tous les côtés.

o-o-o-o

Mi-Hann ouvrit lentement les yeux et les écarquilla sous la surprise. Ardyn l’avait rejointe pendant la nuit. Pourtant, depuis qu’elle était là, il n’avait pas une fois partagé le lit avec elle, préférant faire la sieste dans un des fauteuils du salon. Soit il s’amusait encore avec elle soit il était réellement épuisé. Il était vrai qu’il passait de nombreuses heures à travailler sur les recherches scientifiques de l’Empire du Niflheim. Même s’il était immortel, il devait bien y avoir un moment où il avait besoin de repos. Du moins, elle le pensait. Le visage de l’homme aux yeux ambrés était niché dans sa chevelure noire de jais et ses traits étaient tirés. Il avait l’air de faire un cauchemar et c’est lui qui avait dû la réveiller en s’agitant pendant son sommeil. La jeune femme tenta de se soustraire le plus délicatement possible mais les yeux d’Ardyn s’ouvrirent au même moment.

« Tout va bien ? Vous aviez l’air de cauchemarder… »

L’homme se redressa en s’appuyant sur son bras droit et passa sa main dans ses cheveux pour les plaquer en arrière. La jeune femme sourit, elle aimait cette habitude qu’il avait de se dégager le visage des mèches rebelles qui le gênaient.

« Il était plus grand que n’importe qui, portant fièrement son héritage et acceptant son destin avec courage. » déclara-t-elle au bout d’un moment.

« Que dis-tu ? » demanda Ardyn qui s’était assis au bord du lit et tournait le dos à Mi-Hann.

« Un passage du livre dont je vous ai parlé. » répondit-elle, une pointe de fierté dans la voix. « Je l’ai lu tellement de fois que je le connais presque par cœur. »

« Je suppose que ça fait allusion à… »

« À vous oui. » devina-t-elle.

L’homme aux yeux ambrés joint ses mains et hésita avant de parler mais une question lui brûlait les lèvres. Il avait besoin de l’entendre même s’il se doutait de la réponse au fond de lui.

« Qui est l’auteur de cet ouvrage ? »

« L’auteur qui l’a écrit s’appelait Fide Kurena, il s’agit du plus vieil ancêtre dont j’ai connaissance. D’autres membres de ma lignée ont aussi écrit plusieurs livres car le nom de ma famille était lié à la Littérature et aux Sciences au temps de la civilisation de Solheim. Nous sommes tous de gros passionnés de lecture. Cette particularité s’est toujours transmise de génération en génération. » expliqua Mi-Hann, envahie par l’enthousiasme d’obtenir enfin l’intérêt de l’homme sur ce sujet.

« Je vois… » fit simplement l’homme puis il murmura pour lui-même « Il n’y a pas que cette caractéristique qui semble se transmettre chez vous… »

« Ardyn ? » appela-t-elle sans avoir entendu le reste.

Il se leva tout en tournant la tête dans sa direction. Les joues de la jeune femme s’empourprèrent devant le spectacle qu’il lui offrait sans y prêter attention. Ardyn ne portait qu’un simple caleçon et les yeux de Mi-Hann s’attardèrent sur le physique athlétique de ce dernier. C’est là qu’elle les vit. Deux larges cicatrices de plusieurs dizaines de centimètres couvraient son corps, une au niveau de son abdomen et l’autre, sur sa cuisse gauche. C’était là la raison de sa démarche particulière. En souffrait-il encore ? L’homme aux cheveux violets s’aperçut de son trouble mais elle ne lui posa pas de question, ce qui était inhabituel chez elle.

« Est-ce que vous travaillez aujourd’hui ? »

« Non. » répondit-il avec nonchalance. « Les mortels appellent ça un jour de congé. »

Elle s’élança vivement pour se retrouver sur le lit et le fixait, la joie se lisant clairement sur son visage.

« Vraiment ? Pouvons-nous sortir un peu aujourd’hui ? »

Il se frotta le cuir chevelu et pencha la tête sur le côté. Mi-Hann reconnut la mimique qu’il faisait dès qu’il réfléchissait et hésitait à prendre une décision. Il y avait donc des chances pour qu’il accède à sa requête.

« Et où veux-tu aller cette fois ? »

« Ce n’est vraiment pas loin de la capitale, à quelques km à peine. »

« Mais encore… ? »

Il se méfiait, elle avait toujours des idées farfelues surtout lorsqu’elle jouait avec ses doigts et c’est exactement ce qu’elle était en train de faire. D’un autre côté, le mois de mai approchait et il ne lui serait plus possible de quitter la Forteresse avant la mi-mai, sa présence serait fortement requise et il devrait enchaîner les visites et réunions interminables. Une fois Insomnia tombée, il aurait les mains libres pour agir de son côté et poursuivre un plan qu’il préparait depuis 34 ans.

« Très bien. » accepta l’homme aux cheveux violets sans attendre le détail de la sortie qu’elle souhaitait faire.

Le sourire éclatant qu’elle lui offrit ne le rassura absolument pas.

« Vous ne voulez pas savoir où on va ? »

« Je le saurais bien assez tôt mais je m’attends au pire. »

Sans se départir de son sourire rayonnant, Mi-Hann se leva d’un bond.

« Vous allez à la douche en premier ? »

« À toi l’honneur. » répondit Ardyn avec courtoisie.

Rapidement, la jeune femme aux longs cheveux bruns s’empara d’une robe dans la penderie, de sous-vêtements et fila sous la douche. Elle était surexcitée à l’idée d’effectuer cette sortie avec lui, loin de la morne et polluée Graléa. Une fois lavée, elle s’habilla, attacha ses cheveux en une queue de cheval élégante et quitta la salle de bain. Ardyn se trouvait dans la cuisine et buvait un café Ebony tout en lisant un livre. Mi-Hann sortit divers ustensiles de cuisine, deux bentôs et une petite glacière. Puis, elle ouvrit le frigo, en sortit divers aliments et commença à préparer de petites portions qu’elle plaçait dans les compartiments des deux boîtes une fois terminés. Elle y mit des Onigirazu avec diverses garnitures, une omelette, du saumon, quelques légumes cuits. Elle prépara ensuite une tarte aux fraises et versa la moitié de la cafetière dans un thermos. Entre temps, l’homme aux cheveux violets avait fermé son ouvrage pour pénétrer dans la salle de bain. Il prit également sa douche, se rasa, s’habilla comme d’habitude et rejoint ensuite Mi-Hann. Il avait deviné en partie ce qu’ils feraient à l’extérieur et pour une raison étrange, il était plutôt détendu. La jeune femme l’attendait à la porte et lui sourit avec douceur quand elle le vit arriver.

« Je vais porter ça. » dit-il en prenant la glacière de la main de la jolie brune.

« M-merci. »

Ardyn ouvrit la porte et ils quittèrent l’appartement pour rejoindre la voiture. Ils montèrent à bord et le Chancelier impérial demanda la destination à la jeune femme qui lui répondit que l’endroit où elle souhaitait se rendre se trouvait en plein cœur de la forêt du Niflheim. C’était à environ 3 km de la capitale. Ardyn mit le contact et prit la direction de la forêt. La dernière fois qu’il avait foulé ce lieu remontait à deux mille ans, ce dernier avait dû beaucoup changer. Mi-Hann lui indiqua la zone où ils devaient s’arrêter, elle semblait bien connaître les lieux et l’homme aux yeux ambrés coupa le contact quand elle lui confirma qu’ils étaient arrivés. Ils descendirent du véhicule, déchargèrent ce dont ils avaient besoin et empruntèrent un sentier.

Il faisait beau et chaud, les rayons du soleil traversaient le feuillage des nombreux arbres et offraient un spectacle exceptionnel. Des pétales de fleurs semblaient danser au gré d’un vent qui soufflait avec légèreté. Il régnait en ce lieu une atmosphère particulière, presque intime.

« C’est magnifique ! » s’exclama Mi-Hann.

Ardyn observait le paysage qui lui rappela les somptueux jardins de son enfance. C’était la première fois qu’il songeait à des souvenirs heureux depuis la fin de son exil. Ils marchèrent longtemps, plusieurs heures, à se promener à travers les sentiers. Mi-Hann lui parlait de tout et de rien, humait les différentes odeurs de la nature, fredonnait, s’arrêtait parfois pour contempler des fleurs ou des champignons, écoutait les bruits des animaux et du vent sous les yeux curieux du Chancelier qui comprit alors à quel point cette femme aimait la simplicité de la vie. Ils atteignirent une clairière ombragée et s’installèrent sur la couverture que Mi-Hann avait apportée. Elle ouvrit la glacière, sortit les Bentôs et en tendit un à Ardyn. Il souleva le couvercle et vit tout ce qu’elle avait préparé pendant qu’il était plongé dans sa lecture et s’affairait dans la salle de bain.

« Mangez ce que vous voulez. » lui dit-elle simplement.

Il goûta d’abord aux Onigirazu.

« … »

La jeune femme le regardait manger, attendrie et aurait bien aimé lui demander s’il appréciait sa cuisine mais elle s’abstint. D’un autre côté, elle se convainquit que s’il avait terminé intégralement le Bentô, peut-être était-ce parce qu’il avait un peu aimé ce qu’elle avait fait. Son cœur se réchauffa à cette idée.

Le temps passa rapidement et la fin de l’après-midi approchait. Ils devaient rebrousser chemin pour regagner la voiture avant que la nuit n’arrive et éviter d’être surpris par des daemons. Ardyn ne craignait rien mais Mi-Hann était une cible facile. L’homme s’appuya sur sa jambe droite pour se relever ce que remarqua la jeune femme et ils abandonnèrent la clairière. L’homme aux cheveux violets marchait plus lentement que d’habitude et il fronça les sourcils de gêne. Sa cuisse gauche le lançait à chaque pas, il avait mal. La douleur perturbait sa mobilité, il buta sur une branche et effectua une éclipse avant de tomber lourdement sur le sol. Un genou et une main à terre, il se redressa difficilement.

« Ardyn, tout va bien ?! » s’écria la jeune femme qui accourut auprès de lui.

« Ne fais pas attention, ce n’est rien. Continuons. Plus vite nous avançons et plus vite nous serons rentrés. »

Ils abordèrent le retour lentement et même si l’homme aux cheveux violets ne se plaignait pas, chaque mouvement lui était pénible. Il auraient mis beaucoup trop de temps, presque deux fois plus qu’à l’aller pour atteindre le véhicule du Chancelier d’après ses calculs. Ce dernier s’arrêta alors, eut l’air de réfléchir un instant et sans prononcer un mot de plus, souleva la jeune femme dans ses bras.

« Ah ! » s’exclama-t-elle avec surprise car elle ne s’attendait pas du tout à ce qu’il la porte.

« Ne t’agite pas même si tu as peur, je fais ça pour aller plus vite. »

« Je n’ai pas peur. » lui dit-elle sans hésiter.

Elle passa ses deux mains autour de son cou pour lui permettre un peu plus de mouvement. C’était aussi sa façon de lui prouver qu’elle lui faisait confiance. Ardyn enchaîna quelques éclipses s’élevant dans les airs avec agilité, laissant des traînées de brume noire, les mêmes que Mi-Hann avait vu dans le salon de l’appartement. Elle avait l’impression de voler et il semblait tellement maitriser son pouvoir qu’elle ne sentit à aucun moment les phases où il reposait le pied à terre. Elle ferma les yeux, posa sa tête contre son torse et il lui sembla entendre, sous la couche de ses vêtements, que les battements du cœur de l’homme s’intensifiaient. Avait-elle rêvé ? Lorsqu’il atteignirent la voiture violette décorée d’une large bande blanche et que l’homme aux yeux ambrés la déposa à terre, Mi-Hann ressentit une déception qui lui fit prendre conscience de son profond attachement à son égard. 

Il croisa le regard anxieux de Mi-Hann et pensa deviner ses pensées. Elle voulait probablement prendre le volant à sa place.

« Je vais conduire prudemment. »

Lorsqu’ils arrivèrent à l’appartement, il faisait déjà nuit noire. Ardyn se débarrassa de sa veste et se laissa tomber sur le lit en poussant un grognement. La douleur chronique était aigüe et violente mais plus supportable que ses anciennes migraines. Un moment de repos suffirait à atténuer sa gêne.

« Je suis désolée »

La voix de Mi-Hann brisa le silence qui s’était installé depuis qu’ils étaient rentrés.

« Pourquoi t’excuses-tu ? »

Il releva un peu la tête pour voir où elle se trouvait, vit qu’elle était juste devant lui et semblait ne pas savoir quoi faire.

« Je me doutais que vous souffriez par moment mais je n’avais pas idée que ça pouvait être à ce point. Je n’ai pensé qu’à moi en proposant cette sortie, j’avais tellement envie de pique-niquer avec vous… »

Il voulut lui dire qu’elle n’y était pour rien mais les mots moururent dans sa gorge.

« C’est une douleur qui m’empêche d’oublier ce pourquoi je suis revenu. Elle fait partie de moi désormais… »

« Est-ce la personne auquel je pense qui vous a fait ça ? » lui demanda-t-elle alors qu’elle savait qu’il n’aimait pas qu’elle creuse dans son passé. « Est-ce lui qui vous a infligé ces blessures ? »

« Arrête ça tout de suite. »

« Un de vos motifs est-il la vengeance ? »

« Je ne veux pas aborder ce sujet. Tout ceci ne te regarde en rien. »

« Vraiment ? »

Il réagit à cette question parce qu’il revit la scène qui le privait régulièrement de sommeil depuis qu’elle s’était déroulée sous ses yeux. Son impuissance lui revint également en mémoire ainsi que toutes les émotions refoulées jusqu’à présent, en plus de celles qu’il ressentit au moment où son regard plongea dans celui de la jeune femme. Il la saisit fermement par les épaules et la bascula sur le matelas.

« Tu ne pourras jamais comprendre ! » s’écria-t-il.

« Je veux essayer Ardyn ! » répliqua-t-elle aussi sec. « Je ne peux pas si vous ne m’y aidez pas ! »

Il était au bord de l’explosion, il voulait qu’elle se taise, il voulait cesser de la dévorer du regard, il voulait cesser de la désirer et que le feu qui consumait ses sens depuis le premier jour s’éteigne à tout jamais. Mais il se perdit dans ses yeux émeraude, perdit toute logique et raison et ne contrôla plus rien.

« A-Ardyn je… »

Mi-Hann s’arrêta de parler en voyant la lueur qui brillait dans les iris couleur soleil de l’homme qui était en train de se pencher sur elle. Il n’était plus Ardyn Izunia, le Chancelier impérial à présent. Il n’était plus Ardyn Lucis Caelum, l’exilé. Il était un homme guidé par autre chose, son expression était différente. Ses lèvres fines et bien dessinées se posèrent sur son cou, caressèrent sa peau et elle l’entendit sentir longuement son odeur. Elle frissonna, sentit une chaleur indescriptible l’envahir et pencha la tête en arrière. Des baisers se déposèrent le long de sa gorge et il ouvrit légèrement la bouche pour goûter à cette peau blanche qui lui faisait envie depuis si longtemps. Mi-Hann plongea sa main dans la chevelure sauvage de l’homme aux cheveux violets qui se laissa faire. Il releva la tête brièvement, brisant ainsi ce contact physique qui le rendait si mal à l’aise mais la main de la jeune femme s’arrêta alors sur sa joue pour l’effleurer tendrement et fit le contour de sa mâchoire du bout des doigts. Il décela alors le même désir dans ses yeux de jade qui l’embrasait tout entier.

« Vous avez des yeux magnifiques. » lui avoua-t-elle tendrement.

Il se redressa sur le lit, enleva son gilet puis sa chemise et agrippa le poignet de la jeune femme pour l’attirer à lui. Il la débarrassa de sa robe puis de son soutien-gorge et l’allongea sur le dos, observant alors la vue qu’il avait devant lui. Sa poitrine, qu’il avait imaginé plus d’une fois, se révélait bien plus exquise que dans son esprit. La jeune femme ne put retenir un cri lorsqu’Ardyn se mit à jouer avec ses seins et qu’il suça doucement les tétons qui durcissent au contact de sa langue. Elle haletait et sentit son entrejambe se resserrer devant la montée de désir que cet homme lui inspirait. Les mains de l’homme se baladaient sur son corps blanc et s’arrêtaient parfois sur certaines parties charnues que ses doigts serraient comme pour les posséder. Ces préliminaires durèrent de très longues minutes comme si Ardyn n’était pas rassasié. Lorsqu’il quitta enfin le haut de son corps, il la regarda brièvement et fut happé par l’intensité de son regard empreint de désir et par la vitesse à laquelle sa cage thoracique se soulevait après chaque respiration frénétique. Il ôta le reste de leurs vêtements et fit glisser ses lèvres sur le ventre de la jeune femme lui arrachant plusieurs gémissements incontrôlables. Lorsque sa main caressa sa cuisse pour rejoindre ensuite son entrejambe, il vit Mi-Hann se cambrer ce qui le fit sombrer un peu plus dans l’irrationnalité. Il embrassait, caressait, léchait, mordait sa peau avec un appétit insatiable et lorsque ses doigts s’aventurèrent dans l’intimité de la jeune femme, il sut qu’il était trop tard et qu’il ne pourrait plus faire marche arrière. Les gémissements de la jolie brune le rendaient complètement fou et après un moment d’hésitation qui lui parut une éternité, il la pénétra.

Ardyn sentit une résistance et Mi-Hann poussa un petit cri de douleur. Elle était vierge. Il ne put s’empêcher de ressentir une certaine fierté à posséder ce corps pour la première fois, fierté virile probablement ridicule mais il n’en avait cure. Il effectua de lents va-et-vient pour habituer son corps à ses mouvements jusqu’à ce que la douleur soit remplacée par le plaisir, un plaisir intense. Il fit de nombreuses pauses et lorsque il entra en elle facilement et qu’elle répondit enfin à ses mouvements, il sut que son corps s’était acclimaté à son membre. Ardyn perdit alors toute retenue. Sa chaleur s’empara de lui et il oublia tout l’espace d’un instant, imprimant l’odeur caractéristique de sa peau dans sa mémoire et le parfum enivrant de ses longs cheveux ébènes. Il se redressa, releva les fesses de sa partenaire et reprit ses va-et-vient frénétiques afin de pouvoir se délecter de la vision qu’elle lui offrait. Sa partenaire serrait les draps froissés entre ses doigts crispés par le plaisir, ses joues rouges et ses yeux brillants à demi clos décuplaient les sensations de l’homme aux yeux ambrés. Un premier orgasme se déclencha et la voix plaintive de Mi-Hann embrasa Ardyn de plus belle. Il l’attira sur lui dans une position assise qui l’intensifia le plaisir qu’il ressentait, avide de contempler d’encore plus près l’effet qu’il lui faisait. Il avait perdu la notion du temps, noyé dans le regard émeraude exalté de la jeune femme et il se libéra en elle dans un râle de jouissance incontrôlé.

Respirant tous deux rapidement, essoufflés et le cœur battant, ils restèrent de longues secondes immobiles, l’un contre l’autre à se fixer en silence. Alors, Mi-Hann rapprocha son visage du sien et déposa un baiser subreptice d’une infinie tendresse sur ses lèvres. Ardyn ne réagit pas tout de suite, pris dans une tempête émotionnelle incomparable mais dès qu’il revint à la réalité, il la repoussa sans violence, une lueur d’incompréhension dans les yeux. Elle s’en rendit compte et s’excusa immédiatement.

« Je vous prie de m’excuser. Je me suis laissée portée par…le moment. » essaya-t-elle de justifier.

Elle se leva en silence et se rendit dans la salle de bain où elle se laissa tomber contre la porte. Elle releva ses genoux, croisa ses bras et posa sa tête dessus en soupirant.

« Qu’est-ce qu’il vient de se passer… ? »

Paralysé par ce qu’il venait d’accepter, Ardyn prit conscience de ce qu’il s’était passé entre eux et fut envahi par la peur, pour la première fois depuis des siècles. Il regarda sa main tremblante, effrayé par ses propres réactions. Il avait cédé à sa pulsion sans réellement s’en apercevoir et il ne comprenait même pas comment les choses avaient pu basculer. Cela ne pouvait plus durer, elle le rendait irrationnel et ce terme ne faisait pas partie de son vocabulaire. Il s’était laissé aller alors qu’il avait pris pour habitude de tout contrôler depuis son retour, de tout calculer. Ses projets prenaient forme et il n’y avait que cela qui comptait. Le reste ne devait pas avoir d’importance. Il se sentit épuisé et eut besoin de recharger ses batteries. L’homme aux yeux ambrés remit le drap en place et se coucha dans le lit en tournant le dos à la porte de la salle de bains.

Mi-Hann revint dans la chambre quelques minutes plus tard et vit qu’Ardyn s’était allongé et semblait dormir. Elle s’assit au bord du lit et commença à démêler ses cheveux, qu’elle avait lavés, avec ses doigts. Elle n’avait pas envie de se coucher et se leva pour rejoindre le petit bureau sur lequel elle avait dessiné le premier jour. Une lampe de chevet était posée dessus, elle l’alluma pour éclairer le coin et chercha un livre à lire dans la grande bibliothèque du propriétaire des lieux. La femme aux yeux verts trouva un ouvrage traitant des relations diplomatiques entre les nations d’Eos et lut jusqu’à ce que la fatigue commence à l’assommer.  

Le lendemain matin se passa dans le silence le plus total. Ils ne s’échangèrent ni un regard ni une parole jusqu’à ce que l’homme aux cheveux violets ne se décide à lui parler enfin mais elle ne s’attendit pas à ce brusque changement d’attitude.

« Je te ramène à Altissia dès demain. » déclara-t-il sans la regarder.

« Pardon ? »

« Tu es libre. »

« Mais je…non ! S’il vous plait ! » 

« Je vais être très occupé dans les prochains jours. Je ne pourrais pas t’avoir dans mes pattes. » 

Un silence de mort régnait dans la pièce. Mi-Hann fixait ses pieds et ses mains tremblantes, étaient posées sur ses cuisses.

« Je pensais que nous nous étions un peu rapprochés, que nous avions une relation spé… »

« Je ne serai jamais amoureux de toi, ôte-toi cette idée de la tête. »

« Vous avez de nouveau joué avec moi… »

Il l’entendit étouffer des sanglots et sa mâchoire se serra sans qu’il ne put contrôler la frustration qu’il ressentait à ce moment-là.

« Très bien, je comprends. » fit-elle sans émotion. Elle avait rapidement retrouvé son calme et s’était exprimée de façon neutre.

« … »

C’était trop soudain pour elle, elle eut l’impression d’avoir fait ou dit quelque chose qui l’avait froissé mais préféra ne rien rajouter de plus. Tout était compliqué avec cet homme.

Ils firent donc le trajet en bateau pour rejoindre Altissia en toute discrétion. Le Chancelier avait minutieusement planifié ce déplacement afin que ses actions passent inaperçues aux yeux de l’Empereur du Niflheim. Fort heureusement, ce dernier était tellement obsédé par le Cristal qu’il était facile pour lui de le duper. Arrivés dans la ville, l’homme aux cheveux violets s’apprêtait à repartir après avoir salué la jeune femme quand cette dernière l’arrêta au dernier moment.

« Attendez s’il vous plaît. » implora-t-elle.

« Si tu comptes me demander de faire demi-tour... »

« Non, ce n’est pas ça. Seulement, je… » elle avait du mal à trouver ses mots et à le regarder dans les yeux. « Pouvons-nous passer un dernier moment ensemble avant que vous ne partiez ? S’il vous plait. »

« Malheureusement, je suis assez pressé vois-tu, je dois repartir rapidement. »

Ses yeux échappèrent de nouveau à son contrôle et se posèrent sur le visage de Mi-Hann. Il soupira, vaincu.

« Très bien mais quelques minutes, pas plus. »

Le sourire enchanteur de Mi-Hann lui laissait présager le pire. Elle l’invita à la suivre à travers les rues d’Altissia. La ville débordait de vie et d’animation. Ils montèrent ensuite dans une gondole et la jolie brune demanda au gondolier de les mener au marché de Maagho. Agacé par ses propres contradictions, Ardyn commençait à regretter d’avoir accepté la requête de la jeune femme.

« Vas-tu me dire dans quel endroit insolite tu me traînes encore de force ? »

« J’adore cet endroit. » avoua la trentenaire.

« Mais c’est que j’aurais presque peur ! » feint-il de s’inquiéter.

La gondole s’arrêta à destination. Il y avait une belle ambiance. De la musique était jouée par un petit groupe local et pas mal de gens bougeaient au son des instruments. Peu osaient s’aventurer sur la piste mais les quelques couples s’y étant osés offraient un spectacle divertissant aux spectateurs. Ardyn appréhenda alors ce qui l’attendait.

« Tu ne vas quand pas me demander de… » se plaignit-il.

« Ça pourrait être amusant, non ? Qu’en dites-vous ? »

« C’est ridicule ! » s’exclama l’homme qui avait repris son rôle habituel.

« Eh bien, j’aime les choses ridicules de la vie comme vous dites. C’est ce qui me rend heureuse. Je souhaite simplement marcher un peu en votre compagnie tout en profitant de la musique. »

Il allait répliquer lorsqu’une voix masculine s’imposa à eux.

« Mi-Hann ? Bon sang, je me suis tellement inquiété ! Il y a des semaines qu’on a plus de nouvelles. »

Un homme blond aux yeux marrons et de stature moyenne s’approcha d’eux. Il avait les cheveux en bataille et devait mesurer environ 1m80.

Image

 

« Owen… » fit simplement la jeune femme. « Je vais bien, ne t’en fais pas. »

Ce dernier se permit de l’enlacer en jetant un œil dans la direction du Chancelier qui fronça les sourcils, dérangé par la présence de l’individu. Visiblement, c’était le bon moment pour clore cette vaste plaisanterie et retourner à ses préoccupations. La jolie brune qui s’était soustraite à l’étreinte amicale de son ami, s’aperçut tout de suite du départ de l’homme aux cheveux violets et se précipita à sa suite. Pourquoi devait-il toujours marcher aussi vite ?

« Hé, où vas-tu ? » demanda Owen, perplexe.

« Attends-moi, je reviens tout de suite. »

Elle courut pour rattraper Ardyn qui s’apprêtait à monter dans la gondole.

« Où allez-vous ? » demanda-t-elle inquiète.

« Je dois partir. » lança-t-il sèchement sans la regarder.

« Oh…Très bien. Est-ce que nous nous reverrons ? »

Il devait briser ce lien, il le fallait. Il se retourna vivement.

« Me revoir ? Tu es pitoyable. »

« Je ne comprends pas. »

« Un restaurant, des questions, une promenade ? As-tu espéré me « sauver » ? Me rendre mon humanité ? Tu perds ton temps, elle est morte depuis longtemps. »

« Cela n’a jamais été mon intention. Je voulais juste passer du temps avec vous… » tenta d’expliquer la jeune femme.

Ardyn ne pouvait pas la laisser poursuivre.

« Tu me ferais presque pitié. Tu ressembles à un pauvre petit animal abandonné. »

« Arrêtez… »

« Tu n’es qu’une simple distraction. »

« Ça suffit. »

« Je me sers de toi et toi, tu marches comme une idiote. »

Elle ne pleura pas cette fois et ce n’était absolument pas l’effet qu’il attendait.

« Je vois clair en vous. Vous essayez de me blesser pour que je change d’opinion sur vous mais rien de ce que vous pourrez me dire ne fonctionnera. »

« Ne dépasse pas les limites. » la coupa l’homme aux cheveux violets. « Je n’ai pas de temps à perdre avec toi. Tu devrais rejoindre Owen, il t’attend. »

« Vous avez raison, c’est…mieux ainsi. » se résigna-t-elle. « Vos mots et vos gestes sont paradoxaux et je… »

Il la saisit fermement par les deux bras la menaçant du regard mais la jeune femme le soutenait sans aucune peur. Il aurait pu la briser en un instant mais les ombres de son passé s’étaient engouffrées dans son cœur et il en était devenu incapable. Il la lâcha et monta finalement dans la gondole pour disparaître au plus vite de cette maudite ville.

Mi-Hann, laissée en plan, tourna les talons et prit la direction du marché pour retrouver son ami qui n’avait pas bougé mais elle voulait vite rentrer chez elle pour qu’une fois seule, elle puisse laisser éclater sa peine.

Était-ce une peine de cœur d’ailleurs ? Probablement. Son admiration s’était rapidement muée en affection sincère. Elle se trouva idiote de s’être amourachée d’un homme qui pouvait se montrer aussi dur avec elle mais elle savait qu’il cachait sa véritable nature. Il y avait tant d’indices qui le lui prouvaient. Il avait sûrement peur de s’attacher à quelqu’un. C’était une évidence. Comment pouvait-il en être autrement ? Elle avait elle-même expérimenté la douleur de la perte d’un être cher donc en étant destiné à leur survivre tous, il ne pouvait pas en être autrement. Et s’il savait combien c’était douloureux, c’est qu’il l’avait déjà vécue.