Une lumière dans les ténèbres - Chapitre II

 

 

 

 

Solheim, un peu plus de 2000 ans avant l'époque actuelle.

« Tu es fait comme un rat ! » s'écria un petit garçon aux cheveux noirs comme l'ébène et aux yeux bleus.

« Je crois que j'ai déjà entendu ça ! » répliqua celui à qui ce dernier s'adressait.

Une femme d'un certain âge levait les bras au ciel en courant dans leur direction.

« Monseigneur Ardyn ! Monseigneur Somnus ! C'est l'heure de votre leçon ! Cessez de vous battre » fit-elle.

Les deux garçons se regardèrent, acquiescèrent chacun leur tour et se mirent à s'enfuir dans l'autre direction afin d'échapper à leur préceptrice. Ils coururent plusieurs minutes, se faufilant à travers les jardins quand le plus grand des deux s'arrêta.

« Somnus, je pense qu'on l'a semée. »

« Oui. Comme d'habitude, Flora ne nous poursuit pas bien longtemps. »

Ils rirent de bon cœur devant la farce qu'ils avaient l'habitude de jouer à leur gouvernante.

« Décidément, les garçons sont vraiment idiots ! » lança une voix féminine au-dessus d'eux.

Ils levèrent la tête et aperçurent une toute jeune fille à peine plus âgée qu'eux, blonde aux yeux bleus qui se tenait assise sur la branche d'un arbre fleuri.

« Et toi Aurore, toujours aussi garçon manqué ! » Se moqua le brun.

Elle descendit de son arbre aussi agile qu'un chat et se posta devant Somnus, visiblement irritée.

« Je suis une dame d'abord ! Tu ne devrais pas me parler comme ça » se défendit-elle.

« Encore faudrait-il que tu agisses comme une dame ! »

« Répète ça ? » s'énerva l'enfant.

Ardyn les regardait se disputer, amusé. Ces deux-là se chamaillaient toujours pour un oui ou pour un non mais il savait qu'au fond d'eux, ils s'adoraient. Attiré par le bruit, un autre jeune garçon brun aux yeux verts quant à lui, fit alors son apparition à la fenêtre ouverte de la magnifique citadelle.

« Ardyn ! Somnus ! Je vous ai enfin trouvé ! Flora n'arrête pas de courir partout affolée et votre père commence à s'impatienter. » cria-t-il assez fort pour se faire entendre.

« Pardonne-nous Fide. Nous arrivons tout de suite. » affirma Ardyn calmement.

Les deux frères rejoignirent leur camarade dans la maison familiale et se préparèrent à se faire gronder par leur préceptrice. Fide les attendait debout à côté d'elle tandis que le père des garçons tapait du pied à proximité. Quand il les vit, il s'approcha d'eux, l'air sévère.

« Ce n'est pas ainsi que les Izunia sont censés se comporter mes fils ! Combien de fois va-t-il falloir que je vous le répète ? Vous ne pouvez pas vagabonder dehors tout en étant conscients des risques. Quant à toi Fide Kurena, je t'ai adopté à la mort de tes parents qui étaient mes plus proches amis et je te considère comme mon propre fils. Ne me déçois pas. »

Ce dernier baissa la tête, penaud.

« Pardonnez-moi Monseigneur Izunia. J'ai manqué de vigilance » s'excusa le brun.

Ardyn s'avança alors.

« Père, ce n'est pas de sa faute. C'est moi qui ai provoqué Somnus en duel et qui ait volontairement échappé à l'attention de Flora et Fide » avoua le garçon.

Il se tenait droit et regardait devant lui comme pour accuser fièrement les remontrances de son père. .

« Quand vas-tu t'assagir Ardyn ? Tu entraînes ton petit frère dans tes bêtises. Tu es mon premier né et c'est à toi de montrer l'exemple » gronda l'homme d'une quarantaine d'années. « Comme punition, tu iras nettoyer les écuries des Chocobos avec Fide. »

« Oui, Père » murmura le jeune garçon tout en le regardant.

« Ce sera tout pour aujourd'hui. Filez à votre leçon et tâchez de faire preuve de maturité ! »

Leur père retourna à ses occupations tandis que ses fils se rendaient en salle d'enseignement, accompagnés de leur gouvernante et de Fide qui traînait les pieds derrière elle. Somnus se rapprocha de son frère discrètement.

« Pourquoi as-tu dit que c'était toi ? Père est toujours plus sévère avec toi qu'avec moi » demanda-t-il.

« Parce-que tu es mon frangin adoré évidemment » répondit doucement Ardyn.

« Je savais que ça ne pouvait pas être Ardyn ! » s'exclama un peu trop fort Fide qui marchait devant eux.

« Un peu de silence jeunes gens ! » leur somma leur gouvernante.

Ils arrivèrent enfin au bout d'un long couloir, qui semblait ne pas avoir de fin, devant une porte que Flora ouvrit avec énergie. A l'intérieur, se trouvait déjà Aurore qui était assise à son pupitre et devait attendre ses amis depuis un certain temps. Elle fit signe au cadet des jumeaux de venir s'asseoir à côté d'elle ce qu'il s'empressa de faire. Ardyn prit place sur le banc à leur droite, rejoint immédiatement par son plus fidèle ami.

« Bien les enfants. Nous allons commencer la leçon. Tout d'abord, qui peut me rappeler dans l'ordre, le nom des Six ? »

Aurore leva la main vivement afin d'être interrogée.

« Oui Aurore ? »

« Titan, l'Archéen, aussi inébranlable que la pierre. Ramuh, le Fulguréen, à l'esprit vif comme l'éclair. Shiva, la Glacéenne, douce comme la neige. Léviathan, l'Hydréenne, implacable comme la marée. Bahamut, le Draconéen, dur comme l'acier. Ifrit, l'Infernal, changeant comme le feu. Ils sont les Six qui veillent sur Eos depuis la nuit des temps. » récita-elle par cœur.

« Très bien Aurore, tu peux te rasseoir. »

La petite fille s'exécuta, contente d'elle-même.

« Fayotte ! » lui lança Somnus pour la narguer.

Elle lui écrasa discrètement le pied en guise de réponse, suite à laquelle il étouffa un cri douleur. Ardyn s'esclaffait de son côté devant le spectacle offert à sa vue. Fide lui mit un léger coup de coude afin qu'il se concentre de nouveau sur la leçon qui se poursuivit ensuite dans le calme pendant deux heures.

« C'est l'heure de la pause. Monseigneur Ardyn, Fide, les écuries vous attendent. Une fois que vous aurez terminé votre punition, vous vous rendrez à votre leçon avec le maître d'armes. Aurore, Monseigneur Somnus, votre précepteur de danse vous attend. »

Les enfants obéirent et se séparèrent pour s'atteler à leurs tâches respectives. Les écuries se situaient en amont de la vaste maison familiale qui était protégée par de hauts murs en granit. Ce paysage magnifique toujours béni par le soleil était devenu une habitude pour ses résidents et ils n'y prêtaient plus vraiment attention.

Les deux garçons entrèrent dans les écuries et saluèrent un homme âgé qui travaillait déjà sur place. Il y avait beaucoup de box occupés par les grands volatiles dont l'une des portes était ornée d'un blason. Il devait s'agir de la monture du père des garçons. L'animal qui l'occupait était noir et majestueux. Tous les autres étaient jaune. Ardyn grimpa sur un petit tabouret qui se trouvait devant la porte du box et appela affectueusement le Chocobo. Ce dernier s'approcha du garçon sans peur et se laissa caresser avec plaisir.

« Tu aimes vraiment ces animaux » lui dit Fide.

« Oui mais les noirs sont vraiment les plus beaux ! » avoua l'enfant.

« Et les plus rares, corrigea le vieil éleveur. Même en faisant reproduire deux Chocobos noirs entre eux, il est extrêmement rare d'en obtenir un de la même couleur. En général, ils naissent tous jaune. J'ai bien peur qu'un jour, ils soient voués à disparaître si personne ne s'en soucie. »

Le jeune garçon était en admiration devant la monture. Ce n'était pas tant sa rareté qui l'impressionnait mais il trouvait que ce spécimen était différent des autres, plus intelligent et noble comme s'il était conscient de sa singularité.

« Tu crois qu'un jour je pourrais en avoir un pareil ? »

« Monter cet animal est un grand honneur et il faut le mériter. Peut-être que si tu accomplis de grandes choses, l'un d'eux te reconnaîtra digne de le chevaucher. Mais pour l'heure mon cher enfant, tu as du travail. »

« Oui, pardon Will. Je m'y mets tout de suite. » s'excusa Ardyn.

Les deux amis nettoyèrent les box des volatiles, renouvelèrent la litière, leur donnèrent à manger et les brossèrent. Le vieil homme s'occupa de couper les serres des animaux qui étaient trop grandes et pouvaient les gêner dans leurs nombreux déplacements. La fin de matinée approchait et les jeunes garçons avaient rendez-vous avec leur maître d'arme pour leur séance d'entraînement. Ardyn était extrêmement proche de son frère mais il passait la plupart de son temps en compagnie de Fide. Ce dernier lui avait été présenté comme son nouveau frère et bras droit par son père lorsqu'il n'avait que 6 ou 7 ans. De ce fait, il le suivait comme son ombre. Quant à Somnus, il avait du mal à cacher sa grande affection pour Aurore malgré ses nombreuses tentatives pour l'importuner ce qui faisait beaucoup rire Ardyn.

C'est ainsi que 10 ans passèrent, dans la paix et le cadre exceptionnel de Solheim. Malheureusement, de sombres nuages pointaient à l'horizon et un cataclysme, qui bouleverserait à jamais l'existence insouciante de ses habitants, s'annonçait.

o-o-o-o

Un messager, fatigué et apeuré fit un jour son apparition dans la maison familiale. Il fut rapidement présenté au maître du domaine, Gilliam Izunia, le père d'Ardyn et Somnus qui étaient alors respectivement âgés de 22 ans et 17 ans.

« Monseigneur, j'apporte des nouvelles d'une gravité sans précédent. » déclara le visiteur qui avait du mal à retrouver son souffle, visiblement affolé.

« Que se passe-t-il ? » tenta de comprendre l'homme âgé. « Qu'on lui apporte un siège et un verre d'eau ! Vous devez être exténué et vous semblez venir de loin. »

« Merci Votre Grâce. » se reprit le messager. « A l'ouest de Leide, au cœur du disque de Cauthess, un météore a surgi des cieux et allait s'écraser lorsque Titan est apparu pour le retenir. »

« Comment ? Le Dieu Titan en personne ? » s'écria le vieil homme.

« Cela paraît incroyable mais je vous jure que je dis la vérité. »

« N'ayez crainte mon bon ami, je vous crois. »

Des murmures s'élevaient parmi l'assemblée.

« Il y a plus grave Monseigneur. Il se passe des choses vraiment étranges depuis. Une grande partie des régions a été détruite, c'est un miracle que votre belle cité ait été épargnée. La population locale a à peine eu le temps de fuir. Personne ne peut dire précisément à quel moment l'astre est tombé du ciel. Les gens tombent malades, c'est très inquiétant. Les médecins des villages ne savent pas comment enrayer cette maladie. »

« Par les Six ! » s'exclama le père. « Comment se présentent les symptômes ?»

« On ne le sait pas encore très bien, juste que les gens se sentent soudainement très fatigués, comme vidés de leur énergie et ils ont des sortes de traînées violacées sur les bras, le visage ou d'autres parties du corps. Cela diffère d'une personne à l'autre. » expliqua le messager.

« Quelle horreur ! » s'indignèrent les domestiques.

« Le plus troublant dans tout ça, c'est que les habitants commencent à penser qu'il s'agit d'une épreuve divine visant à tester leur Foi. Ils pensent que les Dieux ont décidé de nous punir parce-que nous accordons moins d'importance à nos croyances. Beaucoup n'essaient donc pas de se soigner. A ce rythme, l'épidémie risque de s'étendre partout. »

« Il faut vite enrayer ce mal. S'il s'agit effectivement d'une réponse des Dieux, c'est que nous avons fait quelque chose qui les a contrariés. Je vais quérir l'aide des plus éminents guérisseurs de Solheim et les envoyer aider ces pauvres gens. Préparez l'aéronef sur le champ ! »

« C'est impossible Monseigneur » corrigea le messager. « Nous avons déjà tenté de venir ici en utilisant la voie aérienne mais il y a quelque chose qui empêche leur fonctionnement. On ne peut plus les faire voler nulle part dans Solheim. »

Alors qu'il se levait pour donner d'autres ordres, le vieil homme fut pris d'une violente quinte de toux et se laissa retomber lourdement sur sa chaise.

« Monseigneur ! » s'écria Flora accourant à ses côtés. « Reposez-vous, cela vous arrive de plus en plus souvent ces derniers temps. Vous vous tuez à la tâche ! »

« Merci de vous inquiéter de mon état de santé ma chère amie mais il y a plus urgent. »

« Par les Six, ménagez-vous je vous en prie » supplia la gouvernante.

Hélas, malgré l'intervention rapide du chef de famille, rien n'y fit. La maladie était inconnue et avait frappé subitement la région. Elle se déclarait d'abord par des stigmates présents sur la peau des gens qui progressaient aléatoirement d'un individu à l'autre jusqu'à parfois recouvrir tout le corps. Les personnes touchées étaient mises en quarantaine et isolées afin d'éviter la contamination mais les « guérisseurs » ne savaient pas réellement comment elle se propageait et surtout, l'isolement n'empêchait nullement la propagation de l'épidémie. Pour les gens, il s'agissait purement et simplement d'une punition divine.

Les premiers cas au Sud-Est de Solheim apparurent rapidement et rien ne semblait pouvoir arrêter cette maladie. La peur avait pris la place de l'harmonie et la population commença à s'enfermer chez elle, ne sortant que par obligation et les rues n'étaient plus aussi animées.

Au sein de la maison familiale, l'anxiété et l'incompréhension avaient gagné le cœur de ses résidents. Seulement, l'insouciance est souvent le synonyme de la jeunesse.

Ardyn et ses camarades continuaient de mener une vie libre de toute inquiétude, malgré les recommandations de l'ensemble des employés de la résidence. Ils se promenaient dans les jardins, poursuivaient leurs leçons et arpentaient parfois les rues de la cité à la recherche d'aventures. C'est Somnus qui insistait le plus souvent pour sortir car il ne supportait pas l'enfermement et entraînait inconsciemment ses amis avec lui. Comme il ne souhaitait pas le laisser seul, Ardyn l'accompagnait. Le moins enchanté des quatre était sans aucun doute Fide, qui ne désirait pas désobéir au maître des lieux mais sa mission de bras droit l'importait plus qu'il ne voulait bien l'admettre. Quant à Aurore qui devenait de plus en plus belle, elle suivait Somnus n'importe où, à la grande joie de ce dernier. D'ailleurs, le frère aîné ne manquait pas une occasion de taquiner son cadet sur l'évolution de leur relation. Ils étaient simplement quatre enfants devenus de jeunes adultes.

« Quand lui déclareras-tu tes sentiments ? » lui glissa-t-il à l'oreille en le prenant à part.

« Je ne sais pas, j'ai peur qu'elle me repousse. » avoua le jeune homme aux yeux bleus.

« Aurore, te repousser ? Mon pauvre frère, tu es bien aveugle » se moqua Ardyn. « Tu ne devrais pas attendre trop longtemps où elle risque de te filer entre les doigts. »

« Qu'est-ce que tu insinues ? » réagit Somnus vivement. « Elle te plaît aussi c'est ça ? » s'énerva-t-il subitement.

« Mais non, pas du tout. Je dis juste que si tu ne te dépêches pas, c'est peut-être un autre homme qui te la prendra. » tenta de temporiser le plus grand, étonné par le comportement du plus jeune.

« Ça ne va pas ? » demanda Fide qui veillait toujours avec bienveillance sur leur petit groupe.

« Oh, ah non, tout va bien. Excuse-moi de m'être emporté mon frère. J'ai les nerfs à fleur de peau en ce moment. »

« Ce n'est pas grave. » le rassura Ardyn.

En réalité, le jeune homme brun aux yeux d'ambre trouvait son frère changé depuis quelques temps. Ils étaient moins proches, Somnus passant quasiment tout son temps en compagnie d'Aurore. Il n'était pas jaloux, loin de là mais son frère lui manquait beaucoup. Ils étaient devenus des adultes donc il était normal que chacun d'entre eux trouve sa voix. Cependant, le cri d'effroi d'Aurore l'arracha à ses pensées.

« Somnus ? » interpella la jolie jeune femme. « Ça ne va pas ? » demanda-t-elle inquiète.

« Je…je me sens soudain très fatigué… » fit le jeune homme en chancelant.

« Ton avant-bras, regarde ! » s'écria-t-elle terrorisée par ce qu'elle était en train de fixer.

Elle le désigna de son doigt et tous dirigèrent leur regard sur le membre du frère cadet.

« C'est… ? » commença à demander Fide, inquiet.

Ardyn se précipita sur son frère qui allait tomber lourdement sur le sol. Il réclama l'aide de son fidèle bras droit afin de porter Somnus qui s'était évanoui et ils l'emmenèrent jusqu'à la demeure familiale. Ils étaient tous conscients du risque qu'ils prenaient mais avaient-ils le choix ? Ils ne pouvaient pas se résoudre à laisser leur ami livré à lui-même et sur le feu de l'action, ils n'avaient pas du tout réfléchi aux conséquences. Alerté par les cris des résidents, le père des garçons exigea qu'on amène son fils dans sa chambre et que personne n'entre sans sa permission.

« Est-ce que vous êtes entrés en contact avec les stigmates ? » interrogea-t-il.

« Non, nous n'y avons pas touché. Fide et moi avons néanmoins porté Somnus de l'extérieur jusqu'à son lit mais Aurore est restée à distance » expliqua Ardyn.

« Bien. Aurore, sors immédiatement » ordonna le chef de famille.

« Je veux rester auprès de Somnus » implora-t-elle.

« L'heure est grave ma chère enfant. Nous connaissons mal cette maladie mais vous nous avez peut-être tous contaminé par votre manque de prudence. Moins nous prendrons de risque, mieux nous pourrons isoler cette épidémie. Nous ne savons pas comment cela se contracte. »

L'aîné serra les dents devant la souffrance évidente de son petit frère. Les stigmates apparaissaient peu à peu sur tout son bras et ce, en quelques heures seulement. Leur père avait fait venir un guérisseur et tous portaient un masque devant la bouche, espérant ne pas avoir été infectés.

« Docteur, puis-je rester auprès de mon frère ? » supplia le brun aux yeux ambrés.

« Justement ! » dit-il. « Vous avez été, vous et Fide Kurena, directement en contact avec lui donc vous allez devoir rester dans cette chambre en isolement, à l'écart de mon patient. Vous n'êtes pas autorisés à sortir de cette pièce jusqu'à ce que votre quarantaine soit passée. »

« Très bien. » obéit Ardyn.

Le chef de la famille Izunia s'assit sur une chaise en se prenant la tête entre les mains. L'un de ses fils était infecté, le second l'était peut-être également. A ce jour, Solheim n'avait que très peu d'informations sur la progression de la maladie. Il attendait le retour d'une équipe partie observer l'évolution de l'épidémie car il n'avait pas eu de retour à ce jour sur d'éventuels décès et il était conscient d'avoir amené ces gens à une possible mort. L'homme avait les traits tirés, son âge avancé commençait à le rattraper et il y avait encore tellement à faire. Ses fils n'étaient pas prêts à lui succéder.

L'état de Somnus s'aggravait de jour en jour. Le médecin avait fini par ne plus venir du tout, terrorisé à l'idée de contracter lui aussi le virus. Ardyn ne quittait pas le chevet de son frère, Fide se trouvait non loin de lui. Peu lui importait d'attraper la maladie. Si son frère devait mourir, il ne s'en remettrait pas.

« Ardyn, tu devrais dormir un peu. » conseilla Fide.

« Je ne peux pas. J'ai trop peur de le voir partir et de ne pas être là si ça devait arriver. Pourquoi est-ce que ça doit lui arriver à lui ? »

« Je ne sais pas mon ami. » dit-il en posant une main sur son épaule.

L'aîné prit la main de Somnus dans les siennes et commença à sangloter discrètement.

« Si je pouvais…Si je pouvais, je prendrais ta place… » murmura-t-il.

Et alors qu'il parlait, Fide écarquilla les yeux en observant la scène qui se déroulait sous ses yeux. Les stigmates qui s'étaient étendues sur plus de la moitié du corps de Somnus diminuaient peu à peu. Il secoua la tête et se frotta les yeux, pensant rêver. Non, c'était bien réel.

« Ardyn, tu… » hésita-t-il à dire.

Il lui semblait entrevoir une espèce de légère aura sombre qui se déplaçait du bras de Somnus jusqu'aux mains de son meilleur ami.

« Bon sang, tu es en train de le soigner ! Comment est-ce possible ?! » s'écria Fide.

Mais le brun aux yeux d'ambre ne répondit pas, il était comme choqué par ce qu'il venait de se passer. Quand il réalisa enfin ce qu'il venait de faire, il se sentit comme submergé par quelque chose d'inconnu, de particulier, mais lorsque Somnus ouvrit les yeux, cette émotion fut remplacée par de la joie.

« Où suis-je ? » demanda ce dernier.

« A la maison. Tout va bien mon très cher frère, tu es guéri maintenant. » rassura l'aîné en tenant toujours sa main.

« C'est…c'est incroyable ! » avoua Fide. « Je n'arrive pas à y croire. N'est-ce qu'une coïncidence ? »

« Il faut que j'aille voir Père tout de suite. » déclara Ardyn, résolu. « Somnus, repose-toi un peu. Je reviendrai te voir un peu plus tard. »

« D'accord… » acquiesça ce dernier, les yeux à demi-clos.

Le jeune homme sortit de la chambre et se rendit en toute hâte dans le salon où se trouvait probablement son père, talonné par son ami. Il ouvrit les grandes portes avec énergie. Surpris par le bruit, son géniteur se retourna et s'apprêtait à se fâcher face à la désobéissance de son fils quand Ardyn ploya le genou devant lui.

« Père ! » s'exclama-t-il.

« Ardyn ! Cette fois, c'en est trop. Tu dépasses les bornes ! » s'écria le chef de famille.

« Somnus est guéri père ! »

« Comment ?! »

Abandonnant les deux jeunes hommes sur le champ, l'homme âgé s'empressa de retrouver son jeune fils bien aimé. Il courut jusqu'à la chambre de Somnus, traversant le long couloir qui séparait le salon de la pièce qu'il souhaitait atteindre et entra dans la chambre sans frapper.

« Mon fils ! » s'écria-t-il heureux.

« Père ! Je vais mieux, regardez. Il n'y a plus aucune trace nulle part. »

Son géniteur le prit tendrement dans ses bras ce qui surprit son plus jeune fils étant donné que leur père n'avait pas l'habitude des grands élans affectifs.

« Par quel miracle ? Les Dieux m'auraient-ils enfin entendu ?

« C'est Ardyn qui en est à l'origine Monseigneur. » expliqua Fide.

« Que me racontes-tu là mon garçon ? Aurais-tu perdu la tête ? »

« C'est la pure vérité, je l'ai vu de mes yeux, je vous le jure ! »

Le frère aîné posa sa main sur le bras de son ami afin de l'apaiser et s'avança devant son père.

« Père, je ne sais pas ce qu'il s'est passé mais il faut que je vérifie quelque chose. »

« …?... »

« Si ce que nous pensons s'avère vrai, il se pourrait que je sois capable de guérir les gens de cette terrible maladie. Je ne peux pas rester là sans rien faire si j'ai en moi cette capacité. »

« Tu m'as sauvé la vie mon frère ! » le remercia Somnus. « Mais et toi ? Comment te sens-tu ? »

« Je me sens en pleine forme. » ne t'inquiète pas.

« Mon fils, ta bonté est remarquable. Comment veux-tu que je te refuse cela ? Seulement, je m'inquiète pour ta santé. Es-tu vraiment sûr que tout va bien ? » demanda son père, anxieux.

« Oui, je n'ai rien, je vous l'assure. »

« Très bien, je t'autorise à sortir. »

« Merci Père. »

Dès le lendemain matin, Ardyn se mit donc seul à la recherche d'éventuels malades au sein de la grande cité. Les gens étaient cloîtrés chez eux et il eut tout le mal du monde à les convaincre de lui ouvrir. Il frappait aux portes en se présentant comme le fils de la famille Izunia et demandait si des personnes étaient atteintes par des stigmates sur le corps. C'est là qu'il se rendit compte que malgré les nouvelles inquiétantes qu'on avait rapporté à son père, la maladie ne s'était pas autant propagée dans la zone qu'il le croyait au départ. Néanmoins, il eut vent de quelques disparitions étranges mais personne n'était vraiment au courant de ce qu'il se passait. Le jeune homme finit par se dire que les personnes disparues étaient probablement des gens qui avaient fui la ville en apprenant l'arrivée de l'épidémie. Il se réjouit de constater que la situation n'était pas aussi catastrophique qu'elle en avait l'air.

Alors qu'il terminait presque sa ronde, une enfant de 7 ou 8 ans s'approcha timidement de lui. Il se mit à sa hauteur et la salua gentiment. Mise en confiance, elle lui sourit.

« Est-ce que tu peux venir voir ma maman s'il te plaît ? » demanda-t-elle doucement.

« Oui bien sûr. Montre-moi où es ta maison. »

Il suivit la petite fille qui le guida dans une ruelle qu'il avait dû manquer car cette dernière ne lui dit rien. C'était une rue étroite, vétuste et un peu à l'écart du reste. L'enfant invita Ardyn à entrer dans la petite maison. Au fond, une femme d'une trentaine d'années était couchée sur un lit et toussait bruyamment. Le jeune homme aux cheveux bruns s'avança auprès d'elle et constata en effet la présence des stigmates caractéristiques de la maladie sur le corps de la mère de famille. Il allait enfin pouvoir savoir si la guérison de son frère était miraculeuse ou s'il en était à l'origine. Il prit simplement la main de la femme dans les siennes et souhaita qu'elle se sente mieux. La même chose qu'avec son jumeau se produisit. Les stigmates disparurent dans une brume noirâtre, comme aspirées par Ardyn et la maman de l'enfant se sentit tout de suite mieux.

« C'est de la magie ? » interrogea la petite fille avec curiosité.

« Je ne le sais pas moi-même en réalité. » tenta d'expliquer Ardyn. « Je ne l'ai découvert que dernièrement car mon frère aussi était malade. »

« Merci infiniment. Comment vous appelez-vous ? » demanda la mère.

« Ardyn. Ardyn Izunia. »

« Par les Six, vous êtes le fils de Monseigneur Izunia ? »

« C'est exact. » acquiesça-t-il en souriant.

« Ce sont les Dieux qui vous ont béni ! Nos prières ont pu les atteindre, qu'ils soient loués ! » remercia la femme les mains jointes.

C'est le cœur plein d'espoir et de fierté que le jeune homme regagna la maison familiale, prêt à convaincre son père de sa résolution. Il ne pouvait pas rester les bras croisés si tant de gens avaient besoin d'aide et son fort intérieur refusait d'ignorer la détresse d'autrui. Il passerait peut-être pour un présomptueux mais il ne pouvait pas s'empêcher de repenser aux mots de la mère de la petite fille.

Ce sont les Dieux qui vous ont béni

Etait-ce mal de ressentir la reconnaissance et l'admiration de son entourage ? Ses proches seraient probablement fiers de lui. Surtout lui, son père, lui qui exigeait beaucoup de lui, le premier né comme il aimait le répéter souvent. Quant à Somnus, il pourrait le laisser s'occuper de tout et ne s'inquiéter de rien, il prendrait soin de tout le monde et de l'avenir de la famille. Rien ne lui ferait autant plaisir que de voir le bonheur sur le visage de son petit frère.

Fide l'attendait sur les marches extérieures des escaliers surplombant la maison. Sa mine inquiète laissa la place à une joie non dissimulée lorsqu'il l'aperçut de loin et accourut auprès de lui quand son meilleur ami lui fit un signe de la tête afin de l'inviter à le rejoindre.

« J'ai pu soigner quelqu'un d'autre, Fide ! » s'exclama-t-il.

« Ce n'était donc pas une coïncidence. Qu'est-ce que tu vas faire à présent ? » demanda son ami.

« Je…j'ai envie de partir en voyage pour aider le plus de monde possible. » déclara Ardyn.

« Si tu pars, je t'accompagne. »

« Ça risque d'être un périple long et dangereux. »

« Quoi et rester ici à me tourner les pouces ? Je préfère venir avec toi et le danger ne me fait pas peur. De plus, qui te surveillera si je ne suis pas là ? » se moqua gentiment le jeune homme.

« Hé ! Je ne suis plus un enf… »

Alors qu'Ardyn parlait, un violent mal de tête s'empara de lui et il perdit presque l'équilibre. Sans Fide pour le soutenir, il serait tombé brutalement sur le sol.

« Ça va ? » s'enquerra Fide, inquiet.

« O…oui. Je me sens juste un peu migraineux mais ça va passer. »

Mais le jeune homme eut soudainement la nausée et alla se cacher derrière le buisson le plus proche afin de vomir.

« Qu'est-ce que c'est que ça ? » s'écria-t-il choqué par ce qu'il avait sous les yeux.

Un liquide glaireux noirâtre était étalé devant lui. Fide l'avait rejoint en parallèle.

« Ardyn, ça me travaille depuis que tu as soigné Somnus et là, j'ai un mauvais pressentiment. »

« Ne me demande pas de revenir en arrière… » supplia presque le brun aux yeux d'ambre.

« Si ton père apprend ce que ça t'inflige de guérir les gens, tu… »

« Ne lui dis pas, je ne veux pas que ma famille s'inquiète. » le coupa l'aîné des frères.

« Tu devrais au moins annuler ton projet ! C'est trop dangereux, tu pourrais risquer ta propre santé voire même ta propre vie ! »

« Je ne peux pas ! » avait-il presque crié.

« Mais on ne sait même pas ce que cette maladie fait à long terme ! »

« Tu crois que je ne le sais pas ?! »

Fide s'était calmé en voyant son ami aussi déboussolé. Ardyn ne s'énervait jamais, il n'haussait jamais la voix. Le voir perdre son sang-froid était extrêmement rare et donc, impressionnant pour lui. Un silence s'installa un instant entre les deux jeunes gens alors que le soleil commençait à se coucher à l'horizon. Le ciel était nuancé de rose et d'orange ce qui offrait un spectacle absolument magnifique mais les frères de cœur étaient bien trop occupés à essayer de lire en l'autre pour s'en rendre compte.

« Comment pourrais-je encore me regarder dans le miroir et continuer à vivre ma vie dans l'ignorance ? Il y a des gens dans ce monde qui sont dans le même état que l'a été mon frère, peut-être pire encore. Alors je dois faire comme s'ils n'existaient pas et rester ici à vivre une vie bien à l'abri du monde extérieur ? » expliqua Ardyn.

Son ami soupira, vaincu.

« Quoique tu décides, sache que je te suivrai jusqu'au bout. »

« Merci Fide. Je dois le faire, ne serait-ce que pour tous les principes que m'a enseigné mon père. »

« Alors, tu vas nous quitter, c'est ça ? » fit tristement une voix masculine bien trop familière.

Somnus regardait les deux jeunes hommes du pas de la porte. Avait-il entendu toute la conversation ?

« Peut-être que Père sera d'accord mais moi, je ne l'accepterai jamais… » avoua-t-il.

Ardyn s'approcha de son frère et allait poser une main amicale sur son épaule quand ce dernier l'ignora en reculant d'un pas.

« N'essaie pas de m'amadouer. Je ne veux pas que tu t'en ailles, nous devons rester auprès de Père, il a besoin de nous. » déclara Somnus fermement.

« Tu as dit que tu comprenais mon choix. »

« Oui mais…je pensais que tu soignerais juste les gens à proximité, pas que tu partirais à des milliers de kilomètres ou je ne sais où… »

« Rentrons. » fit le frère aîné. « Nous parlerons en présence de Père. »

« Je n'ai rien de plus à dire. » dit-il, énervé.

« Somnus, là, tu te conduis comme un enfant. » se moqua gentiment son aîné.

« Tss. »

Leur géniteur patientait au salon là où le dîner avait été servi. La table était modeste mais élégante, une nappe rouge brodée de fils dorés la décorait et le service de table était extrêmement raffiné. Le chef de famille était assis en bout de table et Aurore avait pris place juste à sa droite. En face d'elle, un siège vide attendait Somnus et à ses côtés, celui d'Ardyn. Les trois jeunes hommes les rejoignirent sans se faire attendre. Fide s'assit face à l'aîné de la famille comme à son habitude. Ce dernier ouvrit la bouche pour parler mais fut interrompu par son père.

« Plus tard mon fils. D'abord, mangeons. »

« Bien, Père. » obéit-il.

Mais le repas fut pris dans le silence le plus glacial. Aucune des personnes présentes à la table n'osa prononcer le moindre mot, comme s'ils redoutaient l'effroyable réalité qui les attendait, cruelle et inévitable. Les domestiques vinrent débarrasser les couverts et quittèrent le salon en toute hâte tant l'atmosphère tendue était palpable.

« Père, ma visite en ville a confirmé mon…, je ne sais même pas comment appeler cela… »

« C'est un don mon ami, un don reçu par les Six ! » affirma Fide.

« Sois en fier mon fils tout comme je suis fier de toi. » déclara affectueusement leur père.

« Père… » murmura Ardyn touché.

C'était la première fois que le chef de la famille Izunia le complimentait de la sorte. Il avait toujours été strict envers lui et bourré d'attentes à son égard.

« J'ai décidé de partir en voyage afin de soigner le plus de gens possible, dès demain. » déclara le jeune homme.

« Dès demain ? » s'exclama Aurore. « Pourquoi aussi tôt ? » demanda-t-elle en commençant à sangloter mais s'interrompit dès qu'elle sentit la main de Somnus dans la sienne « Je suis désolée, je n'ai pas mon mot à dire sur ce genre de décision. »

« Détrompe-toi ma chère enfant. Tu n'es peut-être pas ma vraie fille mais je vous considère toi et Fide comme mes propres enfants. Vous avoir recueilli est la meilleure décision que j'ai prise jusqu'à aujourd'hui. »

La jeune femme sourit tendrement et serra la main du fils cadet de l'homme qui lui avait donné un foyer. Ses parents et ceux de Fide étaient morts dans un tragique accident lors d'un voyage officiel. Fide faisait partie d'une famille noble de littéraires et la sienne gérait les conflits avec ses voisins pour le compte de la famille Izunia. Il n'y avait pas d'autorité suprême à Solheim mais la gouvernance de la cité et de ses environs était régie par plusieurs familles détenant chacune une spécificité : le commerce, le pôle culturel et scientifique, la religion, la défense, la justice et la gestion extérieure. Une place très importante était léguée à la religion et c'est la famille Izunia qui l'occupait depuis des générations. Seulement, de par l'extraordinaire évolution de la technologie de Solheim, la religion avait fini par être de moins en moins pratiquée. La famille Kurena détenait le monopole culturel et scientifique et la famille d'Aurore, les Lowell, prenait toutes les décisions relatives à la défense de la cité. Au décès des parents des jeunes gens précédemment cités, la gouvernance des deux pôles avait été attribuée à Gilliam Izunia, le père d'Ardyn et Somnus, le temps qu'Aurore et Fide soient suffisamment matures pour reprendre le flambeau. Le vieil homme avait de ce fait, d'énormes responsabilités.

« Ardyn… » reprit-elle. « Est-ce que tu pourrais repousser ton départ à après demain ? J'aimerais tellement que nous passions du temps tous les quatre avant que tu ne nous quittes. Et je suis sûre que Somnus pense la même chose que moi. »

« Oui… » murmura ce dernier, amer.

« La décision lui revient. Nous ne pouvons faire preuve d'égoïsme en sachant que d'autres souffrent en ce moment. Il faut parfois être capable de faire des sacrifices pour le bien de tous. » sermonna Gilliam.

La jeune femme baissa les yeux, submergée par la honte. Le vieil homme avait raison. Un lourd fardeau pesait sur les épaules d'Ardyn, elle ne pouvait pas se permettre d'être individualiste.

« Père a raison. Je ne peux pas me permettre de perdre plus de temps, ce serait laisser le temps à l'épidémie de s'étendre. » expliqua le jeune homme.

Le père de famille se leva, imité par sa progéniture et indiqua à tous de quitter la pièce en dehors de son fils aîné. Une fois ces derniers partis, Il se posta devant lui et posa ses mains sur ses épaules.

« Mon fils, en si peu de temps, tu es devenu un homme. Je suis vraiment fier de ce que tu es aujourd'hui. Va, porte dignement le nom d'Izunia et reviens nous vite. »

« Oui Père ! » s'exclama Ardyn ému. « Prenez soin de votre santé. Je vous écrirai autant que je le pourrais. »

« Nous nous verrons demain matin. Bonne nuit mon fils. »

« Bonne nuit Père. »

Le jeune homme prit congé de Gilliam et gagna sa chambre. Seul, ce dernier ferma les yeux, l'air pensif.

« Que se passe-t-il parmi les Astraux ? J'ai un mauvais pressentiment…Ma bien aimée, nous leur avons légué un bien triste héritage. »

Le lendemain, Ardyn s'était levé à l'aube afin de ne pas partir trop tard dans la matinée. Il se prépara, prit quelques affaires, le strict nécessaire, car il ne voulait pas trop charger sa monture et attacha le fourreau de son épée à sa ceinture. Il espérait ne pas avoir à se servir de son arme mais il était judicieux de rester prudent. Fin prêt, il quitta la maison et s'aperçut que tous ses proches étaient déjà dehors à l'attendre : Fide qui partait évidemment avec lui et avait préparé les Chocobos, son père et Aurore qui se tenaient côte à côte.

« Je suis désolée Ardyn, je n'ai pas réussi à trouver Somnus, je ne sais pas où il est. Je crois qu'il a du mal à supporter ton départ. » expliqua la jeune femme.

« Ce n'est pas grave, je comprends. » rassura le premier né de la fratrie.

En réalité, Ardyn était un peu triste de ne pas pouvoir voir son frère avant le grand départ, il ignorait quand il pourrait rentrer après tout.

« Fide, allons-y ! » s'exclama-t-il en montant sur son Chocobo.

« Oui ! » obéit le jeune homme brun aux yeux verts.

« Faites attention à vous les garçons ! » cria Aurore alors que les deux volatiles s'éloignaient.

« Revenez-nous en bonne santé mes fils ! » fit Gilliam à sa suite.

Ils restèrent sur place jusqu'à ce qu'Ardyn et Fide ne soient plus que des points à l'horizon.

« Je vais prier les Dieux chaque jour pour leur retour » murmura la jeune femme en laissant ses larmes couler librement.

« Je prierai aussi ma chère enfant, je prierai aussi… »

De leur côté, les deux amis arrivèrent à une intersection et prirent la route pour aller au sud et rejoindre le premier village mais sur le chemin, ils reconnurent une silhouette familière.

« Je savais que tu viendrais, mon frère ! » s'écria gaiement Ardyn.

Il descendit en toute hâte de sa monture et alla saluer son frère cadet. Somnus croisait les bras, visiblement anxieux.

« Ardyn, je préférerais venir avec toi mais je sais que je ne peux pas abandonner Aurore et Père. N'oublie pas de nous écrire sinon Père ne s'en remettra pas et tu sais combien sa santé est fragile. »

« Je te promets de le faire dès que possible. Je t'indiquerai à chaque fois l'escale dans laquelle nous nous trouverons et j'attendrai ta réponse avant de repartir pour la région suivante. »

« Je te fais confiance, tu tiens toujours tes promesses. »

Somnus se tourna vers Fide.

« Fide, protège-le et conseille-le du mieux que tu pourras. Tu as toujours été le plus censé d'entre nous, je sais que tu risquerais ta vie pour sauver la sienne. »

« Cela va de soi. » confirma ce dernier.

Ardyn enlaça son frère et tapota son épaule avant de remonter sur son Chocobo.

« Au revoir mon frère. » déclara-t-il.

« Dépêchez-vous de vaincre cette saleté de maladie et revenez vite à la maison. Vous pouvez partir serein, je m'occuperai de tout. »

C'est ainsi que les deux voyageurs entreprirent un périple long et hasardeux qui durerait dix ans. A l'époque, il n'y avait qu'une seule civilisation : Solheim. Au sein de cette civilisation, six régions se partageaient le continent mais toutes étaient sous l'influence des six familles qui leur avaient donné les noms respectifs de l'Hexathéon : Ifrit au Nord-Ouest et sa capitale Nifl, Léviathan au Sud-Ouest et sa capitale Altissia, Shiva au Centre, Bahamut tout au Sud-Est et sa capitale Insélia où demeurait la famille, Ramuh et Titan au Nord de la région précédemment citée.

Ardyn et Fide avaient décidé de commencer leur pèlerinage à partir de Ramuh et Titan, les régions à proximité du météore, le point de départ de l'épidémie. Il fallait que le jeune guérisseur se débrouille pour soigner le plus de personnes possibles en un minimum de temps, il devait donc réfléchir à un moyen d'attirer les gens des quatre coins de la zone, voire de plus loin. En traversant la région de Shiva, il ne trouva que peu de malades à soigner, certains villages les plus reculés ne connaissaient même pas l'existence de la maladie. C'était une bonne nouvelle dans un sens car cela signifiait qu'elle ne s'était pas propagée suffisamment vite pour atteindre les régions mitoyennes.

Cependant, lorsqu'ils arrivèrent au bout de plusieurs mois dans un village non détruit par l'impact de l'action de Titan, ils ne purent que se rendre compte des dégâts causés par ce dernier : des étendues désertiques, soufflées lors du contact entre le Dieu et le corps céleste. Et surtout, le plus étrange selon eux : l'arrivée de monstres, appelés daemons par les habitants, se cachant le jour, sortant la nuit et attaquant sauvagement les aventuriers inconscients en recherche d'adrénaline car ces personnes disparaissaient mystérieusement et n'étaient jamais retrouvées. La vie y était difficile mais les gens étaient trop enracinés pour quitter leur terre, certaines familles étaient là depuis plusieurs générations.

Les rumeurs du don d'Ardyn avaient déjà commencé à se répandre dans la région et les deux amis furent donc accueillis à bras ouverts par les habitants du village. Après que le jeune homme eut guéri les cas les plus avancés, leur chef, une vieille dame, les guida jusqu'à l'auberge afin qu'ils puissent se reposer. Les autres soins ne débuteraient que le lendemain. Ils gagnèrent la chambre, Ardyn était épuisé par toutes ses interventions de la journée.

« Comment te sens-tu ? » lui demanda Fide.

« Un peu de repos et ça devrait aller. » rassura-t-il. « Je pense qu'à force, je devrais m'y habituer. »

« Au moins, tu ne vomis plus comme avant…mais, je ne sais pas si c'est une bonne chose finalement. »

« Ton optimisme légendaire m'impressionnera toujours. » se moqua Ardyn.

« Je préfère être trop méfiant que pas assez. »

« Nous avons déjà eu cette conversation, je n'ai pas vraiment le choix. Personne n'a encore trouvé d'antidote ou de vaccin contre cette maladie. »

Fide soupira, son ami avait raison. Il détaillait Ardyn, essayant de trouver si quelque chose avait changé chez lui jusqu'à ce qu'un élément attire son attention. Il se rapprocha du jeune homme et saisit une mèche de ses cheveux.

« Ardyn…ôte-moi d'un doute. »

« Quoi ? » demanda ce dernier.

« Tes cheveux ont toujours été bruns il me semble ? »

« Euh oui, pourquoi ? Attends, ne me dis pas que j'ai déjà des cheveux blancs ? » interrogea ce dernier en riant.

« Non, non mais… »

Fide s'interrompit et s'empressa de chercher si un miroir se trouvait à proximité. Il en trouva un accroché au mur de la pièce d'eau et attrapa le bras de son ami pour l'attirer devant.

« Regarde à cet endroit, il faut vraiment y faire attention pour la distinguer. » dit-il en montrant une zone précise du cuir chevelu d'Ardyn.

Le concerné se pencha un peu en avant et remarqua effectivement qu'à certains endroits, ses cheveux avaient pris une teinte légèrement violacée. Il tourna la tête vers son meilleur ami l'air perplexe.

« Est-ce que ça pourrait être un autre effet secondaire de ce soi-disant don ? »

« Ou alors, c'est juste que ma teinte change avec l'âge ! Ecoute, je sais que tu t'inquiètes mais j'irai jusqu'au bout quoiqu'il arrive. »

« Et si tu mourrais ?! » cria presque Fide.

Un silence s'installa entre les deux hommes.

« Que vaut ma vie devant celle de millions d'autres… » lâcha Ardyn au bout d'un moment.

Son fidèle ami serra les poings et se retint de frapper le mur de frustration.

« Je vais participer à la défense de la ville, j'en ai discuté avec la vieille dame. En échange de nos services, nous serons logés et nourris gratuitement. Repose-toi, je reviens dans quelques heures. » expliqua le brun aux yeux verts.

« Bien. A toute à l'heure, sois prudent. »

Laissé seul, Ardyn s'assit à une table, sortit du papier et de quoi écrire. Cela faisait six mois qu'ils avaient quitté leur foyer. Les correspondances étaient devenues beaucoup plus compliquées devant l'émergence des daemons. Rares étaient les messagers qui acceptaient encore de transmettre le courrier. Les plus courageux d'entre eux se faisaient escorter et ne se déplaçaient pas parfois pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. De ce fait, pour avoir une chance de recevoir la réponse de Somnus, Ardyn devrait rester au village jusqu'à son prochain déplacement. La technologie de Solheim était très avancée mais il ne comprenait pas pourquoi le système postal était aussi archaïque. Dès son retour, il en ferait part à son père afin de le moderniser.

Mon cher frère,

J'espère que tu te portes bien. Comment vont Père et Aurore ? Il se sera écoulé plusieurs mois lorsque tu recevras cette lettre, le réseau postal étant complètement perturbé.
T'es-tu enfin déclaré ? Je parie que non. Tu sais, je crois que tu es le seul à ne pas remarquer combien elle est attachée à toi.

Je me trouve actuellement dans l'une des dernières villes encore debout au sein de Ramuh et Titan. Elle s'appelle Oma, c'est un endroit modeste mais chaleureux. Je pense qu'elle te plairait beaucoup.

A la suite du crash du météore, l'impact a causé d'innombrables dégâts, il y a eu également pas mal de morts et la plupart des survivants ont émigré ailleurs. Certains habitants refusent de quitter leur région car ils y sont beaucoup attachés. Du moins, c'est ce qu'on m'a dit une fois sur place. Parfois, des bouleversements climatiques inexpliqués interviennent. Je n'avais jamais vu de tempête de mes propres yeux, c'est impressionnant.

J'ai pu soigner de nombreuses personnes mais je suis conscient que ma tâche est loin d'être terminée. Je suis prêt à la poursuivre jusqu'à l'extinction totale de l'épidémie, jusqu'à la fin s'il le faut. Que les Dieux m'en soient témoin !

Avec toute mon affection,

Ardyn

Satisfait de sa lettre, le jeune homme la plia et la rangea dans ses affaires. Il la confierait dès le lendemain à un messager s'il en trouvait un. Il se mit ensuite à l'aise et prépara l'eau d'un bain qui l'appelait depuis un moment. Il avait besoin de se détendre car il avait des douleurs dans tout le corps. Il se regarda dans le miroir et s'aperçut des dégâts que la vie nomade lui infligeait. Sa barbe et ses cheveux avaient poussé. Fide était toujours tiré à quatre épingles et citait régulièrement les remontrances de Gilliam sur la tenue que devait avoir un homme de bonne famille. Ardyn se contenta de se raser mais laissa ses cheveux tels quels et se glissa dans l'eau chaude. Cet aspect un peu négligé était plutôt pas mal mais la teinte violacée à certains endroits le laissait perplexe. Finalement, Fide avait peut-être raison. Et s'il commençait à tomber malade lui aussi ? Pourtant il se sentait parfaitement bien, les nausées du départ avaient complètement disparu et les migraines s'espaçaient de plus en plus. Il fut tiré de ses pensées par l'arrivée de son ami et l'entendit râler à côté.

« Ardyn, tu es là ? » demanda Fide

« Oui, je prends un bain. » s'écria le jeune homme pour que ce dernier l'entende suffisamment.

« Ahhhhh, ces monstres sont horribles. On n'a pas l'impression que leur nombre diminue, plus on en tue et plus ils rappliquent. » se plaignit-il.

« Je t'accompagnerai dans les prochains jours dès que les visites des malades se seront espacées. »

« Ce n'est pas de refus. Oh et, laisse l'eau du bain, j'y vais après toi. »

« D'accord. »

Ardyn sortit de la baignoire, se sécha et s'habilla puis il quitta la salle d'eau. Fide prit sa place et revint une dizaine de minutes après. Il constata que son frère de cœur s'était déjà endormi. Il était épuisé lui aussi, la journée avait été harassante. Cependant, en regardant son ami, l'air apaisé, Fide ne put s'empêcher de ressentir de la fierté et de l'admiration. Ardyn était d'une bienveillance rare, il faisait toujours passer les autres avant lui et ce, même avant de découvrir ce don exceptionnel. Dans leur enfance, il prenait souvent les punitions à la place de son frère turbulent ce qui avait le don d'agacer Fide qui trouvait cela injuste mais c'est aussi pour cette raison qu'il se dévouait autant à son ami. Il lui rendait lui-même son altruisme.

La réponse de Somnus mit huit mois à arriver, ce fut étonnamment long et les deux amis s'étaient déjà bien habitués à la vie au village. Tous les connaissaient et les appréciaient, leur départ était donc fortement redouté.

Mon frère,

Je pensais que ta lettre n'arriverait jamais. Plus d'une fois, j'ai souhaité tout laisser derrière moi pour te rejoindre mais la souffrance d'Aurore me faisait abandonner cette idée. Tu as raison, je suis fou d'elle depuis fort longtemps, je crois même que je l'ai aimé dès que j'ai posé les yeux sur elle mais les affres de l'enfance nous rendent souvent aveugle. Je ne peux pas continuer à me mentir à moi-même.

Père va mieux depuis que je lui ai montré ta correspondance. Il s'inquiétera toujours mais il sait que tu es bien entouré. Il est parfois obligé de tenir le lit. Cependant, le médecin est confiant quant à son état de santé. Nous t'attendons avec impatience, sache que tu seras acclamé à ton retour.

Je te joins un mot de Will qui tenait à t'apprendre lui-même la nouvelle.

« Peu après ton départ, un bébé Chocobo noir est né à l'écurie. Viens le voir dès que tu seras de retour. Je ne lui ai pas encore donné de nom, je te laisserai le soin de le faire »

Salue Fide de notre part et remercie le d'être toujours à tes côtés. J'attends ta prochaine lettre avec impatience.

Ton frère, Somnus.

Ardyn sourit faiblement à la lecture du courrier, ses proches lui manquaient affreusement. Le temps avait été extrêmement long alors que son voyage était loin d'être terminé. Il allait pouvoir reprendre son pèlerinage jusqu'à la région le plus au Nord-Est de Solheim et y rester quelques temps.

« Tout le monde va bien ? » demanda Fide avec anxiété en voyant l'expression du visage de son ami.

« Oui, ne t'inquiète pas. Tout va très bien. » le rassura le jeune homme aux yeux d'ambre « J'ai simplement eu un moment de nostalgie. Nous n'allons pas pouvoir rentrer aussi vite qu'on l'aurait voulu malheureusement. »

« Oui… »

« J'espère ne pas trop décevoir les attentes de ma famille. »

« Ne dis pas n'importe quoi. Je suis persuadé qu'ils comprennent que ce n'est pas facile. »

« Tu as sûrement raison, je me fais du souci pour rien. »

C'est le cœur apaisé que les deux compagnons reprirent leur voyage, prêts à rejoindre leur prochaine destination. Plus ils s'éloignaient du disque de Cauthess et plus la végétation revenait, dense et intacte. C'était un endroit magnifique et empreint de la civilisation de Solheim, les temples et les structures étaient toujours debout, presque provocatrices à l'égard des dégâts qu'avait causé le météore sur Ramuh et Titan. La faune et la flore semblaient poursuivre leur cours comme si elles ignoraient tout de ce qui s'était abattu sur le monde. Du haut de sa monture, Ardyn admirait ce paysage à la fois riche et simple. Il se rendit alors compte de la chance qu'il avait eu de vivre à Insélia et de son ignorance. Il se promit que dès son retour, il prêterait plus d'attention aux détails même les plus insignifiants. Pour l'heure, son périple était loin d'être terminé.

Les deux hommes s'arrêtèrent à un sanctuaire pour passer la nuit, ils ne devaient plus être très loin de leur destination. La ville qu'ils souhaitaient atteindre se nommait Pitioss, une cité qui était construite tout près d'un temple érigé en faveur des Dieux. La technologie avancée de la civilisation de Solheim dénotait complètement du reste du paysage ce qui offrait un contraste certain.

« On a un peu trop forcé aujourd'hui, les Chocobos sont épuisés. » déclara Fide.

« En effet et je t'avoue que moi aussi. J'espérais arriver avant la nuit mais j'ai mal calculé notre progression. »

« Il faut dire qu'on s'est pas mal arrêté pour profiter un peu de la vue. J'admets que ça m'a fait du bien de revoir un peu de vie, tout était tellement désolé sur Ramuh et Titan. »

« Je ne te le fais pas dire mon ami. »

Ils gardèrent le silence quelques minutes, écoutant le crépitement du feu et les bruits de la nuit.

« On a déjà vécu une scène comme celle-ci, tu t'en souviens ? » demanda alors Fide, brisant le calme qu'ils s'étaient imposés.

Ardyn réfléchit quelques secondes afin de replonger dans ses souvenirs et hocha de la tête en souriant.

« Oui, tu fais allusion au jour où Père m'a appris qu'un individu étrange me suivrait jusqu'à la fin de mes jours ? »

« Hé ! » s'écria Fide, feignant d'être vexé.

Ils rirent tous deux et Ardyn reprit son anecdote.

« Je m'en souviens oui. C'était le jour où tu es entré à mon service. Je n'étais pas trop heureux d'apprendre que Père voulait me faire surveiller par quelqu'un, je pensais au départ qu'il ne me faisait pas suffisamment confiance. »

« Et tu m'as fais vivre un véritable enfer pendant plusieurs jours. Dès que tu me voyais, tu grimaçais et tu t'enfuyais je ne sais où. Je passais des heures à te chercher, tu n'avais jamais la même cachette. »

« Je connaissais les jardins comme ma poche il faut dire. »

« Et un jour, tu es monté dans un arbre, je t'ai vu au dernier moment et j'ai essayé de te suivre. Mais j'avais le vertige à l'époque et je suis resté pétrifié comme un idiot. Tu as tenté de m'aider mais la branche sur laquelle je m'agrippais désespérément a cassé et on est tombé tous les deux. »

« Oui, par chance, nous n'étions pas si haut. Nous nous en sommes tirés avec de simples égratignures et une belle frayeur. »

« On s'est promis de n'en parler à personne. Il y avait un sanctuaire pas loin qui ressemblait un peu à celui-ci, on a passé la nuit à discuter autour d'un feu de camp. Mais bon, nous nous sommes quand même fait punir le lendemain… » rit-il.

« Ha ha oui, nous n'avions pas été très malins sur ce coup. Malgré tout, j'étais impressionné par tout ce que tu savais déjà faire pour ton âge. » avoua Ardyn.

Fide sourit et prit un air plus grâve.

« Mes parents me forçaient à lire pour acquérir toujours plus de connaissances. J'ai appris à lire très tôt, je lisais de tout. J'y ai pris rapidement goût. Ensuite, mon père a commencé à m'offrir des livres de plus en plus complexes et à m'apprendre à consigner à peu près toutes les choses utiles. » expliqua Fide d'un ton sérieux. « Ma mère me disait souvent que même si elles pouvaient paraître anodines, toutes les connaissances étaient bonnes à prendre et pourraient me servir un jour ou l'autre. »

« Ce n'était pas difficile à supporter par moment ? » demanda son ami avec curiosité.

« Au début, c'était très dur oui. Mes parents étaient extrêmement exigeants mais j'ai compris en grandissant qu'ils avaient raison et je suis heureux d'avoir pu poursuivre leur ambition. Mon rêve est d'écrire un jour un mémoire afin que tout ce que j'aurai appris pendant ma vie serve à la génération suivante. »

« C'est un très beau rêve. » félicita Ardyn.

« C'est drôle, c'est exactement ce que tu m'as dit à l'époque... »

« Ah ? Je ne m'en souviens pas, c'est étrange. »

« On commençait à tomber de sommeil quand tu m'as dit ça. En tout cas, ce sont grâce à tes mots que je suis conforté dans mon objectif. »

« J'en suis très heureux, sincèrement. Le jour où tu atteindras ton rêve, je veux bien être le premier à lire ton œuvre. »

« Si c'est possible, je serai fier que tu sois mon tout premier lecteur. »

« Alors, c'est une promesse. »

« Cela en est une oui. Merci Ardyn. » conclut Fide avec émotion.

Les deux hommes ne tardèrent pas à s'endormir. La nuit semblait calme, reposante mais ils furent brutalement réveillés par un cri qui les alertèrent. Ardyn et Fide se levèrent en trombe, attrapèrent leur arme et se lancèrent dans la direction de la voix. C'est alors qu'ils aperçurent en face d'eux, deux personnes qui semblaient se disputer violemment.

« Elé…onore… » fit plaintivement une femme d'une cinquantaine d'années.

« Maman, que t'arrive-t-il ? Pourquoi m'as-tu traînée dans la forêt au beau milieu de la nuit, tu es très malade pourtant ! »

« Ma fille, ma pe…ti…te fi…lle…ah ah ah… »

« Maman, tu me fais peur. Viens, retournons au village, tu ne te sens pas bien. »

Ardyn s'aperçut avec horreur que la mère de la jeune femme était couverte de stigmates. Il n'avait encore jamais vu de cas si avancé. En dehors des vêtements qui cachaient son corps, toutes les parties visibles étaient atteintes, jusqu'à son visage et ses yeux avaient pris une étrange couleur jaune. Il accourut auprès d'elle et s'apprêtait à la soigner quand apeurée, la fille que la dame âgée avait appelé Eléonore s'interposa entre lui et sa mère.

« Que faites-vous, n'approchez pas de ma mère ! » s'écria-t-elle menaçante.

« Poussez-vous, mon ami peut la sauver ! » rétorqua Fide.

Seulement, un bruit atroce attira leur attention, un son de craquement d'os terrifiant provenant de derrière Eléonore.

« Arrrrrgggggghhh ! » hurla la mère de cette dernière.

Et l'innommable se produisit sous les yeux horrifiés des trois jeunes spectateurs impuissants. La chair humaine se déforma, se contracta. Le corps fondit lentement, dégageant une odeur insupportable de charogne putréfiée qui s'étira et se changea en une abomination visqueuse et épaisse.

« MAMAN ! » vociféra la jeune femme, pétrifiée par la peur.

La créature allait s'élancer brutalement sur elle quand elle fut repoussée violemment par Fide qui était intervenu in extremis. Ardyn était toujours immobile, comme choqué par ce qu'il venait de se produire.

« Bon sang Ardyn, reprends-toi ! » cria le jeune homme brun aux yeux verts.

Ce dernier reprit enfin ses esprits, non sans mal et vint en aide à son fidèle bras droit.

« Je suis désolé. » murmura-t-il à l'attention de la jeune femme avant d'asséner un premier coup d'épée au monstre gélatineux.

Une succession de coups survinrent à la suite, rapidement assenés par Ardyn qui maîtrisait plusieurs armes pour déséquilibrer ses adversaires et la créature disparut dans une fumée noirâtre. Eléonore se laissa tomber sur le sol, ne comprenant pas encore ce qu'il venait de se passer. Les deux hommes se regardèrent, une expression dégoûtée sur le visage.

« Quelle horreur…Alors tous, ils étaient…tous…c'étaient tous… » articula Fide avec difficulté.

« Des humains… »

Ils prirent véritablement conscience de ce qu'ils avaient fait.

« Les disparitions inexpliquées…tout ce temps…Depuis tout ce temps … »

« Je me sens mal… » prononça Ardyn à voix basse, la main devant la bouche, écœuré.

Il respirait avec peine tant l'impact psychologique était grand. Depuis plus d'un an qu'ils traquaient les daemons la nuit, ils avaient en réalité tué des êtres humains de sang-froid sans le savoir. Un nombre tellement conséquent de « monstres » qu'ils avaient arrêté de compter. Rassemblant ses esprits, Fide qui s'était agenouillé auprès de la jeune femme, se releva et lui tendit sa main.

« Nous ne pouvons pas rester ici. Mettons-nous vite à l'abri. »

Elle saisit sa main, hésitante, et se leva également. Elle les guida ensuite en silence jusqu'à la ville, étouffant des sanglots qui menaçaient de sortir à chaque seconde.

« Voici l'auberge. » murmura-t-elle tristement.

Elle leur tournait le dos et commençait à s'éloigner d'eux jusqu'à ce qu'elle s'arrête soudainement. Les deux hommes n'avaient toujours pas osé lui adresser la parole et se contentaient de l'observer.

« Merci de m'avoir sauvée. » fit-elle par dire.

« Nous sommes sincèrement désolés pour votre mère. » s'excusa Fide. « Nous avons agi sans réfléchir devant le danger, nous ne savions pas que les dae… »

« Vous n'avez pas besoin de vous excuser. » le coupa Eléonore. « Je serais morte si vous ne m'aviez pas défendue. Je…Est-ce vrai que vous pouvez soigner cette maladie ? » demanda-t-elle en se tournant vers Ardyn.

« Oui je…Nous nous rendions ici afin de venir en aide à la population. » expliqua le jeune homme aux yeux d'ambre.

La jeune femme laissa alors échapper ses larmes.

« Une nuit, une seule nuit et ma mère aurait pu être sauvée ! Elle s'est sentie subitement très mal, a changé de comportement et m'a traînée avec elle dans la forêt. Elle semblait terriblement souffrir sous la lumière et je n'ai rien pu faire pour me libérer de sa prise. Elle me faisait tellement mal et… »

Touché par les sanglots d'Eléonore, Fide s'approcha d'elle et la prit dans ses bras afin de la consoler. Elle enfouit son visage contre son torse, agrippa sa veste et libéra son chagrin dans un cri de douleur. Ardyn ne put qu'assister à la scène incrédule. Pas une seule fois, il ne s'était posé la question de savoir ce que devenaient les stigmatisés mais à y repenser, tout prenait enfin un sens. Il n'y avait jamais eu de décès déclarés à cause de l'épidémie mais combien de disparitions étranges lui avait-on rapporté ? Il ne s'en souvenait même plus tant ce nombre était élevé. Ainsi les daemons craignaient la lumière. Il comprenait également pourquoi les victimes finissaient par s'éclipser à l'arrivée de leur transformation. Elle ne survenait que la nuit. La nuit uniquement, vraiment ? Et si c'était plus large que ça ? S'il suffisait qu'il y ait une absence de luminosité pour qu'elle surgisse ?

Il fut interrompu dans son analyse par la main de Fide qui s'était posée sur son épaule droite. Ardyn s'aperçut que la fille n'était plus là, elle avait dû rentrer chez elle.

« La nuit n'est pas terminée, nous devrions aller dormir. » déclara son ami.

« Oui, entrons dans l'auberge. »

Ils convinrent d'une heure pour se retrouver le lendemain et s'installèrent chacun dans une chambre, l'auberge ne proposant que des chambres avec un seul lit double. L'aîné des frères eut du mal à trouver le sommeil, il repensait sans cesse à tous les daemons qu'il avait occis sans aucun scrupule en pensant protéger les occupants des lieux qu'il avait visités. C'est donc avec des cernes qu'il quitta le modeste domicile et qu'il commença à faire le tour de la ville pour guérir ses habitants. Il pouvait au moins apaiser sa culpabilité en continuant sa laborieuse mission jusqu'au bout mais un seul moment de tranquillité et ses remords remontaient à la surface. Il fallait également qu'il écrive à son frère pour lui donner des nouvelles mais il décida de garder cette information pour lui. Il ne voulait pas que la panique s'empare de Solheim toute entière et il refusait que l'état de son père empire par sa faute. Les daemons représentaient une réelle menace et il n'y avait pour le moment aucun moyen de savoir s'ils pouvaient reprendre leur forme humaine.

« Mais bien sûr ! » s'exclama-t-il au beau milieu de la rue.

Fide qui était accompagné d'Eléonore le regarda, intrigué.

« Tu viens de penser à quelque chose ? »

« Il faut que je sache si je suis capable de rendre leur apparence humaine aux victimes. » lui expliqua-t-il.

« Mais si c'est le cas, ça signifierait que… »

Devinant ce que l'homme aux yeux verts allait dire, la jeune femme se plaça devant lui et l'empêcha de terminer sa phrase en posant son index sur sa bouche.

« Vous avez fait tout ce que vous avez pu. C'est moi qui vous le demande Ardyn. Je trouve que c'est une excellente idée. Si cela fonctionne alors ma mère ne sera pas morte en vain. » affirma la jeune femme, déterminée.

Gêné par ce contact, Fide se tut mais ne put s'empêcher de rougir. Eléonore était belle mais surtout elle était forte et courageuse. Elle avait beaucoup pleuré cette nuit-là car ses beaux yeux noisette étaient rouges mais elle n'avait rien laissé paraître lorsqu'elle les avait retrouvés dès le lendemain matin. Ses longs cheveux châtains qui étaient tressés et noués avec des rubans lui donnaient un air encore plus adorable.

« Il faut que nous trouvions un daemon pour tenter l'expérience mais y aller la nuit serait du pur suicide. » réfléchit Fide.

« J'ai pensé que peut-être en cherchant dans des lieux privés de lumière… » songea Ardyn.

« Comme une grotte ? » osa Eléonore.

« Oui ce serait parfait. Tu en connais une dans le coin ? »

« Oui, il y en a une tout près du temple. Il s'agit d'un endroit qui servait d'abri lors de catastrophes naturelles mais plus personne n'y va depuis que la maladie s'est déclarée. » détailla-t-elle.

« Tu peux nous y emmener ? » questionna le brun aux yeux d'ambre.

« Evidemment ! Je veux savoir moi aussi. »

« Ce sera sûrement dangereux, tu es sûre ? » tenta de la dissuader Fide.

« J'ai deux gardes du corps avec moi, je ne risque rien ! » lui lança-t-elle avec un sourire.

Ils se dirigèrent à l'endroit désigné par la jeune femme et pénétrèrent prudemment à l'intérieur. Les murs étaient jonchés d'inscriptions en partie effacées par le temps, l'air était humide et l'endroit mal entretenu, poussiéreux et sale. Cela confirmait que l'abri n'avait pas été habité depuis un moment. Ils ne tardèrent pas à tomber sur des daemons, des créatures d'apparence gobeline, qui se jetèrent sur eux sans pitié.

« Gardons en un en vie mais nous allons devoir tuer tous les autres… » déclara le jeune guérisseur avec regret.

« Eléonore, ne t'éloigne pas de moi. » conseilla Fide.

Résolu à protéger la jeune femme, il mit ses remords de côté et tua trois des cinq gobelins qui les avaient attaqués. Les deux survivants tentèrent de prendre la fuite mais Ardyn s'interposa et transperça le quatrième avec son épée. Bloqué dans un coin, le cinquième ne pouvait que pousser des grognements et essayer de mordre ses opposants. Fide l'immobilisa au sol afin de permettre à Ardyn d'utiliser son don sur lui mais rien ne se produisit.

« Ça ne fonctionne pas. » constata ce dernier désemparé.

« Apparemment, une fois qu'ils sont transformés, c'est trop tard. »

« Je vois… » fit la jeune femme, visiblement déçue.

« Ça ne sert plus à rien de rester ici. Les cris du daemon risquent d'en attirer d'autres. Allons-nous-en. » déclara le fils aîné. « Qu'est-ce qu'on fait de celui-ci ? »

« Laissons-le partir. Il ne nous attaquera pas tout de suite. Ce sont des daemons assez peureux qui agressent généralement en groupe. » expliqua Fide.

« Comme tu voudras. »

La créature fila sans demander son reste pendant que les trois jeunes gens regagnaient l'entrée de la grotte puis rentrèrent en ville.

« Je retourne à l'auberge. » affirma Ardyn.

« Tu vas écrire à ta famille je suppose ? » devina Fide.

« Oui car je ne sais pas combien de temps celle-ci mettra à lui parvenir. Il vaut mieux que je le fasse dès le départ. Tu m'accompagnes ? »

« Hmm… » son ami semblait quelque peu gêné « Eléonore m'a proposé de me faire visiter les alentours donc je me suis dit ça pourrait être utile d'en apprendre davantage sur les us et coutumes d'ici. »

Amusé, l'aîné des frères le regarda avec un sourire en coin. Il n'était pas idiot et avait déjà remarqué que la jeune femme ne lui était pas indifférent.

« Prends ton temps. Nous n'allons pas partir d'ici de sitôt de toute façon. »

« Vraiment ? » s'exclama Eléonore en joignant les mains, ravie.

Ardyn eut de la peine à cacher un rire devant la réaction de la jeune femme. C'était apparemment réciproque. Ces deux-là lui faisaient penser à Somnus et Aurore. Il espéra qu'ils ne mettent pas aussi longtemps qu'eux pour s'en rendre compte.

Arrivé à l'auberge, il s'assit à la table de sa chambre et commença sa lettre.

Mon cher Somnus,

Voilà presque deux ans que nous sommes partis. Nous venons à peine d'arriver à Pitioss, la sainte cité protectrice du temple de l'Hexatheon. Est-ce que tout le monde va bien ? Comment va la santé de notre père ?

Je ne sais pas quand tu recevras cette correspondance ni quand je recevrai ta réponse mais je devrais de nouveau repartir pour la destination suivante quand ce sera le cas. Nous remonterons vers le Nord pour atteindre la région de Shiva puis nous passerons par Ifrit pour terminer par Léviathan. Après cela, enfin, nous pourrons rentrer auprès de vous.

Je suis heureux d'être accompagné de Fide. Je ne sais pas comment j'aurais fait sans lui. Ce n'est que depuis que j'ai quitté la maison familiale que j'ai pris conscience de combien je suis chanceux d'être aussi bien entouré.

Nous avons rencontré une jeune femme du nom d'Eléonore qui vient de perdre sa mère à cause de la maladie. Elle me fait beaucoup penser à Aurore et je crois qu'elle plaît à notre cher Fide. Je souris en écrivant ces mots car je repense à vos chamailleries, à votre complicité. L'amour semble être un sentiment si complexe, est-ce si différent de l'amour d'une famille, de l'affection entre deux frères ? Peut-être pourras-tu m'apporter une partie de la réponse.

J'allais oublier : transmets mes amitiés à Will. Le bébé Chocobo a dû bien grandir depuis.

Ton frère Ardyn.

o-o-o-o

« Ardyn, il arrive ! »

Fide venait de pousser la porte de la chambre avec fracas, visiblement angoissé. L'homme aux yeux ambrés était en train d'entretenir son équipement et il abandonna alors sa tâche pour suivre son meilleur ami. Ils coururent jusqu'à la maison d'Eléonore qui était à proximité, entrèrent dans la demeure sans frapper et montèrent rapidement à l'étage. La jeune femme était couchée sur le lit, le visage en sueur, respirant rapidement et semblant souffrir. Son ventre était arrondi, elle était en train d'accoucher. À ses côtés, une sage-femme lui donnait les instructions. Fide prit la main de sa compagne, inquiet.

« Mon amour, tout va bien se passer. »

La jeune femme lui sourit tendrement.

« Tu es plus paniqué que moi tu sais. »

« Quand je vous dis de pousser, poussez. » indiqua l'accoucheuse.

« Oui… » fit Eléonore en grimaçant à cause de la douleur des contractions.

À une distance suffisante pour leur laisser de l'intimité, Ardyn assistait à la scène. La naissance. Une mère qui donnait la vie. Il n'avait jamais connu sa mère, elle était morte en couche d'après ce que lui avait dit son père mais à part cette modeste information, il ne savait rien d'elle. Gilliam avait toujours refusé d'en parler et s'était énervé les rares fois où Somnus et lui avaient insisté pour en savoir plus. À force d'essuyer sa colère, les enfants n'y avaient plus jamais fait allusion. Ardyn aimait son père d'une certaine façon, Somnus, Aurore et Fide d'une autre mais comment aimait-on la femme qui nous donnait la vie ? Cela aussi, il l'ignorait et il se sentit à ce moment-là, extrêmement vide. Voir cet enfant à naître et les larmes de bonheur couler des joues de ses parents en entendant les cris du nouveau-né, le ramenaient à sa cruelle réalité. Les soins de Flora, leur gouvernante, n'avaient jamais réussi à lui faire oublier ce manque. Même s'il était heureux pour ses compagnons, il ne pouvait s'empêcher de ressentir une certaine mélancolie et il se sentit alors extrêmement pitoyable d'envier un nourrisson.

« C'est une fille, Ardyn ! » s'exclama fièrement Fide.

Il s'approcha de lui, le bébé qui pleurait dans les bras. L'homme aux yeux d'ambre eut un léger mouvement de recul en anticipant ce que son ami avait l'intention de faire.

« Non je…je risque de lui faire mal. » bafouilla-t-il.

« Mais non voyons. Tiens, porte-la comme ça. Voilà, doucement. » expliqua son bras droit en lui montrant comment la tenir. « Regarde, elle ne pleure plus. »

Ardyn observait ce petit être fragile et sourit légèrement. Il avait les yeux de son père, aussi verts que des émeraudes étincelantes. Le bébé le fixait en babillant jusqu'à ce qu'il s'endorme alors. La sage-femme récupéra alors la petite fille et la ramena doucement à sa mère. Elle représentait l'avenir qu'il devait protéger. Elle ne devait pas vivre dans un monde qui risquerait de l'emporter à tout moment. Trois ans s'étaient écoulés depuis l'envoi de sa lettre, il ne comprenait pas pourquoi Somnus ne lui avait toujours pas répondu et se posait mille questions. Et s'il était retombé malade ? S'il était mort ? Non, il ne voulait pas y penser mais il ne pouvait pas attendre plus longtemps. Eléonore et Fide avaient été touchés par l'épidémie quelques mois après leur visite de la grotte mais ils n'étaient pas retombés malades depuis. Ardyn avait déjà soigné Somnus une fois donc peut-être que son frère était indemne. Il l'espérait.

« Fide… » dit-il enfin après un moment de silence. « Je pense repartir demain en pèlerinage. »

« Mais et la lettre de ton frère ? Tu ne l'attends pas ? » questionna ce dernier surpris.

« Je sais mais je ne peux pas me permettre de perdre plus de temps. Cela fait déjà trois ans, je ne sais même pas s'il est toujours en vie… »

« Je comprends. »

« Tu restes ici n'est-ce pas ? Auprès de ta femme et de ta fille. C'est ta place désormais. »

« Je… » Fide se mordit la lèvre inférieure. Il voulait accompagner son ami mais Ardyn avait raison.

« Ne t'excuse pas. C'est ainsi que les choses doivent être. »

« Si jamais je reçois des nouvelles de ton frère, je te ferai parvenir sa lettre dès que possible. »

« Tu as la carte sur toi ? » demanda Ardyn.

Fide hocha la tête et sortit une toile soignée, pliée en quatre de sa poche arrière. Il la tendit à son ami. Ardyn l'ouvrit et posa son doigt sur la carte afin de lui indiquer sa prochaine destination, au Nord-Ouest de Solheim.

« C'est la cité de Nifl en Ifrit. » confirma Fide. « Je m'en souviendrai. »

« Je passerai d'abord par Shiva mais je ne m'y arrêterai pas longtemps, juste le temps de soigner les gens sur mon passage. »

« Très bien. »

« Je vais rentrer, je n'ai pas terminé d'entretenir mon équipement. Toutes mes félicitations pour cette petite fille. »

L'homme prit congé de son ami et rejoignit l'auberge pour se préparer à un nouveau départ. Cette fois, il serait seul mais il n'était pas effrayé par la situation. En réalité, il préférait que son meilleur ami reste en sécurité. Il était devenu père et sa nouvelle famille avait besoin de lui.

Il harnacha son Chocobo et quitta la ville suffisamment tôt pour rester discret mais c'était sans compter sur la loyauté de Fide qui devait l'attendre depuis un moment à la sortie. Ardyn soupira même si ça lui faisait plaisir intérieurement.

« Tu avais vraiment prévu de t'en aller sans me dire au revoir ? » demanda Fide

« Je ne voulais pas que ça passe pour un départ définitif, je n'ai jamais aimé les adieux déchirants. » tenta-t-il de justifier.

« Ne t'en fais pas, je te taquine. En réalité, je m'en doutais un peu mais tu crois vraiment que je t'aurais laissé partir comme ça ? »

« Je m'avoue vaincu… » avoua Ardyn.

Les deux hommes gardèrent le silence un moment.

« Je suis désolé Ardyn. » s'excusa Fide, au bord des larmes.

« Tu ne me rends pas la tâche aisée. »

« Comprends-moi. Je suis chargé de ta protection depuis tout petit, je ne crois pas que nous ayons été séparés une seule fois depuis. »

« Hmm, en fait, il y en a bien eu une. » corrigea le jeune homme. « Si je te parle de la rivière près de la maison, ça te dit quelque chose ? »

« Quand tu as failli te noyer ? »

« C'est ça. »

« Arrête, j'ai été nul ce jour-là, j'ai même souhaité abandonner mon poste tellement je m'étais senti inutile. Je suis resté cloué au lit pendant trois jours après ça. »

« Quelle idée de sauter dans l'eau sans savoir nager aussi ! » se moqua gentiment Ardyn.

« Raaah, quelle honte ! » s'exclama Fide en se frottant énergiquement les cheveux.

Les deux amis se regardèrent et éclatèrent de rire en même temps puis la réalité les rattrapèrent.

« Merci Fide, merci d'avoir toujours été à mes côtés… » avoua-t-il.

« Arrête, là, ça ressemble vraiment à un adieu. »

« Tu as raison. Je vais y aller. »

« Fais attention à toi mon ami... » déclara le nouveau père presque dans un murmure.

« Prends soin de ta famille. Je vais en finir avec tout ça. »

Sur ces mots, Ardyn s'en alla sans se retourner et prit la direction de Shiva, déterminé à faire en sorte que le fléau fasse très bientôt parti du passé.

Il passa les mois suivants à traverser les zones habitées à la recherche de malades à soigner. En trois ans, l'épidémie avait eu le temps de se propager et de faire d'innombrables victimes. Les disparitions étaient proportionnelles à l'émergence des daemons et les gens encore sains étaient bien trop préoccupés par leur survie pour penser à faire le lien entre ces deux événements. Il avait tenté d'avertir les habitants lors de l'une de ses interventions au sein d'un petit village mais personne ne l'avait pris au sérieux et on lui avait demandé de quitter les lieux lorsqu'il avait essayé de prouver ses dires. Les gens trouvaient cela bien trop farfelu pour y croire. Il est vrai qu'avant de le voir de ses propres yeux, Ardyn n'aurait jamais imaginé que des humains puissent se transformer en monstre. Les rares personnes y ayant assisté n'avaient peut-être pas eu la chance de pouvoir se défendre. Il ne pouvait pas courir le risque de passer ses nuits dehors, c'est pourquoi il décida de garder cela pour lui.

L'homme qui avait à présent vingt-sept ans s'attelait à sa tâche sans vergogne afin d'oublier la solitude. Il avait sous-estimé l'importance de Fide dans sa vie et les nombreuses histoires de ce dernier lui manquaient. L'homme qu'il voyait comme un frère était extrêmement cultivé, il avait appris beaucoup à son contact et se battre à ses côtés était devenu une habitude. Lors de ses pérégrinations, Ardyn avait passé quelques nuits sans lendemain avec des femmes qui s'étaient offertes à lui mais il ne ressentait aucun attachement particulier à leur égard. Elles avaient été là pour combler de rares besoins charnels et il n'avait pas envie de plus. Il prenait également ses précautions pour éviter de se retrouver dans une situation qu'il ne désirait pas pour le moment. Il avait bien le temps de penser à être père et sa vie actuelle ne le lui permettait de toute façon pas.

Pendant son voyage, il dût s'arrêter plusieurs fois pour se protéger des intempéries. Etrangement, le climat était changeant et parfois même, extrêmement coléreux. Des tremblements de terre, des tornades, des typhons, des éruptions volcaniques, des orages violents s'abattaient régulièrement sur toutes les régions et causaient beaucoup de dégâts. Ardyn avait appris ces nouvelles des habitants des localités qu'il visitait et devait se tenir informé avant de repartir de nouveau.

Il arriva à Nifl plus tard que prévu, il s'était écoulé treize mois depuis qu'il avait quitté Pitioss. Il se présenta à l'unique auberge de la cité afin de proposer ses services de guérisseur. Un vieil homme à l'air ronchon marmonna un « Bonjour » à peine audible et se dirigea vers son bureau.

« J'ai une lettre pour vous. » déclara le vieil aubergiste.

« Une lettre ? » demanda Ardyn. Fide avait dû anticiper les choses comme à son habitude.

« Oui. Elle est arrivée depuis plus de deux mois déjà. Il y avait un mot dessus indiquant que le destinataire du courrier passerait donc je ne l'ai pas jetée. Attendez un peu, elle doit se trouver dans un de mes tiroirs. »

Il farfouilla quelques instants en grommelant et finit par dénicher la correspondance. Il la tendit à Ardyn qui remercia le vieil homme d'une révérence.

« Je vais vous montrer votre chambre, suivez-moi. » poursuivit l'aubergiste.

« Merci. » fit simplement le jeune homme.

« Vous allez avoir de quoi faire par ici, vous n'êtes pas prêt de partir. Il y a beaucoup d'infectés et si vous savez vous battre, je vous conseille d'aller vous présenter à la caserne. Dernièrement, les daemons ont afflué en masse et ça commence à devenir trop dangereux. Heureusement qu'on est encore en sécurité en plein jour, on a vite compris que ces saletés n'aimaient pas la lumière. Mais ce n'est vraiment pas bon pour les affaires. » déballa le vieil homme.

Ce dernier laissa Ardyn s'installer dans sa chambre après avoir reçu le paiement et retourna à ses occupations. L'homme aux yeux d'ambre avait besoin d'un bon bain et d'un repas chaud, il lirait la lettre de Fide après. Il se déshabilla et se laissa aller dans l'eau légèrement parfumée, dans l'intention de se détendre. Il jeta un œil à son corps, détaillant chaque partie pour détecter le moindre stigmate mais il n'y avait rien. Il avait été plus proche de la maladie que n'importe qui sur Eos sans jamais la contracter et il n'avait plus d'effets secondaires. Le seul changement radical chez lui et qui était visible, était sa couleur de cheveux. De brun profond, elle était devenue pourpre tirant parfois sur le violet selon la luminosité. Les stigmates étaient dans le même ton, était-ce lié ? En dehors de ça, Ardyn n'avait aucune autre différence notable, il ne se sentait pas malade. En presque six ans, s'il avait été infecté, il aurait déjà dû se transformer. Du moins, c'est ce qu'il se dit pour se rassurer.

Il sortit du bain, sécha son corps et ses cheveux mi-longs et entoura sa taille avec une serviette, il s'habillerait plus tard. En passant dans la pièce principale, il remarqua que l'aubergiste avait posé son repas sur la table et qu'il commençait déjà à refroidir. Il mangea rapidement et ouvrit enfin la lettre de Fide qui contenait deux courriers, celle de son frère y était peut-être ? Ardyn blêmit en la lisant.

Cher Ardyn,

Nous nous portons bien mais les choses ont bien changé depuis ton départ. Monseigneur Izunia est décédé quelques mois après la réception de ta dernière lettre. J'aimerais te dire qu'il est parti dans son sommeil sans souffrance mais ce n'est pas le cas. Sa maladie respiratoire a empiré et a fini par avoir raison de lui. Je suis désolée de te l'apprendre ainsi, je sais que tu aurais préféré être là.

Comme une mauvaise nouvelle n'arrive jamais seule, Will est mort peu de temps après lui. Les domestiques essaient de gérer l'écurie comme ils peuvent mais ce n'est plus pareil.

Somnus et moi sommes ensemble depuis un moment mais nous ne nous sommes pas encore mariés. J'ai pu convaincre ton frère de t'attendre pour que tu puisses être présent le jour de notre mariage. Il était tellement pressé de m'épouser qu'il avait failli t'oublier. Ne lui en tiens pas rigueur.

Concernant l'épidémie, nous avons reçu récemment les rapports de certaines des équipes que ton frère a envoyé enquêter un peu partout sur Solheim. Ils disent qu'aucun décès clinique n'a été rapporté suite à la contraction de la maladie. Je suppose que c'est parce-que tu t'es déjà occupé des personnes infectées ? Cependant, dans ces rapports, il est aussi question de moultes disparitions étranges et inexpliquées alors que les daemons se font toujours plus nombreux et menaçants. Nous n'avons pas encore tous les tenants et aboutissements de cette affaire mais Somnus ne compte pas abandonner ses recherches. De ton côté, es-tu au courant de quelque chose ? As-tu pu remarquer des événements étranges en corrélation avec ce dont je fais allusion ?

Tu dois sûrement te demander pourquoi je t'écris à la place de ton frère ? Pour tout t'avouer, la mort de votre père l'a beaucoup affecté et il s'est plongé dans le travail pour éviter d'y songer. Il ne m'a rien dit à ce sujet mais je l'ai vu lire ta lettre et l'espace d'un instant, j'ai pu voir un sourire s'afficher sur son visage. N'aie aucun doute sur le fait que Somnus pense souvent à toi.

Prends soin de toi et reviens nous vite.

Aurore.

Le jeune homme serra tellement les poings qu'il sentit la douleur de ses ongles s'enfonçant dans sa peau. Il se leva brusquement, balaya d'un coup sec tout ce qu'il se trouvait sur le meuble et hurla à n'en plus finir, frappant du poing sur la table plusieurs fois d'affilé, de rage et de désespoir. Après de longues minutes, la respiration saccadée, il se calma, ramassa la lettre de Fide qui avait volé dans un coin et s'assit sur son lit pour poursuivre sa lecture.

Mon ami, mon frère,

Avant que tu dises quoique ce soit, sache que j'ai lu la lettre qui t'était adressée. Tu pourras me passer un savon lorsque nous nous reverrons. Je l'ai ouverte car il s'agissait d'une correspondance venant d'Aurore, je ne l'aurais pas fait si elle était venue de Somnus seul. Seulement, j'ai un peu paniqué et j'ai voulu savoir si tout allait bien avant de te la renvoyer. Je suis donc au courant que Monseigneur Izunia et Will sont décédés.

Tu as toujours été quelqu'un d'extrêmement calme mais là, je sais que tu vas craquer…et que tu liras probablement mon courrier après avoir passé ta colère sur quelque chose. Tant que tu ne la passes pas sur quelqu'un, ça me va !

N'abandonne pas Ardyn, tu touches bientôt au but. Sache que mes pensées t'accompagnent et que chaque jour, je prie les Six pour que tu mènes à bien ta mission. Te rappelles-tu ce que t'a dit ton père la veille de notre départ ? Qu'il était fier de toi. Je suis persuadé que jusqu'à la fin, ses sentiments étaient tournés vers toi.

J'attends ta prochaine lettre avec impatience.

Ton fidèle ami, Fide

PS : Anna a hâte de rencontrer « le gentil héros qui a sauvé sa maman et son papa ». Ce sont presque ses propres mots. Bon, je l'admets, j'ai quelque peu modifié ses termes car elle est encore un peu jeune pour prononcer une phrase entière. Cependant tu verras, c'est une enfant très éveillée pour son âge.

« Comment fait-il ? » se demanda Ardyn, amusé.

Il se sentait tout de suite mieux et bourré d'une volonté nouvelle. Son meilleur ami avait raison, son but touchait bientôt à sa fin. Il avait quasiment fait le tour du monde et ne pouvait pas laisser tomber maintenant. Abandonner ne lui rendrait pas ses proches, ne rendrait pas à Somnus son sourire. Bien au contraire, il ne pourrait plus regarder son frère en face après cela.

L'homme aux cheveux mauves passa la nuit et se leva tôt pour se rendre à la caserne dont lui avait parlé l'aubergiste. Contrairement aux autres villages qu'Ardyn avait visité, les rues de Nifl étaient bondées de monde. Cela lui faisait du bien de voir de l'animation autour de lui, les gens parlaient de tout et de rien, marchandaient, se promenaient dans l'insouciance générale. La panique ne semblait pas s'être propagée dans la cité, les habitants menaient une vie presque normale. Le jeune homme demanda son chemin à un commerçant qui lui indiqua la route de l'endroit où étaient emmenés les infectés sous quarantaine. Il fut accueilli froidement comme c'était toujours le cas au départ puis débuta sa routine quotidienne. Ses gestes étaient devenus machinaux mais il était toujours courtois et agréable envers les personnes malades ce qui lui attirait automatiquement la sympathie des résidents et l'admiration des résidentes.

En parallèle de son travail de guérisseur, Ardyn venait également en aide aux organisations locales pour la protection des habitants et accompagnait les excursions dans le but d'éloigner les daemons des villes. Puisqu'il n'y avait aucun moyen de rendre leur véritable apparence aux victimes de l'épidémie, il pensait que la meilleure chose à faire était de libérer ces pauvres âmes et de leur donner la paix qu'elles méritaient. Cela lui permettait également de gagner sa croûte afin de vivre correctement mais il n'arrivait pas à se défaire de sa culpabilité à ôter la vie. Il était conscient d'être contradictoire dans sa façon de penser. Il ne voulait pas tuer mais protéger et les daemons étaient des créatures agressives. S'il les laissait divaguer librement, elles causeraient la mort d'autres innocents. Il enviait un peu l'ignorance des chasseurs qui les tuaient sans pitié.

Il resta seulement un an à Nifl et quitta la zone une fois ses soins effectués sur l'ensemble des localités de la région. Le jeune homme chercha un bateau pour rejoindre la contrée de Léviathan, sa dernière destination. La capitale se nommait Altissia et était entourée d'eau, c'était un endroit absolument magnifique et en totale autarcie, fonctionnant avec la puissance des eaux.

Cependant, la nuit, la capitale était à certains endroits mal éclairée. Certaines rues étaient même plongées dans l'obscurité ce qui accroissait inévitablement la présence de daemons et de ce fait, le nombre de victimes. Ardyn allait devoir rester dans la cité le temps d'envoyer puis de recevoir des nouvelles de ses proches et pouvoir enfin repartir mais il ne savait pas combien de temps cela prendrait. Il écrivit deux lettres : une à Somnus et une à Fide qu'il confia à un messager réputé pour sa célérité. Ses services étaient chers mais l'aîné de la famille Izunia avait œuvré durement dans ce but.

« Transmettez celle-ci en premier. » demanda Ardyn en désignant la correspondance de son meilleur ami.

« Très bien Monsieur. » obéit le messager.

Mon cher Fide,

Je ne t'en veux pas d'avoir lu le courrier qui m'était destiné. En réalité, je te remercie car c'est à toi que je dois le fait d'avoir poursuivi mon objectif. Tu es père à présent et ta fille mérite de vivre dans un monde en paix. Je prie les Dieux pour que cette épidémie ne soit bientôt plus qu'un mauvais souvenir. Je sais qu'ils veillent toujours sur nous.

Je t'écris d'Altissia, cité de la contrée de Léviathan. Nous l'avions déjà vue dans les livres de géographie de notre enfance mais elle est bien plus majestueuse dans la réalité. Je suis persuadé qu'elle te plairait, quoi qu'il y ait peut-être un peu trop d'eau pour toi, ha ha. Je t'entends déjà râler à la lecture de cette mauvaise blague.

J'ai acheté les services d'un éminent messager, j'espère que ma correspondance te parviendra plus vite cette fois-ci. Mon voyage s'achève bientôt, je rentrerai d'abord à Pitioss puis j'irai auprès de Somnus afin de l'aider à gérer la maison familiale. Nous rejoindras-tu avec ta petite famille afin de reprendre le flambeau des Kurena ? Tu pourras enfin réaliser ton rêve.

A notre prochaine rencontre mon ami, mon frère.

Ardyn.

« Celle-ci devra être transmise à Insélia. »

Mon frère,

J'espère que tu liras ma lettre. Aurore m'a donné de tes nouvelles et je lui en sais gré. Je suis heureux de savoir que vous formez un couple aimant et je me réjouis d'avance d'avoir la chance d'assister à votre mariage.

Est-ce que tu vas bien ? Je rentre très bientôt à la maison, sache que tu auras tout mon soutien concernant la gestion du domaine. Je suis conscient que cela a dû être difficile pour toi après la mort de Père, j'aurais voulu être là pour t'épauler mais ne t'inquiète pas, nous pourrons traverser cette épreuve ensemble. Avec Aurore, Fide, toi et moi. Tous les quatre, comme avant.

Dès mon retour, il faudra que nous abordions la question des daemons. J'ai pu recueillir pas mal d'informations à leur sujet et si nous regroupons ce que nous avons trouvé tous les deux, je suis sûr que nous serons capables de trouver une solution. Après tout, Insélia possède les meilleurs chercheurs au monde.

A bientôt,

Ardyn.

« Vous avez payé plus que nécessaire, ce n'est pas un problème. Je vais tâcher de répondre à vos attentes. » déclara le messager.

« Faites au mieux et soyez prudent. »

« Merci. » remercia l'homme en s'inclinant respectueusement devant son employeur.

Les journées d'Ardyn étaient remplies, Il ne se posait pas de question et se noyait dans le travail. Il lui arrivait même de ne pas dormir de la nuit mais il ne ressentait pas la fatigue ce qui eut comme conséquence qu'il perdit peu à peu la notion du temps. La journée, il soignait les personnes qui se présentaient en zone de quarantaine et certaines nuits, il partait à la chasse aux daemons avec les volontaires de la caserne.

Pendant les trois ans qu'il resta à Altissia, il se lia à un petit groupe parmi les chasseurs qui avait rapidement repéré les compétences martiales remarquables d'Ardyn. Lorsqu'il n'était ni à la clinique, ni en contrat de chasse, il passait parfois du temps avec eux à la taverne du coin. En réalité, le jeune homme les observait plus qu'il n'engageait la conversation avec eux car il voulait éviter de se lier d'amitié avec des personnes qu'il ne reverrait sûrement plus par la suite mais il les trouvait tout de même amusants. Leur groupe était constitué de trois hommes et d'une femme, une coïncidence qui le faisait sourire. Ils lui faisaient penser à ses propres amis et avaient grandi ensemble au sein d'Altissia. Ils n'avaient pas de lien de parenté à proprement parler mais leur attachement mutuel était quasiment similaire à ceux de frères et soeurs.

« Ardyn, où tu as appris à te battre comme ça ? » avait demandé un des hommes lors de leur dernier rassemblement.

C'était un homme un peu plus grand qu'Ardyn qui mesurait déjà 1m90. Châtain aux yeux bruns, les cheveux courts, il parlait beaucoup, parfois trop pour le jeune homme aux yeux ambrés qui aspirait en général au calme, mais il était très gentil et généreux.

« Léo, un vrai guerrier ne divulgue pas ses secrets donc ça ne sert à rien de harceler Ardyn à chaque fois qu'on le voit. Si tu passais plus de temps à t'entraîner et moins à jacasser, peut-être que tu aurais déjà atteint son niveau ! » lança le plus petit des quatre membres du groupe.

Celui qui avait répondu à la place d'Ardyn n'avait pas l'apparence de son caractère. Les cheveux roux et de longueur moyenne, il semblait assez menu sous son équipement mais il avait un fort tempérament et détestait qu'on lui rappelle sa petite taille.

« Mange ta soupe demi-portion ! » se défendit Léo.

« Qu'est-ce que t'as dit ?! Répète un peu pour voir ? » s'écria le jeune homme roux qui était presque monté sur la table sous la colère.

« Je ne dis que la vérité, Ralf. Tu es petit, il va falloir t'y faire. » continua-t-il de le narguer.

« Calmez-vous où je le fais moi-même… » fit tranquillement le troisième homme de la bande.

Son expression sévère allait de pair avec son apparence sobre. Ses cheveux mi-longs blonds longeaient la forme de son cou et ses mèches cachaient presque ses yeux bleus.

« Yan a raison, arrêtez de vous disputer sans arrêt. » avait surenchérit la jeune femme.

Elle était assise à côté de ce dernier et semblait attendre la moindre intervention du jeune homme.

Sa voix fluette et ses traits fins apportaient une touche de douceur au groupe.

« Maria, comme d'habitude, toujours d'accord avec Yan ! » se moqua Ralf d'un air malicieux.

« Ce…ce n'est pas vrai ! » nia-t-elle en cachant ses joues qui étaient devenues rouge.

La bonne humeur remplaça rapidement leurs petites chamailleries habituelles.

« Hé Ardyn ! » reprit Léo de plus belle. « Viens avec nous ce soir ! On a pu dénicher un contrat de chasse intéressant qui pourrait nous rapporter pas mal. Bien sûr, on partagera les gains. »

« Léo, l'usage est de demander poliment. » corrigea calmement Yan puis se tournant vers Ardyn « Le tavernier nous a parlé d'un daemon qui apparaît toutes les nuits à la même heure, vers trois heures du matin, et qui reste en permanence au même endroit. C'est une cible facile et nous sommes les premiers à avoir eu l'info. »

Intrigué par l'explication du chef du groupe, Ardyn souhaita en savoir plus.

« Quel daemon chassez-vous ? »

« Un simple Tomberry. On en a déjà tué plusieurs ensemble. » répondit Maria gaiement.

« Et la prime est de combien ? »

« 5000 gils ! Tu te rends compte ? » répliqua énergiquement Léo.

« Chut, moins fort ! » gronda la jeune femme.

« C'est curieux que ce soit aussi élevé. Tu es sûr qu'il ne s'agit que d'un Tomberry ? » questionna Ardyn.

« Si on te le dit ! Le tavernier a été formel. Nous aussi, ça nous a paru bizarre au début. » expliqua Ralf. « Mais il a ajouté ensuite que personne ne voulait s'aventurer dans cette partie du quartier d'Altissia, c'est pourquoi les gains sont aussi intéressants. »

« Je vois. Effectivement, si le risque est plus grand… »

« Plus élevé sera l'argent ! Et en plus, ça rime. » rétorqua Léo.

L'homme aux cheveux violets ne releva pas la plaisanterie de ce dernier et finit par accepter de les accompagner. Ils se retrouvèrent devant l'auberge où logeait Ardyn, un quart d'heure avant la période indiquée par Yan, se dirigèrent vers le lieu du contrat de chasse et patientèrent que le daemon se montre. A trois heures exactement, le Tomberry surgit de la pénombre et se mit à se déplacer lentement en cercle comme s'il suivait un chemin précis.

« Il a un comportement étrange celui-là… » chuchota Yan. « Ne foncez pas tête baissée comme des idiots et restez à distance suffisante de ses attaques. »

« D'accord. » acquiesça Maria.

Ardyn avait un mauvais pressentiment, son instinct lui hurlait que quelque chose n'était pas normal.

« Allons-y ! » s'exclama Ralf.

Ils s'approchèrent du daemon prudemment et adoptèrent leur formation habituelle : Léo au front, équipé d'une épée légère et d'un bouclier, Yan équipé d'une lance, secondé par la masse de Ralf et l'épée d'Ardyn tandis que Maria surveillait leurs arrières avec son arc.

« Fais attention à sa lame Léo ! S'il te touche, tu risques d'y laisser ta peau. » prévint le chef du groupe.

« Compte sur moi, je ne le laisserai pas vous atteindre. »

Ardyn passa sur le côté suivi de Yan et ils assénèrent un premier coup à la créature qui ne réagit pas immédiatement. Le Tomberry se dirigea lentement vers Ralf mais Léo s'interposa pour bloquer son attaque.

« Ils sont pas aussi lents d'habitude, qu'est-ce qu'il a celui-là ? » s'écria le rouquin.

« Reste concentré Ralf ! » ordonna Yan. « Ils sont aussi imprévisibles ! »

Le daemon se retourna vivement et bondit sur Maria qui esquiva l'attaque de justesse. D'une agilité étonnante, Ardyn frappa la créature une seconde fois et tira la jeune femme par le bras avant que le monstre ne se jette de nouveau sur elle.

« Merci Ardyn… » remercia-t-elle, apeurée par l'attaque rapide du Tomberry.

« Ce n'est pas terminé… » fit ce dernier.

Le jeune homme s'élança sur le monstre et lui asséna plusieurs coups d'épée secondé par la lance de Yan qui transperça la créature. Maria tira une série de flèches qui allèrent se planter dans le corps du monstre. Celui-ci tomba à terre, vulnérable.

« Achevons-le ! » s'écria Ralf.

Le groupe mit tous ses efforts pour porter un maximum d'attaques qui mirent le Tomberry en déroute. Le corps du daemon ne se dissipa pas à sa mort.

« Qu'est-ce que… ? » murmura Ardyn.

Le cadavre du monstre se déforma, fondit et s'étala sur le sol en pierres mais une nouvelle masse commençait à se créer et à grandir.

« C'est quoi ce cirque ? » s'interrogea Léo.

L'instinct de l'aîné de la fratrie fut le plus fort et il poussa violemment le jeune homme qui avait baissé sa garde et allait recevoir la rancune du Tomberry, une attaque mortelle.

« Reprenez votre formation, ce n'est plus un daemon ordinaire ! » ordonna l'homme aux yeux ambrés.

« Qu'est-ce que c'est ? » demanda Yan en se replaçant derrière Léo.

« C'est un Chef Tomberry, il n'a plus rien avoir avec le monstre qu'on vient d'abattre. »

Ralf déglutit.

« Et on peut l'avoir ? »

« Si vous faites exactement ce que je vous dis, on a une chance. »

Le combat se poursuivit, le groupe suivant les ordres précis d'Ardyn pendant qu'il occupait le monstre. Les quatre amis étaient subjugués par l'adresse du combattant. Il combattait en général avec son épée mais il était également équipé d'une arbalète qu'il utilisait pour aveugler sa cible et de dagues pour causer de courtes mais rapides entailles. Le Chef Tomberry n'arrivait pas à suivre les mouvements vifs de son ennemi et poignarda dans le vide à de nombreuses reprises.

« Quand je te le dirai, frappe-le avec ton bouclier Léo ! »

« Compris ! »

Ardyn para une nouvelle attaque du daemon, passa derrière lui et lui porta un violent coup de pied qui fit perdre l'équilibre au monstre.

« Maintenant ! »

Léo frappa de toutes ses forces sur la tête de la créature qui fut mis en état de vulnérabilité. Ses compagnons s'acharnèrent sur lui et l'homme aux cheveux pourpres porta le coup fatal. Le Chef Tomberry disparut cette fois dans l'émanation noirâtre caractéristique des cadavres daemoniques. Le groupe était épuisé et rejoignit une rue éclairée afin d'éviter une nouvelle apparition. Une fois à l'abri, les quatre amis d'enfance laissèrent éclater leur joie sous les yeux bienveillants d'Ardyn et discutèrent sur le chemin du retour.

« Waouuuh ! C'était géant ! » s'écria Ralf.

« Ardyn, merci. Sans toi, on aurait pas réussi. » le remercia Yan.

« Tu m'as sauvé la vie, je te revaudrai ça. » lui sourit Maria, reconnaissante.

« Tu as une maîtrise effrayante de l'art du combat. Combien d'armes sais-tu utiliser ? » demanda Léo, des étoiles plein les yeux.

L'homme aux yeux d'ambre sourit doucement. Après tout, ce n'était pas si mal de se mêler aux autres.

« J'ai suivi un entraînement depuis tout petit avec un maître d'armes dont le nom est lié à la famille depuis toujours. Cette famille nous enseigne de génération en génération et assure notre protection en parallèle. » expliqua-t-il. « Pour autant que je me souvienne, dès que j'ai pu tenir une arme, j'ai appris à en manier plusieurs. »

« Trop cool ! » s'écria Léo, impressionné.

« Ce n'est pas grand-chose. » minimisa Ardyn.

« Léo, un rien te fascine. » se moqua Maria. « Mais je dois avouer que tu es vraiment doué. »

« Tu ne sembles pas être né parmi les roturiers. Tu as cette élégance innée que possèdent certains nobles. » remarqua Yan.

« Tu es perspicace. Je suis originaire d'Insélia. »

Alors que Ralf et Léo s'étaient mis à courir à l'approche de la taverne, pressés d'aller se désaltérer, Yan réfléchit quelques instants et comprit où ce dernier voulait en venir.

« Attends, ne me dis pas que tu fais partie de l'une des six familles ? »

« Je suis le premier né de Gilliam Izunia. »

Maria marchait en regardant ses pieds, songeuse. Le nom Izunia lui disait quelque chose mais quoi ?

« Je vois, tout s'explique. » déclara le jeune homme blond. « Décidément, tu n'as rien d'ordinaire ! » dit-il en riant.

« Je vais peut-être poser une question idiote mais le nom Izunia est connu n'est-ce pas ? Il me semble l'avoir déjà lu quelque part. » demanda la jeune femme.

« Oui, ma petite Maria. » acquiesça Yan. Cette dernière rougit en l'entendant lui parler aussi tendrement. « Il s'agit de l'une des six familles les plus puissantes de tout Solheim. Non j'ajouterai même, elle est la famille la plus puissante. »

Le fils aîné de la famille Izunia leva soudainement les yeux vers le ciel étoilé, surpris par un bruit dont il ignorait la provenance.

« Vous n'avez rien entendu ? » demanda-t-il gêné.

« Non, quoi ? » interrogea Maria.

« Ce doit être ton ima… »

Et puis une explosion au loin, suivie par un déluge d'eaux tourbillonnantes d'une violence inouïe. Des hurlements de terreur s'élevèrent dans la nuit, des pleurs, l'incompréhension qui se lisait sur le visage des trois compagnons.

« Ralf, Léo… » murmura Maria, paniquée.

Elle se mit à courir sans réfléchir en direction de la taverne qui se trouvait à quelques mètres de leur position.

« Maria, attends ! » cria Yan à son encontre. « Ardyn, suivons-la ! »

Ce dernier hocha de la tête et ils rattrapèrent la jeune femme qui s'était arrêtée au coin de la rue.

« Non… » suffoqua-t-elle, sous le choc.

Une partie du bâtiment s'était effondré sous la violence de l'impact. Yan se précipita à l'intérieur pour essayer de trouver des survivants.

« Les gars, vous êtes là ?! » cria-t-il inquiet.

Il entendit une faible voix appeler à l'aide à proximité du comptoir. En s'approchant, il constata avec horreur que le corps de Ralf gisait, écrasé sous les décombres. Réunissant tout son courage pour ne pas flancher malgré la douleur, il poursuivit ses recherches et accéda au comptoir en enjambant une table cassée en deux.

« Y…Yan, aide-moi » suppliait douloureusement Léo.

« Je vais te tirer de là. » promit-il. « Ardyn ! J'ai trouvé Léo. Vite, viens m'aider ! »

Maria allait pénétrer dans la taverne pour les assister lorsqu'elle fut arrêtée dans son élan par la voix du jeune homme aux cheveux blonds.

« Le bâtiment risque de s'effondrer d'un moment à l'autre, reste à l'extérieur ! »

L'aîné de la famille Izunia se tint à côté du chef du groupe. Des pierres s'étaient effondrées sur leur compagnon et avaient brisé ses jambes. Il était couché sur le dos et ne pouvait plus bouger, la chute des roches avait dû le surprendre.

« Ne t'inquiète pas mon vieux, on va soulever ça. »

Ils le débarrassèrent des plus petites pierres et saisirent ensuite la plus lourde restante. Mais en la soulevant, une importante giclée de sang s'échappa de la cuisse droite de Léo. Le poids de la roche avait empêché l'hémorragie de se déclencher même si l'homme perdait déjà beaucoup de sang.

« C'est pas vrai ! » s'écria Yan désemparé.

« Portons-le et amenons-le à la clinique, vite ! » ordonna Ardyn.

Ils passèrent chacun un des bras de leur compagnon autour de leur épaule et s'apprêtaient à sortir de la taverne lorsqu'une vague surgit juste sous leurs yeux, emportant Maria et le reste du bâtiment dans lequel ils se trouvaient et qui menaçait déjà de s'écrouler. Ardyn réussit à s'accrocher à une poutre qui pendait à l'extérieur d'une maison. Yan tenait encore Léo qui s'était vidé de son sang mais leur poids cumulé allait finir par venir à bout de leur seul moyen de survie.

« Yan, il est mort ! Lâche-le où on va mourir tous les deux ! » lui lança fermement l'homme aux yeux ambrés.

« Bordel ! » hurla ce dernier les larmes aux yeux.

Il laissa le corps sans vie de son ami se faire emporter par le courant et disparaître dans les flots. Ardyn qui agrippait son bras, lui tendit la main pour l'aider à se hisser sur une plateforme de pierre semblant encore intacte.

« Il faut chercher Maria, elle doit sûrement être en vie ! Bon sang, qu'est-ce qu'il se passe ici ? » demanda nerveusement le blond.

« Je ne sais pas. Il faut d'abord qu'on arrive à sortir d'ici. Quand les torrents se seront calmés, nous essaierons de la trouver mais avec la force du courant, je ne sais pas si… »

Il se tut en voyant Yan pleurer la mort de ses deux amis d'enfance.

« Comment est-ce que ça a pu arriver ? Il n'y a jamais eu de catastrophe de ce genre depuis que…, avant que… »

Yan se releva lentement et se tourna vers l'homme aux cheveux violets.

« Je vais chercher Maria… » poursuivit-il froidement.

« C'est impossible, tu vas te faire emporter par le courant ! »

Ardyn le fixait, une expression d'incompréhension sur le visage.

« Il y a deux ans, j'aurais dû écouter Ralf lorsqu'il me disait que tu nous porterais malheur. Ton espèce de pouvoir là, ce n'est pas quelque chose de normal. Dis-moi Ardyn, es-tu maudit ? »

« Je… »

Et avant de lui laisser le temps de répondre, son esprit vaincu par la perte de ses compagnons, Yan se jeta dans les remous avant de disparaître complètement. Ardyn ne put que saisir le vide en tentant de le rattraper. Il regarda sa main et prit appui contre le mur branlant de la maison dans laquelle il s'était réfugié, complètement abattu.

Il était resté seul toute une année à Altissia mais ses souvenirs auprès de Somnus, Fide et Aurore l'avaient irrémédiablement attiré vers ces quatre amis d'enfance. La solitude et le manque depuis son départ de Pitioss l'avaient anéanti et il avait pu trouver un certain réconfort auprès de ces personnes en les regardant vivre tout simplement.

Repensant aux mots de Fide, Ardyn se ressaisit et décida de prendre de la hauteur afin de contrôler l'étendue des dégâts sur la ville ce qui lui permettrait de dénicher un endroit un peu plus sûr pour se reposer un peu. Il testa une des poutres en appuyant fortement dessus et grimpa rapidement dessus jusqu'à atteindre une partie du toit.

La cité était méconnaissable, les structures étaient détruites, la plupart des bâtiments effondrés et la surface des eaux pleine de débris flottants et jonchée de cadavres. Il sauta sur les différents supports encore debout et pu atteindre une rue qui n'avait pas été inondée. Ardyn soupira de soulagement, il y avait des survivants mais tous étaient en état de choc. Un vieil homme montrait le ciel avec sa canne et parlait dans sa barbe mais le fils aîné de la famille Izunia l'entendit distinctement et n'en crut pas ses oreilles.

« Je l'ai vue ! C'était elle ! C'était Léviathan. » commença-t-il à dire.

« Qu'avez-vous vu exactement ? » demanda Ardyn, interloqué.

« J'ai vu Léviathan de mes yeux. Aussi nettement que je vous vois. Elle s'est réveillée pour nous punir d'avoir oublié nos croyances. J'ai prévenu les citoyens de continuer à vénérer nos Dieux pendant des années mais personne n'a voulu m'écouter »

« Les Dieux ne se montrent jamais aux humains. » déclara le jeune homme aux yeux ambrés.

« Il a raison, moi aussi je l'ai vue. » corrigea une mère de famille qui portait un enfant d'environ cinq ans dans ses bras. « C'était bien Léviathan. Elle est apparue de nulle part et s'est déchaînée sur la ville. Ensuite, elle a disparu… » expliqua-t-elle.

Pourquoi un Dieu apparaîtrait-il de nouveau parmi les hommes ? Et surtout, si Léviathan s'était éveillée, se pouvait-il que les cinq autres le soient également ? Cela pouvait peut-être expliquer toutes les perturbations climatiques de ces dernières années. Il était temps qu'Ardyn retrouve les siens, Altissia étant en partie détruite, il n'avait plus rien à faire là et décida de retourner à Pitioss chercher Fide et sa famille.

A son arrivée, il n'y avait plus que des ruines mais il y avait des traces d'un départ précipité et le jeune homme aux cheveux violets découvrit avec soulagement que Fide lui avait indiqué sa destination. Il espéra que les autres habitants aient pu se réfugier ailleurs. L'homme n'eut pas d'autre choix que de rentrer à Insélia. C'est en passant par Oma, la ville dans laquelle il avait vécu quelques mois qu'Ardyn retrouva son meilleur ami, sa femme et leur petit fille sains et saufs. En se voyant, ils se prirent naturellement dans les bras, trop heureux de se revoir.

« Ca y est Ardyn, c'est terminé. Tu as réussi. » félicita chaleureusement Fide.

« L'épidémie n'est pas enrayée mais j'ai fait tout ce que j'ai pu. Rentrons chez nous, mon ami. »

« Avec plaisir mais prends d'abord du repos, nous pouvons partir demain. »

« Non, ça va. Je ne suis pas fatigué. Si ça ne te dérange pas, j'aimerais partir aujourd'hui. »

« Je comprends que tu sois pressé de rentrer à la maison. Très bien, suis-moi, j'ai un cadeau pour toi. »

Surpris, Ardyn suivit son bras droit qui le conduisit à l'écurie du village. Sa mâchoire faillit se décrocher quand il aperçut le magnifique Chocobo Noir qui se trouvait dans l'un des enclos.

« Je n'y crois pas ! C'est celui de père ou... ? » demanda-t-il enthousiaste.

« C'est le bébé que Will a élevé pour toi. » répondit Fide. « Mais il n'a pas encore de nom. »

L'aîné des jumeaux approcha sa main pour caresser le plumage de l'animal. Les Chocobos noirs ne se laissaient pas toucher par n'importe qui mais le volatile baissa la tête pour recevoir le contact.

« Eh bien, je crois qu'il t'a adopté ! » s'exclama le brun aux yeux verts, avec un sourire.

Ardyn vérifia le sexe de l'animal et réfléchit un instant.

« Teioh*. » déclara-t-il.

« C'est…bizarre comme nom, non ? » lança son ami. « Je m'attendais à ce que tu choisisses un nom un peu plus…comment dire, épique ? »

« C'est le premier nom qui m'est venu à l'esprit. » justifia l'homme aux yeux ambrés. Il se tourna vers le volatile et le caressa une nouvelle fois « Ça te plaît à toi ? »

L'animal poussa un cri aigu qui traduisait son bien-être.

« Si ça lui convient à lui, c'est le principal même si je doute qu'il ait retenu tout de suite. »

Teioh tendit son cou et donna un coup de bec sur le crâne de Fide.

« Hé mais ça fait mal ! » s'écria celui-ci en frottant le haut de sa tête.

« Ha, ha. Je ne vais pas te plaindre, tu n'avais qu'à pas lui manquer de respect. » se moqua l'homme aux cheveux pourpres.

Les deux amis rirent de bon cœur. Qu'il était bon de se retrouver. Ardyn, Fide et sa famille se préparèrent ensuite et ils rentrèrent enfin à Insélia après dix longues années d'absence. Celui qui avait sauvé tant de vies fut acclamé par tous les habitants. Chevauchant fièrement son Chocobo, il traversa la cité en saluant une foule en liesse. Les gens applaudissaient, criaient son nom et lançaient des pétales de fleur sur son passage afin de lui exprimer leur immense reconnaissance.
Ardyn se sentit parfaitement accompli et heureux en cet instant, presque gonflé d'orgueil. Il pensa à son père avec émotion, il aurait aimé que ce dernier soit présent pour l'entendre lui répéter combien il était fier de lui. Son cœur se serra à cette pensée.

Ils avaient assisté à une guerre sanglante qui avait éclaté sur tout le continent et ravagé la civilisation de Solheim. Elle fut appelée « La Guerre des Légendes » et confronta les Six. Les détails de ce conflit restèrent obscurs pour les Hommes mais le météore était du fait d'Ifrit qui avait décidé de punir les humains pour leur manque de reconnaissance à l'égard des Astraux. Afin d'assurer la survie du monde, Bahamut descendit au royaume des mortels et choisit deux humains pour lutter contre le fléau : une jeune femme membre de la famille Fleuret qui résidait dans l'ancienne région de Shiva qui fut renommée Tenebrae. L'élue devint la toute première Oracle choisie pour transmettre la volonté des Dieux aux mortels. Le second humain choisi fut Ardyn qui avait grandement impressionné les Dieux par sa vaillance et sa dévotion. C'est à ce moment-là que la famille Izunia prit le nom de Lucis Caelum et qu'Insélia devint Insomnia, capitale du Lucis. La région d'Ifrit devint le Niflheim et celle de Léviathan devint la confédération d'Accordo.

Les Dieux remirent deux présents aux mortels : un Cristal qu'ils ordonnèrent à la lignée royale de protéger pour qu'un jour l'artefact sacré choisisse parmi sa lignée un Roi capable de guider le monde vers son salut. Pour devenir le Roi légitime, le prétendant au titre devait effectuer l'Ascension auprès du Cristal lors d'une cérémonie organisée par l'Oracle mais seul l'artefact sacré était habilité à le reconnaître comme digne. Enfin, avant de sombrer de nouveau dans un sommeil éternel, les Dieux firent un ultime cadeau aux hommes : un anneau. C'est ainsi que cet objet devint le symbole de la famille Lucis Caelum et le garant de la lignée qui verrait naître le Roi Elu.

o-o-o-o

Une semaine avant la cérémonie.

L'Oracle avait transmis la volonté des Dieux, Bahamut descendrait de nouveau au royaume des mortels afin de confier le Cristal à l'Elu qui deviendrait Roi. C'est tout naturellement qu'Ardyn fut désigné comme prétendant, à la demande du peuple, tant il avait prouvé sa valeur aux yeux de tous. Il attendait cet événement non sans une certaine appréhension car devenir Roi de tout un pays relevait d'une immense responsabilité mais il était prêt à remplir ce devoir la tête haute.

L'homme qui avait à présent trente-deux ans tenta de rattraper le temps perdu avec son frère qu'il n'avait pas vu depuis dix ans. Finalement, Somnus et Aurore avaient fini par se marier ce qu'Ardyn comprit même s'il aurait souhaité être là en ce jour heureux. Le frère aîné l'invitait souvent à des duels amicaux comme ils le faisaient enfants mais Somnus déclinait ses requêtes, prétextant une occupation plus importante et l'évitait le plus possible, préférant partager des joutes amicales avec le fils de leur ancien maître d'armes, Gilgamesh. L'homme aux cheveux violets ne comprenait pas son comportement et décida de forcer le destin pour parler à son frère. Ils s'étaient retrouvés assez rapidement en face à face.

« Bonjour Somnus. »

« Ardyn… »

« J'ai l'impression que tu m'évites. »

« Tu te fais des idées. »

« Ai-je fait quelque chose qui t'a déplu ? »

« Je ne sais pas pourquoi tu perds ton temps avec moi, tu vas bientôt devenir Roi. Tu n'as pas autre chose à faire ? »

« Somnus… » murmura-t-il, l'expression peinée.

Le regard de son frère s'assombrit alors.

« Ah non Ardyn, ne me regarde pas avec ces yeux-là ! »

« Mais qu'est-ce que tu as ? Je ne te reconnais plus. »

« Evidemment que j'ai changé, dix années se sont écoulées. Pendant que tu jouais au héros, que crois-tu que j'ai fait de mon côté ? Tu penses que ça a été facile pour moi ? Après la mort de Père, toute l'organisation s'est effondrée, il a fallu que je m'occupe de tout mais je… »

Somnus serrait les poings, il avait perdu sa facilité à se confier à son frère.

« J'ai échoué misérablement dans cette tâche. Alors que toi, tu… »

Ardyn s'apprêtait à s'approcher de lui, affecté par sa détresse.

« Reste où tu es, je ne veux pas de ta pitié. » déclara-t-il en effectuant un geste de rejet. « Tu as toujours été le meilleur de nous deux Ardyn, le meilleur en tout. Je t'admirais pour ça et je comprenais la confiance qu'avait Père en toi. Mais plus de trois ans sans nouvelles ? Je ne savais même pas si tu étais en vie ou non ! » s'énerva-t-il.

L'homme aux yeux d'ambre le laissa vider son sac.

« Quand Père est mort, ce n'est pas moi qu'il a appelé à son chevet alors que j'ai veillé sur lui chaque jour après ton départ. J'ai fait mon possible pour que le peuple souffre le moins possible de cette misérable guerre, j'ai passé des années à essayer de trouver un remède à cette maudite maladie en vain ! »

« Je t'ai écrit à chaque fois qu'il m'a été possible de le faire ! Tu crois que je suis parti en vacances ?! » rétorqua enfin Ardyn afin de se défendre.

« Je sais ça ! Je sais tout ça. » s'écria Somnus. « Mais mon frère, comment as-tu osé ? »

« … ?... »

« Tu savais pour l'épidémie n'est-ce pas ? »

« Où veux-tu en venir ? »

« Ton cher Fide. » commença-t-il à dire. « Il a toujours été trop honnête. Il me semble que tu as omis de le prévenir de ne rien me révéler à ce sujet. Comment as-tu pu me cacher que les infectés finissaient par se transformer en daemons ? »

« Je voulais t'en parler mais je… »

« Ne te fatigue pas à te justifier. » le coupa Somnus. « Je suis trop faible pour supporter la vérité, n'est-ce pas ? » demanda-t-il avec mépris.

« Cesse de m'attribuer des pensées qui ne sont pas les miennes ! Je voulais simplement vous préserver. »

« Cela ne change rien, Ardyn. L'essentiel, c'est que tu m'as toujours considéré comme quelqu'un de fragile alors que Fide, lui, a toute ta confiance. Tu ne me confierais jamais ta vie, contrairement à lui. »

L'aîné fut incapable de répondre à cette remarque. Les mots bloquaient dans sa gorge.

« Ton silence est révélateur. Je te prouverai par n'importe quel moyen que tu te trompes, mon frère. »

Somnus avait tellement changé. Il était devenu distant, froid. Tout était de sa faute, Fide n'y était pour rien. Il aurait dû avoir la force de mettre son frère cadet au courant mais il l'avait considéré comme un petit frère à protéger et non pas comme ce qu'il était en réalité devenu : un homme. Ardyn avait tant souhaité ces retrouvailles, il les avait souvent fantasmées dans ses rêves mais la vérité était là, dure et implacable. Était-ce trop tard pour se rattraper ? Il ne le savait pas.

Ses tentatives pour renouer avec son frère cadet se soldèrent toutes par un échec. Aurore, qui était enceinte, avait également essayé de convaincre Somnus mais le principal défaut de ce dernier était qu'il était extrêmement rancunier. Il faudrait du temps, beaucoup de temps pour qu'il lui pardonne cet affront. Ardyn avait également appris qu'il n'avait jamais reçu sa dernière lettre contrairement à celle qu'il avait envoyé à son meilleur ami. Il avait dû arriver quelque chose au messager, il avait dû probablement périr pendant sa périlleuse mission. Somnus était donc au courant que son frère aîné l'avait fait passer après pour la seconde fois. Pourtant, il n'avait jamais exprimé la moindre jalousie par le passé ni la moindre envie de compétition à son égard. C'était un enfant turbulent, dynamique mais effacé lorsqu'ils se retrouvaient devant leur père après une bêtise. Finalement, ils n'étaient pas aussi proches qu'Ardyn le pensait. Pourquoi était-il aussi surpris ? Il avait déjà ressenti cette distance à l'adolescence quand Somnus passait tout son temps avec Aurore, il n'était donc pas complètement responsable mais il se retint de rajouter de l'huile sur le feu.

Le jour de la cérémonie approchait à grand pas, des travaux de restructuration et d'agrandissement avaient débuté dans le royaume. Durant la longue absence d'Ardyn, la grande demeure familiale avait déjà subi des modifications et ressemblait maintenant à un palais mais la rénovation n'était pas terminée. Beaucoup de personnes avaient tenu à être présentes pour accueillir leur nouveau Roi, la population était surexcitée à l'idée de revoir son sauveur. Tout avait été préparé pour que la cérémonie se passe au mieux et l'arrivée du Dieu Draconéen était fortement attendue. Ardyn n'avait pas une minute à lui mais il trouva enfin un moment pour se détendre en compagnie de son fidèle bras droit. La première chose que fit Fide en le voyant fut de s'agenouiller respectueusement devant lui.

« Je ne suis pas encore Roi, Fide. Et pas de formalités entre nous. » déclara l'homme aux yeux d'ambre.

« Je suis navré » s'excusa son ami, se relevant. « J'ignorais que tu n'avais rien dit à Somnus au sujet des daemons. »

« Tu n'es pas responsable, c'est moi qui ai mal agi. »

« Il t'en veut je suppose ? » demanda son bras droit inquiet.

« Oui. Je vais lui laisser le temps qu'il faudra. »

Un bruissement de feuilles attira leur attention. Fide devina immédiatement ce que c'était.

« Anna. Je sais que c'est toi, petite chipie. Je t'ai pourtant dit de rester à la maison. »

Une enfant coiffée avec des couettes sortit de sa cachette en sautillant. C'était impressionnant à quel point elle ressemblait à son père. Ces mêmes yeux verts si particuliers et des cheveux noirs comme l'ébène. La petite fille se cacha derrière son père mais jetait régulièrement des coups d'œil à l'homme qui parlait à son père.

« Je te présente Ardyn, ma chérie. Tu étais trop petite mais tu l'as déjà rencontré. » énonça Fide.

A la mention de ce prénom, l'enfant quitta le refuge protecteur de son père.

« Tonton Ardyn ! » s'écria-t-elle, des étoiles plein les yeux.

Surpris, ce dernier regarda son meilleur ami qui lui sourit gentiment. Il avait bien entendu.

« Et ça te fait quel âge maintenant ? » lui demanda-t-il.

La petit fille compta sur ses doigts.

« J'ai cinq ans ! » lui répondit-t-elle en lui montrant un quatre avec sa main.

Ardyn éclata de rire, s'accroupit à sa hauteur et corrigea son erreur en montant doucement le petit doigt manquant.

« Cinq, c'est ça, Anna. » lui expliqua-il en souriant doucement.

« Elle a un peu plus de mal avec les chiffres, je l'admets. Elle préfère lire. »

« C'est une Kurena après tout. » affirma l'homme aux cheveux violets en se relevant lentement.

« Héhéhé… » fit-il fièrement.

Le regard émerveillé de l'enfant passait d'un homme à l'autre pendant qu'ils s'échangeaient des politesses. L'ami de son père était grand et très impressionnant.

« J'étais sûre que je te trouverais là ! » sermonna une voix féminine derrière eux.

Eléonore s'approcha de sa fille, les poings sur les hanches.

« Qu'est-ce qu'on avait dit ? » lui demanda-t-elle, feignant d'être en colère.

« Mais papa a dit qu'il allait voir son frère et euh, je voulais savoir à quoi il ressemblait… » dit-elle boudeuse.

Ardyn arqua un sourcil.

« Son frère, hein ? Intéressant. » dit-il, un sourire en coin.

« Il se pourrait bien que j'aie dit ça effectivement… » avoua Fide, gêné.

« Papa, pourquoi tu rougis ? » questionna innocemment sa fille.

La compagne de l'homme brun aux yeux verts se mit à rire devant l'embarras de son mari. C'est vrai qu'ils n'étaient pas liés par le sang mais leur relation était fraternelle, plus forte et profonde qu'une simple amitié. Elle appréciait beaucoup Ardyn, c'était un homme bon, altruiste et sincère et elle comprenait l'attachement sans limite que son époux avait pour lui. D'ailleurs, elle était persuadée que c'était réciproque, même si son beau-frère, en quelque sorte, était un peu plus secret que Fide.

La mère de famille le salua, prit doucement la main de sa fille et quitta les deux hommes.

« Au revoir tonton Ardyn ! » s'exclama l'enfant en faisant un signe de la main.

Ce dernier lui rendit son geste en les regardant s'éloigner peu à peu.

« Tu as une belle petite famille. » déclara l'aîné de la fratrie.

« C'est vrai que je suis un homme chanceux. » acquiesça Fide. « Sans ce voyage, je n'aurais jamais rencontré une femme aussi merveilleuse. Elle m'a donné la plus adorable des filles. »

« Et très éveillée effectivement. » ajouta Ardyn « On marche un peu ? » proposa-t-il ensuite.

« Pourquoi pas. »

Ils arpentèrent tranquillement les somptueux jardins du palais en discutant de tout et de rien puis vint le sujet de la cérémonie.

« La cérémonie est demain, tu te sens comment ? » demanda Fide avec curiosité.

« Je ne sais pas trop. J'ai encore du mal à réaliser que je vais devenir Roi, tout a été si vite depuis mon retour. » expliqua l'homme aux yeux ambrés.

« Je trouve au contraire que ce titre te correspond tout à fait. Sa Majesté Ardyn Lucis Caelum ! » s'exclama son ami. « J'espère que je pourrais néanmoins continuer à veiller sur toi. »

Ardyn s'arrêta alors.

« Quelle idée ! Dès mon accession au trône, je te nomme officiellement en tant que mon conseiller. »

« Je n'en demande pas tant. Si je peux juste rester à tes côtés, je serai le plus heureux des hommes. »

« J'en ai autant à ton égard…frangin ! »

« Ca va me poursuivre jusqu'à la fin de mes jours ! » se plaignit Fide. « L'écrire dans une lettre est une chose, se l'entendre dire en est une autre… »

Ils rirent de bon cœur et terminèrent leur promenade dès que le soleil commença à se coucher. Ils se séparèrent en se promettant de se retrouver le lendemain matin, juste avant le début de la cérémonie. Resté seul, Ardyn ne rentra pas tout de suite et s'assit sur les marches, devant l'entrée de la demeure.

« Puis-je m'asseoir ? »

C'était Aurore. L'homme ne l'avait pas revue depuis son retour. Il avait entendu des rumeurs sur un début de grossesse difficile mais elle avait l'air d'aller bien.

« Bien sûr. » répondit-il simplement, joignant le geste à la parole.

La jeune femme prit place à ses côtés, lui laissant un peu d'espace. La nuit venait de tomber, les escaliers étaient éclairés par la faible lumière du croissant de lune et par l'éclairage du palais. Ardyn put discerner les traits tirés de l'épouse de son frère, elle semblait fatiguée.

« Je suis désolée de ne pas être venue te saluer à ton retour. » s'excusa-t-elle.

« Ne t'inquiète pas, je comprends. Mais tu as l'air malade. Tout va bien ? »

« C'est la grossesse. Je suis régulièrement anémiée et j'ai souvent des migraines. Cependant, le bébé va bien mais il ne me laisse aucun répit. La plupart du temps, je suis obligée de garder le lit. » expliqua Aurore.

« Tu ne devrais donc pas rester trop longtemps dehors. » s'inquiéta Ardyn.

« J'allais assez bien ce soir. Je voulais au moins venir te saluer et prendre de tes nouvelles. »

« Et qu'en dit Somnus ? » demanda l'homme.

La jeune femme aux longs cheveux blonds soupira et se mit à jouer avec ses mèches. C'était une attitude de l'enfance qu'elle avait dès qu'elle se sentait angoissée.

« Eh bien, il dit la même chose que toi. Que je ne suis pas sérieuse et que je dois penser à ma santé pour le bien du bébé. »

« Il a raison tu sais. »

« Je sais. Seulement, je ne supporte pas d'être enfermée. Somnus est très attentionné et adorable avec moi, il l'a toujours été…même lorsque nous nous chamaillions enfants. Cela ne durait jamais longtemps et il venait toujours s'excuser après la dispute. »

« Vous étiez les seuls à ne pas vous apercevoir de vos sentiments réciproques. »

« C'est vrai. » avoua-t-elle en souriant. « J'avais peur de le lui dire, nous étions amis depuis si longtemps que je craignais de le perdre s'il me repoussait. »

Ils se turent un instant, regardant le ciel qui ne laissait apparaître qu'une poignée d'étoiles.

« Comment ça va avec ton frère ? » questionna Aurore, rompant ainsi le silence qui s'était installé entre eux.

« Nous ressemblons à deux étrangers. J'ai essayé de lui parler mais il refuse tout dialogue, ce que je peux comprendre. »

« Il a beaucoup souffert de ton absence tu sais. À la mort de Monseigneur Izunia, il a commencé à se renfermer sur lui-même et à se tuer au travail. Il attendait tes lettres chaque jour et je ne le voyais sourire que lorsqu'il relisait vos échanges. »

« … »

« Et puis, quand le conflit entre les Dieux a éclaté, il a passé chaque seconde de sa vie à faire en sorte que le peuple soit en sécurité. Fide est revenu sans toi et c'est là que tout a basculé. Quelque chose s'est brisé en lui. Il a d'abord cru que tu étais mort jusqu'à ce que Fide nous explique tout. Il ne voyait pas à mal mais ça a été l'événement de trop pour Somnus. Je sais que tu n'avais pas de mauvaises intentions, je l'ai compris. Seulement, ton frère s'est senti rejeté. »

« Je vois, je n'avais pas vu les choses sous cet angle. »

« Laisse-lui un peu de temps. Je suis sûre que les choses vont s'arranger. »

« Que les Six t'entendent. Merci Aurore, je me sens beaucoup mieux. »

La future mère de famille lui sourit gentiment et le laissa à ses méditations en rejoignant le palais. Ardyn décida de marcher encore un peu quand une violente migraine l'assaillit. Il se tint les tempes et son regard fut attiré vers la paume de sa main droite. Non, il avait rêvé n'est-ce pas ? Il avait cru voir des stigmates violacées sur sa peau mais en vérifiant une nouvelle fois, il n'y avait rien. Il se décida à aller se coucher, pensant que c'était la fatigue qui lui avait causé cette hallucination. La journée du lendemain serait probablement harassante. Il prit un bain pour décontracter ses muscles et se détendre puis il se sécha et se glissa dans les draps, un livre épais à la main. Il s'agissait d'une pièce de théâtre dramatique qu'il lut une bonne partie de la nuit avant de se rendre compte que le soleil commençait déjà à se lever. Il n'avait pas du tout dormi et n'avait pas ressenti de fatigue ni vu le temps passer. Ardyn quitta le confort de son lit, posa l'ouvrage sur la table de chevet à proximité et se vêtit de l'habit traditionnel imposé lors des visites officielles. Il s'agissait d'une longue toge blanche décorée par un pan de tissu rejeté sur son épaule et attaché avec une broche. Ses cheveux qu'il n'avait pas coupé depuis plusieurs années, tombaient librement sur ses épaules. L'homme entendit quelqu'un frapper à la porte.

« Monseigneur, c'est l'heure, l'Oracle vous attend. »

« Bien. »

Ardyn se dirigea vers le lieu de la cérémonie, sur l'immense pièce principale. Il y avait un monde fou et des personnes de tout âge venues pour l'acclamer. Il salua la foule et rejoint l'élue des Dieux qui portait son trident. Fide se tenait non loin d'elle et lui fit un signe de la main. Somnus était également présent, à côté de son épouse Aurore, qui s'était tout de même déplacée malgré sa santé fragile. L'aîné espéra attirer l'attention de son frère mais ce dernier se contenta de le regarder sans montrer d'émotion. C'est alors que son regard fut attiré ailleurs. Une lumière éblouissante surgit des cieux et Bahamut ainsi que des messagers divins, apparurent sous les yeux subjugués des spectateurs qui se prosternèrent alors devant le Dieu Draconéen.

« Ardyn Lucis Caelum, restez ici je vous prie, je vais d'abord m'entretenir avec Bahamut. » ordonna la jeune femme de sa voix douce.

Le Dieu s'exprimait dans un dialecte étranger et incompréhensible des mortels, seule l'Oracle avait l'air de comprendre ce qu'il disait. Elle se tourna alors vers Ardyn et l'invita à s'approcher.

« Reçois le Cristal Sacré et effectue ton Ascension. Longue vie à ta Lignée et à la Pierre sacrée, seuls remparts contre la Nuit à venir. » traduisit-t-elle en rejoignant le trône et en attendant l'homme.

Alors qu'Ardyn se dirigeait vers le Cristal, il s'arrêta subitement, son rythme cardiaque augmenta intensément, sa migraine fut plus douloureuse encore et il fut assailli par une gêne au visage. Il secoua la tête mais rien n'y fit, il était incapable de poursuivre son chemin vers le Cristal. Il entendit alors des hurlements en provenance du public qui n'avait pas raté une miette de la scène qui se déroulait sous leurs yeux ébahis.

« Ahhhhhhhhh ! Un daemon ! » s'écria une femme.

La panique s'empara alors de la foule qui s'éparpilla de tous les côtés. Certains avaient pris la fuite, d'autres restaient encore, paralysés par la peur ou prêts à en découdre. Ardyn ne comprenait rien à ce qu'il se passait et c'est avec stupeur qu'il encaissa les diverses remarques.

« Monstre ! » vociféra un vieil homme.

« Tuez-le ! »

« Il s'est déguisé en humain dans le but de nous tromper ! À mort ! »

Un homme était monté sur l'estrade et allait attaquer Ardyn avec un bâton quand il fut violemment repoussé par Fide qui s'était interposé afin de protéger son ami, désarmé. Bahamut prononça un nouveau flot de paroles incompréhensibles et disparut aussi vite qu'il était arrivé. L'Oracle se positionna entre le Cristal et l'homme aux yeux ambrés afin de protéger l'artefact.

« Le Cristal a jugé cet homme impur et indigne de représenter la Lignée Lucis Caelum. Son Ascension est un échec. » proclama-t-elle. « Ne le laissez pas s'approcher du Cristal ! »

Impur ? Que voulait-elle dire par là ? Fide le fixait avec une expression choquée. Aurore s'était évanouie, rattrapée de justesse par son mari qui regardait l'apparence de son frère, dépité.

« Ardyn, ton visage… » déclara faiblement son bras droit.

L'homme qui avait soigné tant de personnes au cours des dix dernières années, toucha son visage et réalisa alors avec horreur la situation dans laquelle il se trouvait. Les doigts qui étaient entrés en contact avec sa peau, étaient couverts d'une espèce de pâte noire, similaire à celle qu'il avait rejetée il y a dix ans. Il sentait que les bords de sa bouche suintaient du même liquide noirâtre propre aux daemons. Des veinules violacées étaient apparues sur sa gorge et sur son front.

« Saisissez-le ! » ordonna une voix.

Ardyn reconnut immédiatement l'individu à qui appartenait cette voix bien trop familière. Avec l'aide des gardes du palais, plusieurs personnes rassemblèrent leur courage pour l'immobiliser.

« Que faites-vous ?! » hurla Fide, ivre de colère en essayant de repousser les agresseurs. « Somnus, c'est ton frère ! J'ai déjà vu ces stigmates la première fois qu'Ardyn a guéri quelqu'un. C'était juste après qu'il te sauve la vie ! »

Le frère cadet s'avança alors.

« Ne te laisse pas aveugler Fide ! Vois la réalité en face ! Mon frère est mort. Il s'est transformé en un immonde daemon. »

« Ce n'est pas… » commença à dire l'homme aux yeux ambrés. Il recula difficilement pour s'éloigner du Cristal dont la lumière le dérangeait fortement. « Je ne comprends pas ce qu'il m'arrive mais c'est bien moi ! » tenta-t-il de se justifier.

L'Oracle descendit les marches menant au trône et malgré la peur qui l'étreignait, s'approcha lentement de lui.

« Monseigneur Ardyn, je suis bien consciente de tout ce que vous avez fait pour les gens de ce monde mais il vous arrive quelque chose qui nous dépasse tous ! Je suis persuadée que nous allons trouver une solution pour vous aider. »

La douleur qui assaillait son corps et son esprit l'empêchait de raisonner normalement. Il paniqua et s'empara de l'Oracle qui s'évanouit à son contact.

« Je n'ai rien fait de mal ! Je ne suis pas un monstre, il faut me croire ! Les Dieux sauront sûrement ce qu'il m'arrive ! »

Son teint reprit son apparence normale ce qui effraya de nouveau l'assemblée. Somnus entendit alors la foule mentionner la maladie et réalisa alors que toute cette tragédie n'était peut-être qu'une vaste manipulation et ce, depuis le départ.

« Toi ! » cria-t-il assez fort pour avoir l'attention du public. « Tu es responsable du fléau qui nous a tous touché ! C'est pourquoi les Dieux sont intervenus pour nous révéler la vérité. Tu as pu tous nous tromper mais le Cristal a décelé ta véritable nature ! Libère l'Oracle sur le champ ! »

« Mais qu'est-ce que tu racontes ? Tu as perdu la tête Somnus ! » s'offusqua Fide.

Cependant, alors qu'il essayait de dégager les hommes qui s'étaient saisis d'Ardyn, il reçut un coup derrière la tête et tomba lourdement sur le sol, étourdi.

« Ardyn, ne t'inquiète pas. Je ne les laisserai pas faire… » murmura-t-il.

Il sentit que du sang s'écoulait sur sa nuque, il luttait pour ne pas sombrer dans l'inconscience mais la douleur fut la plus forte et il s'évanouit.

« Fide ! » s'écria l'homme traité en monstre. « Lâchez-moi ! »

Somnus se jeta dans la mêlée et réussit à soustraire la jeune femme blonde de l'emprise du daemon en menaçant le monstre avec son épée. Vulnérable et toujours embrouillé par la situation, plusieurs individus dans la foule coururent dans la direction de ce dernier pour l'arrêter alors qu'il tentait de fuir en direction du trône.

Et alors qu'il se débattait pour se soustraire à ses agresseurs qui n'hésitaient pas à le frapper, une aura violette entoura tout son corps et se dispersa ensuite sous la forme de plusieurs flammes pourpre électrique qui attaquèrent ses assaillants. Ils furent violemment projetés dans les airs, la plupart gravement brûlés. Ardyn se laissa tomber à genoux, complètement perdu et désorienté par ce qu'il venait de faire contre sa volonté.

« N-non…J-je n'ai pas voulu ça, je… » bafouillait-il, tentant de comprendre quoique ce soit à la situation.

« Tu viens d'assassiner des dizaines de personnes de sang-froid et tu oses encore affirmer être mon frère ? » s'écria Somnus, choqué.

Le frère cadet se devait de prendre une décision rapide, tout comme il avait dû le faire dès la mort de son père et ordonna de nouveau aux gardes de s'emparer du daemon.

Ardyn ne se défendit pas lorsque les citoyens et les gardes le saisirent, paralysé par la peur de blesser à nouveau des innocents.

« Monseigneur, doit-on également emmener celui-là ? » demanda un soldat en désignant Fide qui gisait à terre. « Il est peut-être complice. »

« Non, mais s'il résiste, emprisonnez-le sur le champ. » ordonna le frère cadet, une lueur de colère dans les yeux. « Qu'on emmène le daemon à Angelgard. Il sera jugé et châtié pour ses crimes. »

« Mes crimes ? Quels crimes ?! » vociféra Ardyn dont la limite avait été atteinte. « Je vous ai tous sauvé de l'épidémie. Durant dix ans, j'ai lutté contre les daemons pendant que vous vous cachiez, morts de peur. Je ne suis pas un monstre, je suis un humain ! »

« Disparais de ma vue. » trancha son frère sans montrer la moindre émotion.

« Somnus ! » hurla Ardyn avant d'être traîné de force.

Sa vie avait basculé en un instant, il avait du mal à réaliser ce qui lui arrivait lorsqu'il fut transporté à la prison d'Angelgard, un endroit isolé du reste du monde et protégé par l'aura du Dieu Bahamut.

Des chaînes divines forgées par le Draconéen maintenaient le prisonnier immobile et s'enfonçaient dans la chair si le détenu tentait de se soustraire à leur emprise. Ce procédé ne causait aucune blessure mais la douleur était, elle, bien réelle. C'était un emprisonnement qui était réservé aux criminels les plus dangereux de l'Histoire et il leur était incapable de se libérer eux-mêmes.

Somnus monta sur le trône à la place de son frère, déchu de sa royauté. Il n'avait pas encore décidé du sort qu'il réserverait à Ardyn mais il ne le tuerait pas, quand bien même le daemon avait pris sa place. Il fallait qu'il trouve un moyen d'inverser la métamorphose. Il avait passé des années à essayer de trouver un remède en vain et d'après Fide, Ardyn n'avait pas réussi à soigner un humain déjà transformé. L'isoler était pour le moment la meilleure solution car il ne savait pas de quoi le monstre était capable.

Il dut partir avec l'Oracle mener à bien leur mission, celle de lutter contre les ténèbres à travers le monde. Cela le déchira de devoir laisser son épouse bien aimée et son enfant à naître derrière lui mais il n'avait pas le choix. Maintenir la paix et la prospérité au sein du royaume était primordial et grâce aux dons divins de la détentrice du Trident sacré, il n'était plus nécessaire de compter sur les pouvoirs de guérison de l'exilé. Malheureusement, leur voyage ne se déroula pas comme prévu. L'Oracle perdit la vie lors d'un affrontement avec un daemon d'une puissance qu'il n'avait jamais rencontrée jusqu'alors. La jeune femme offrit sa vie afin d'enfermer la créature dans une cage sacrée et après plus d'un an à parcourir le monde, Somnus dut se résoudre à rentrer à Insomnia.

Aurore avait accouché d'un magnifique petit garçon ce qui combla le père au plus haut point. Non seulement son épouse était en bonne santé mais il avait un héritier qui permettrait de faire perdurer la lignée des Lucis Caelum et ainsi, respecter le serment fait aux Dieux de protéger le Cristal jusqu'à la naissance du Roi Élu. Il se décida à aller rendre visite à celui qui se faisait passer pour son frère aîné. Lorsque Fide apprit que le Roi comptait se rendre à Angelgard, il le supplia de le laisser l'accompagner.

« Je vous en prie votre Majesté, laissez-moi venir avec vous. » implora l'homme aux yeux verts.

« Soit mais si tu tentes quoique ce soit pour essayer de le libérer, je ne pourrais pas te le pardonner et ce, même si nous sommes amis d'enfance. »

Fide baissa la tête, résigné.

« Je veux juste revoir mon meilleur ami… »

« Très bien. Je t'accorde cette faveur, par respect pour ta loyauté envers mon défunt frère. » accepta Somnus. « Cependant, tu devrais sérieusement songer à faire ton deuil. Ardyn n'est probablement plus de ce monde. »

L'ancien bras droit de l'homme déchu ferma les yeux.

« Tant qu'il restera un infime espoir de lui rendre son apparence humaine, je ne peux pas. »

« Ta naïveté me touche mais je ne crois pas que ce soit possible… »

Ils se rendirent à Angelgard, escortés de quelques gardes du Roi. Somnus leur demanda d'attendre à l'extérieur et ils pénétrèrent dans la prison. Il faisait sombre, Fide y voyait à peine mais lorsque le frère cadet éclaira la pièce, l'homme qui avait tant partagé avec l'aîné de la famille Izunia fut glacé d'horreur. Son ami était maintenu de toutes parts par des chaînes. Ses mains étaient relevées, crucifiées par la pointe des entraves et soutenaient son corps partiellement dénudé. Il pouvait se tenir debout mais était complètement immobilisé.

« Que… ?! » s'offusqua Fide.

« Nous avons dû prendre des précautions. » expliqua Somnus. « Tu n'as pas idée à quel point il est dangereux. »

« Ne dis pas n'importe quoi ! » avait crié l'homme en oubliant l'étiquette. « Il n'était pas nécessaire de l'humilier autant ! Comment as-tu pu faire une chose pareille à ton propre frère ? »

« Tu commences à m'agacer… » fit le Roi calmement. « Manque moi de respect encore une fois et je te jette au cachot. » menaça-t-il.

« F-Fide ? » articula faiblement Ardyn. « C'est toi ? »

« Oui ! Je suis là Ardyn ! » acquiesça ce dernier les larmes aux yeux. « Je n'ai rien pu faire pour t'aider encore une fois, pardonne-moi… »

« J'ai tué des innocents Fide. » avoua le prisonnier.

« Même en étant traité de la sorte, tu trouves encore le moyen de penser aux autres… » déclara son ancien bras droit.

Somnus les observait se parler de façon habituelle mais ne comprenait pas. Et si Fide avait raison ? Et si ce daemon qui avait l'apparence de son frère aîné était bel et bien Ardyn ? Comment être convaincu qu'il ne s'agissait pas d'une vile manipulation de la part du monstre ? Non, il ne pouvait pas prendre le risque de le laisser divaguer en liberté. Il était Roi à présent, il devait penser avant tout au plus grand nombre. Il réfléchit un instant et prit une décision alors qu'il quittait la prison.

« Daemon, il m'est impossible de te libérer. Tu représentes une trop grande menace pour la paix de ce monde. »

« Je suis un humain… » répéta Ardyn, tentant de s'en convaincre lui-même.

« Cependant, j'accorde à Fide le droit de venir te rendre visite une fois par semaine mais il sera surveillé de très près par ma garde. » déclara Somnus, feignant de ne pas avoir entendu puis se tournant vers l'ancien bras droit de l'aîné de la fratrie « Prépare-toi à des conséquences terribles si tu me désobéis. »

« Une fois par semaine... » murmura douloureusement l'homme aux yeux verts. « Merci, votre Majesté. » finit-il par dire.

Il valait mieux ne pas trop tirer sur la corde. Une fois par semaine était mieux qu'une interdiction pure et simple.

« Nous partons. » lança le Roi à sa garde. « Dépêche-toi. » ordonna-t-il à Fide en sortant complètement de la prison.

Resté seul avec Ardyn, Fide s'approcha de lui et colla doucement son front contre le sien.

« Je te jure que je vais trouver une solution pour te faire sortir d'ici. Tiens bon, mon frère… » chuchota-t-il.

« Ne te mets pas en danger. » refusa l'homme aux yeux ambrés. « Il y a quelque chose en moi que je n'ai pas pu contrôler ce jour-là. Somnus a peut-être raison, peut-être suis-je devenu un monstre. »

« Je t'interdis de dire cela ! » corrigea Fide. « Je suis désolé, je dois partir ou ton frère va penser que nous complotons. » s'excusa-t-il. « Je vais revenir, je te le promets. »

« Oui… » répondit simplement Ardyn.

Mais alors que son meilleur ami s'éloignait et l'abandonnait à sa solitude et à la torture que représentait son péché, il laissa sa douleur s'échapper.

« N-ne me laisse pas seul… » murmura-t-il douloureusement. « Dieux, je vous en conjure, répondez-moi ! Pourquoi cela doit-il m'arriver ? Qu'ai-je fait qui ai pu vous contrarier ?! »

Mais seul le silence lui répondit.

Les semaines puis les mois s'écoulèrent, routinières. Fide arrachait Ardyn à son exil pendant une seule journée et passait le reste de son temps à rechercher le moyen de débarrasser son ami de son état daemonique. Malheureusement, il pataugeait dans la semoule car Ardyn était l'unique cas connu d'une transformation ayant préservé sa forme humaine. Fide s'était approprié toutes les recherches détenues par le pôle scientifique et culturel dont il avait la charge mais force était de constater que les scientifiques n'en savaient pas plus que lui. Quel était le point de départ de tout ceci ? Il se rappela alors un détail qui aurait dû lui sauter aux yeux aussitôt : l'aura noirâtre qui se déplaçait du bras d'une personne infectée à celui d'Ardyn et qui l'avait rendu si malade les premiers jours.

« Il n'a pas fait que soigner ces personnes… » réfléchit-il en faisant les cent pas dans le laboratoire. « Je me souviens de tous ses effets secondaires et ses cheveux qui ont progressivement changé de couleur. Se pourrait-il qu'à force de guérir les gens, il ait développé la maladie ? Ou alors…il l'a absorbée ? Je ne vois que ces deux possibilités. »

Il s'assit à son bureau et relut une à une les notes de ses hommes.

« Bon sang. Je les laisse quelques années livrés à eux-mêmes et ils s'éparpillent tels de jeunes élèves. » râla-t-il. « Bon, reprenons. »

« Papa ? » appela une petite voix.

Anna venait d'entrer dans la pièce et s'approcha de son père pour voir ce qu'il faisait.

« J'arrive ma puce. »

« Tu travailles encore sur la vilaine maladie ? » demanda sa fille.

« Oui mais je n'avance pas. D'après les échantillons prélevés sur les sujets infectés, nous avons affaire à un organisme muté qui parasite un hôte mais comment l'infecte-t-il ?

« Peut-être une piqûre de moustique ? » raisonna l'enfant.

« C'est bien pensé ma chérie mais je me suis déjà penché sur la question et nous n'avons relevé aucune trace de contamination par piqûre d'insecte. Cette maladie est une mutation du paludisme qui, à l'origine, était effectivement transmise par piqûre. »

Anna frissonna, la nuit tombant presque, le temps s'était rafraîchi.

« Les courants d'air sont froids ici. » dit-elle en frottant ses bras pour se réchauffer.

« L'air. Mais oui ! » s'écria-t-il. « J'ai passé trop de temps à l'extérieur, quel idiot. Bravo ma fille ! »

L'enfant le regarda étonnée mais sourit à son père, contente d'avoir pu lui rendre service.

« La réponse est parfois tellement simple qu'elle ne nous apparaît pas d'office évidente. » dit-il en portant sa fille sur ses genoux. « Pas de contamination par contact, pas de contamination par piqûre. Ce n'est pas non plus quelque chose qui s'attrape en mangeant ou en buvant. Si la contagion se fait par l'air, qu'est-ce qui explique que des sujets présents au même endroit ne déclarent pas tous la maladie et parfois à des intervalles de temps très élevées ? Je sors d'un problème pour plonger dans un autre…Il faudra que j'en parle à Ardyn pour avoir son point de vue. »

Fide posa Anna sur le sol, s'étira et se leva de sa chaise. Il rangea soigneusement ses travaux dans une sacoche en cuir, saisit doucement la main de sa fille et prit la direction de sa maison pour rentrer auprès de son épouse. Ils habitaient à la sortie du palais, en plein cœur d'Insomnia. Fide avait toujours refusé de vivre au château pour des raisons évidentes d'intimité. Il aimait son quotidien serein avec Eléonore et sa petite fille adorée.

Quand il revit son frère de cœur le jour de sa visite hebdomadaire, l'homme brun aux yeux verts partagea avec lui ce qu'il avait découvert ainsi que ses théories. Mais Ardyn ne fut pas aussi enthousiaste que lui.

« Les Dieux s'en sont mêlés, ça ne doit pas être aussi simple. » expliqua le prisonnier. « Le Cristal et l'anneau sont là pour ramener la lumière sur le monde. Même s'il y a une part biologique dans l'épidémie qui nous a frappé, je ne peux pas croire qu'il n'y ait que cela. »

« Oui, tu as probablement raison. Est-ce que tu penses à quelque chose de…magique ? »

« Quel est le contraire de la lumière ? » demanda Ardyn.

« Les ténèbres. » répondit Fide sans aucune hésitation. « Attends. Si ce que tu dis s'avère vrai, alors ça veut dire que… »

« Tu ne peux rien pour moi. » souffla l'homme aux yeux ambrés. « Je ne sortirai jamais d'ici… »

« C'est pas vrai…L'Oracle aurait peut-être pu faire quelque chose mais elle n'est plus de ce monde et la prochaine est encore trop jeune. »

« Je doute que cela fonctionne. »

« Tant qu'on n'a pas essayé, on ne peut pas le savoir.

Fide leva les yeux vers les chaînes qui maintenaient Ardyn et grimaça.

« Ces choses te font toujours aussi mal ? » demanda-t-il.

« Si j'évite de bouger, c'est supportable. »

« C'est inhumain, celui qui a inventé ça était vraiment taré. »

« Créées par un Dieu, quel paradoxe. » ironisa le prisonnier.

« Tu peux dormir au moins ? »

« En vérité, j'ai des insomnies depuis un moment. C'était déjà le cas pendant notre voyage, je pouvais passer plusieurs jours sans dormir mais j'en ai quand même besoin. C'est différent avec la nourriture. » énonça le frère aîné.

« Comment ça ? »

« J'ai tenté de ne pas manger pendant plusieurs jours d'affilé puis j'ai rallongé l'expérience sur plusieurs semaines. Aucune sensation de famine ou de faiblesse. Néanmoins, j'ai toujours le goût, c'est plutôt une bonne chose. » expliqua Ardyn. « J'ai commencé à me poser des questions lorsque mes cheveux ont changé de teinte mais j'avais encore besoin de me nourrir à ce moment-là. »

« Je vois. Le changement n'a donc pas été immédiat. »

« En effet. Je n'ai pas non plus ressenti de changement particulier physiquement jusqu'à ce fameux jour. » poursuivit-il.

En se souvenant de la veille de la cérémonie et du comportement de Somnus, le prisonnier sentit la colère et la frustration monter en lui. Il était passé de membre de la famille royale aimé et respecté à un monstre rejeté et traité en paria. Son frère n'avait pas hésité une seconde à l'isoler comme s'il avait profité de la situation, comme s'il attendait patiemment qu'une faille s'ouvre pour s'y engouffrer. Sa jalousie n'avait-elle donc aucune limite ?

« J'allais oublier ! » se rappela soudainement son ancien bras droit. « Je t'ai amené ça. Anna a insisté pour que je te la donne, elle l'a cueillie avec sa mère dans notre jardin » dit-il en sortant une belle pomme rouge de sa sacoche. « Je n'ai pas osé lui dire non. »

« Je veux bien mais je ne peux pas manger tout seul. » rétorqua l'homme aux cheveux violets.

« Oui bien sûr. »

Il lui tendit le fruit et le tint dans sa main pour qu'Ardyn puisse croquer dedans. La saveur sucrée envahit son palais et il se délecta de ce plaisir si simple. Manger une pomme ne lui avait jamais paru aussi délicieux qu'à ce moment précis. Fide prit une bouchée et constata qu'elle était effectivement excellente.

« Tu n'as rien dit à Anna à mon sujet ? » demanda l'aîné des frères.

« Non. Je lui ai dit que tu étais très occupé avec ton travail et que tu ne pouvais pas la voir avant un moment. »

« Tu as bien fait. Je n'aurais pas voulu qu'elle voit cette… misérable apparence. »

« Elle était malade le jour de la cérémonie donc Eléonore a préféré la veiller plutôt que de l'emmener. »

« Si… » avait commencé à dire Ardyn mais il se tut et baissa les yeux, regrettant d'y avoir songé.

« Oui ? »

« Je ne veux pas parler de malheur, pardon. »

« Si elle est infectée par le parasite, c'est ça ? »

« Hm… » acquiesça son ami. « Je ne sais même pas si Somnus me laisserait la soigner… »

« Si ça arrive, je te l'amènerai quoi qu'il m'en coûte. Peu importe si je dois être exécuté pour ça. » affirma le brun.

L'homme aux yeux ambrés regarda Fide fixement, perturbé par ce qu'il venait de dire.

« N'y pensons plus. » conclut-il.

Il était l'heure pour Fide de quitter son ami mais c'est à reculons qu'il repartit pour le palais. Il demanda à Ardyn ce qu'il voudrait goûter la prochaine fois. Ce dernier saliva à l'idée de déguster une pièce de viande d'Anak mais il était conscient que ce serait techniquement compliqué donc il s'abstint de transmettre son caprice. Néanmoins, Fide devina les pensées de son ami et lui sourit.

« Je vais essayer mais je ne te promets rien ! » s'exclama-t-il.

Fide et sa perception légendaire, presque effrayante.

Mais ce n'est pas son ancien bras droit qui se présenta devant lui la fois suivante.

« Somnus… » murmura Ardyn, méfiant.

Le cadet devenu Roi s'agenouilla alors devant lui, le front contre le sol.

« Aide-moi, je t'en prie. »

Qu'y avait-il de si grave pour que le fier Somnus se prosterne ainsi devant lui ?

« C'est Aurore…Elle est infectée ! »

Quelle ironie du sort ! Il l'avait violemment rejeté, banni, traité comme une abomination et maintenant, il le suppliait de lui venir en aide ?

« Pourquoi ne demandes-tu pas à ta chère Oracle ? Oh, suis-je bête, elle est morte. Je suis un peu comme qui dirait, le seul espoir qu'il te reste n'est-ce pas ? »

« J-je ferai tout ce que tu voudras mais soigne la, je t'en supplie. Je ne veux pas la perdre. »

« Tout ce que je veux ? S'il avait juste fallu que j'attende que ta femme tombe malade pour t'entendre prononcer ces mots, j'aurais supporté l'enfermement plus facilement ! » lança Ardyn, cynique. « Tu sais très bien ce que je veux. »

« Je ne peux pas t'offrir ta liberté ! »

« Pourquoi ?! Tu es le Roi, non ? A quoi te sert-il de m'avoir volé le trône si tu ne peux rien faire d'aussi aisé ? » interrogea-t-il sèchement. « Et comment vais-je bien pouvoir guérir Aurore avec ces entraves ? Le moindre mouvement me fait souffrir le martyre ! »

« Je peux te libérer partiellement. » précisa le brun aux yeux bleus « Mais cela n'a rien à voir avec le fait d'être Roi ou pas. Je n'en ai pas le droit. J'ai prêté serment devant le Cristal. »

« Tu as quoi ? »

« J'ai juré de ramener la lumière sur ce monde et de bannir les ténèbres. Les Dieux ont parlé. Toi comme les daemons, représentez les ténèbres et tant que votre existence ne sera pas effacée d'Eos, le monde ne connaîtra pas la paix dont il aspire. » avoua Somnus.

Alors c'était donc ça. A présent, il était vu comme une menace directe pour l'humanité, par les Dieux, par son propre frère, par tous. Lui qui avait pris la décision de se dévouer à autrui, il se sentait à présent bien amer. Les Dieux avaient parlé, ils lui avaient donné leur réponse. Ardyn n'était plus qu'un indésirable à éliminer.

« Pourquoi tu ne me tues pas tout simplement ?! » lui cria alors Ardyn. « À quoi bon me laisser en vie ? »

« Parce-que je ne suis pas le Roi Élu et que je… »

Somnus avait relevé la tête pour regarder le prisonnier qui avait l'apparence de son frère aîné.

« Et parce-que je ne peux pas me résoudre à te tuer. »

« … » La réplique de son cadet lui avait imposé le silence. Était-ce sincère ou était-ce une manipulation supplémentaire de sa part ? « Tu me dis ça parce-que tu as besoin de moi. Depuis que je suis enfermé, tu n'es pas revenu me voir une seule fois. Tu m'envoies tes domestiques pour les tâches ingrates. N'essaie pas de me tromper. »

« Je te dis la vérité. » jura-t-il. « Je l'avoue, j'ai été jaloux de toi dans le passé et j'ai été effrayé par ta transformation mais je te promets de tout faire pour que tu vives le mieux possible. »

Ardyn éclata de rire. C'était grotesque.

« Que je vive le mieux possible ? Mais quelle générosité ! Mon sort ne va pas changer, je serai toujours coincé dans ce trou à rat ! »

Il respira lentement pour se calmer, ce n'était pas dans sa nature de s'énerver autant mais il y avait de quoi.

« Si je dois rester enfermé ici jusqu'à la fin de mes jours, il vaudrait mieux que tu m'achèves ici et maintenant. » reprit-il après un silence des plus pesants.

« Fide ne l'acceptera jamais. » déclara le Roi, essayant de toucher sa corde sensible.

« Je ne te permets pas de le mentionner et de prétendre que tu le connais. »

Somnus soupira et émit un léger rire mêlé de tristesse.

« Tu l'as toujours préféré à moi, n'est-ce pas ? » lui demanda-t-il.

« Je n'ai rien dit la dernière fois parce-que je pouvais comprendre ta réaction mais cette fois, je ne me tairai pas. Je l'ai préféré à toi, autant que tu as préféré Aurore à moi. Tu es mal placé pour me faire la leçon. »

« C'est vrai, tu as raison. Je suppose que j'ai fui comme le lâche que j'étais. J'avais du mal à sortir de l'ombre de mon frère aîné, c'était plus facile d'être avec quelqu'un qui ne me demandait pas d'efforts particuliers et puis, je suis tombé amoureux d'elle avec le temps. J'étais partagé entre mon admiration pour toi et ma jalousie maladive, tu étais le fils modèle, adoré de Père, du peuple et désigné comme le sauveur du monde. Il était naturel aux yeux de tous que tu deviennes le nouveau Roi tant ta présence était solaire. Mais lorsque tu es finalement tombé de ton piédestal, je me suis enfin senti important et utile. »

La voix de Somnus tremblait alors qu'il se confiait, il était mort de peur. La vie de la personne qu'il aimait le plus au monde était entre les mains de l'homme qu'il avait autant idolâtré qu'haï. Ardyn se résigna.

« Très bien, amène-moi Aurore. » céda-t-il.

Le visage de son frère cadet s'illumina par la joie ressentie.

« Merci, Merci Ardyn ! » dit-il en s'inclinant plusieurs fois, témoignant de sa reconnaissance.

Somnus prit rapidement congé pour aller chercher son épouse bien-aimée. Resté seul, l'aîné de la fratrie soupira en secouant doucement la tête.

« Je suis pitoyable… »

Le cadet de la fratrie revint quelques heures plus tard, portant Aurore dans ses bras, presque inconsciente. L'état de cette dernière était assez avancé mais loin d'être le plus grave qu'il avait eu à soigner dans le passé. Néanmoins, Somnus avait dû essayer de trouver une autre solution avant de finir par penser à son frère, s'il était encore désigné ainsi à ses yeux. Angoissé, le Roi s'approcha d'Ardyn et posa délicatement sa femme sur le sol.

« Elle est brûlante de fièvre. » s'inquiéta-t-il.

« Ce sont les premiers symptômes de cette maladie : d'abord les stigmates, les nausées, la toux puis la fièvre, les vomissements, les périodes de sudation ou de frisson, une extrême fatigue et enfin la dernière étape, la transformation daemonique. Le malade perd peu à peu toute raison et commence à montrer des signes d'agressivité pour finir par se transformer complètement. Souvent, j'ai conseillé à leurs proches de les attacher pour éviter d'être blessés. » détailla Ardyn. « Rassure-toi, j'ai guéri des cas bien plus graves. »

L'homme aux cheveux bruns soupira de soulagement et se dirigea vers le prisonnier pour libérer ses deux bras des chaînes le maintenant mais son corps était toujours immobilisé par le reste des entraves. Somnus porta Aurore et l'amena auprès d'Ardyn qui prit sa main dans les siennes. L'aura ténébreuse caractéristique des malades apparut alors et les mains du guérisseur furent également envahies par l'émanation noirâtre. Les yeux clos de la jeune femme bougèrent et elle gémit, semblant aller mieux.

« Cela fonctionne. Ma chérie, tu vas vite te sentir bien, tu vas voir ! » se réjouit son époux.

L'aura s'intensifia alors et une grande quantité de fumée noire passa des mains d'Ardyn à celle d'Aurore, la stupeur s'emparant de ce dernier. Cela ne s'était jamais produit avant, il lâcha la jeune femme sur le champ, envahi par l'incompréhension et la stupéfaction.

« J-je ne c-com…prends pas… » tenta-t-il d'articuler.

Somnus le regarda, étonné.

« C'est déjà terminé ? » demanda-t-il, un sourire commençant à s'afficher sur son visage.

Mais son sourire s'effaça aussitôt. Aurore se réveilla, hurlant et se tordant de douleur comme possédée.

« Aurore ?! » s'écria son mari, inquiet puis jetant un regard noir à Ardyn « Qu'est-ce que tu lui as fait ?! »

« R-rien, j-je... » tenta-t-il d'expliquer puis il réalisa ce qui allait se produire « Eloigne-toi d'elle… »

« Qu'est-ce que tu racontes ? Je ne vais pas… »

Le Roi fut projeté contre le mur de la prison, violemment frappé par Aurore qui était en train de se transformer en daemon. Ses iris devinrent jaune or, son corps mutait, sa peau se déformait et s'arrachait à plusieurs endroits, laissant s'écouler un liquide glaireux noir, mêlé d'hémoglobine. Sa voix cristalline s'était muée en une voix altérée, monstrueuse et son visage était partiellement transformé. Somnus pouvait encore apercevoir le regard de sa femme, déformé par la douleur et l'implorant de mettre fin à son calvaire.

« M-mon a-mour…t-tue…t-tue m-moi… » suppliait-elle.

Ardyn était impuissant et pétrifié devant la tragédie qui se déroulait sous ses yeux, il n'était plus capable de soigner les gens, il accélérait leur transformation. Sans un mot, Somnus se dirigea près du daemon qui était en train de naître et prit la vie de sa femme bien aimée avant qu'elle ne devienne complètement un monstre. Son épée était plantée dans le dos de son épouse défunte et une mare de sang mêlée de ténèbres et de liquide noirâtre se déversait sur le sol de la prison.

« Somnus, je suis dé… »

Mais une épée s'enfonça et transperça sa cuisse gauche l'empêchant de terminer sa phrase puis ressortit de son corps pour se planter ensuite brutalement dans son abdomen, lui faisant cracher du sang par la bouche. Le mouvement vif et violent de l'attaque fit s'activer les chaînes qui pénétrèrent dans sa chair et lui arrachèrent des hurlements de douleur.

« DAAEMOONN ! » hurla son frère en le passant au fil de son épée, les yeux baignés de larmes.

Les yeux du Roi étaient injectés de sang tant sa rage et son désespoir étaient grands. Il n'y avait plus rien devant lui, plus de frère, juste un ennemi à abattre et il se laissa consumer par la haine et la folie. Il s'acharna sur le corps d'Ardyn, le sang giclait à chacune des plaies causées par l'épée de Somnus et ce dernier le frappait également au visage avec son poing libre, alternant les assauts dirigés par sa démence. Il saisit le manche de son arme et effectua une dernière attaque verticale dans le cœur du prisonnier qui était mort d'hémorragie depuis un moment. Il retira son épée maculée du sang de l'exilé et la laissa tomber sur le sol, respirant à tout rompre en regardant le cadavre d'Aurore qui gisait à quelques mètres de lui. Il s'agenouilla à côté d'elle, la prit dans ses bras et caressa son visage pendant plusieurs minutes en lui parlant comme si elle était encore vivante. Un mouvement derrière lui attira alors son attention et il constata stupéfait que le monstre était en train de se redresser difficilement sur ses jambes, supportant de nouveau les assauts des chaînes sur son corps.

« Je t'ai tué, c'est impossible ! » s'exclama Somnus, furieux.

Ardyn était encore traumatisé par le massacre perpétré par son propre frère. Il le fixait, les yeux écarquillés, terrorisé par la violence dont il avait fait preuve à son égard. Il avait ressenti chacun des transpercements de l'épée dans sa chair auquel s'ajoutait l'horrible douleur des chaînes s'enfonçant encore plus profondément à chacun des balancements de son corps, suivant le mouvement des assauts. Il s'était senti mourir, dans un long râle d'agonie, pourquoi était-il encore vivant ? Il devait agir vite, il pouvait encore se servir de son bras libre pour se défendre au cas où Somnus renouvellerait son attaque mais ce dernier fut plus rapide et le tua une nouvelle fois sans aucune pitié, cette fois en un seul coup. Ardyn se réveilla encore, complètement enchaîné cette fois, il était de nouveau totalement vulnérable. Combien de temps s'était-il écoulé ? Il avait mal à la jambe gauche alors qu'il semblait ne plus être blessé, la souffrance était interne et persistait.

Son assassin était assis en tailleur à quelques mètres de lui et ne le quittait pas des yeux, un sourire méprisant s'affichant sur son visage déformé par la haine.

« Je l'admets, tu m'as bien eu daemon. » lança-t-il avec dédain. « J'ai commis une erreur, cela ne se reproduira plus, je te le garantis. » dit-il en se relevant.

« J-je n'étais pas au courant de… »

Ardyn ne put terminer sa phrase car il reçut un puissant coup de genou dans le ventre le privant brièvement d'oxygène. Il toussa plusieurs fois de suite pour essayer de reprendre son souffle, il était pâle et transpirait beaucoup. Il était vain de tenter de raisonner Somnus, ce dernier débordait littéralement de rancœur. De ce fait, le prisonnier s'abstint de tout commentaire, il ne souhaitait pas revivre le supplice d'une mort douloureuse.

« Bien, tu as compris. » reprit le brun. « Je vais maintenant t'expliquer ce qu'il va se passer. Ferme-la et écoute-moi bien. » dit-il avec mépris.

L'homme aux yeux ambrés écoutait à moitié, il essayait de reprendre contenance et de rassembler ses idées. Il avait été sauvagement assassiné par deux fois et il était revenu à la vie, c'était un fait. S'il ne pouvait pas mourir définitivement, était-il immortel ? L'avait-il toujours été ? Non, selon lui, tout était lié à son état daemonique. La maladie qu'il avait absorbée toutes ces années, cette part de ténèbres faisait à présent partie de lui et l'empêchait de rejoindre l'au-delà. Une sorte de torpeur l'envahit. S'il ne mourait pas, combien de temps passerait-il emprisonné ici ? La terreur s'empara de lui à l'idée de demeurer enchaîné pour l'éternité mais ses pensées furent interrompues par l'effroyable réalité quand il reçut un coup de pied au visage.

« Ma chérie, il n'écoute pas, c'est ennuyant ! » s'exclama Somnus en s'adressant au corps sans vie de son épouse. « Ces chaînes sont vraiment pratiques tu ne trouves pas ? »

« Arrête ! » s'écria Ardyn.

En l'entendant lui donner un ordre, le Roi poussa brutalement le prisonnier en décochant un autre coup de pied, puis un second, puis un troisième sur son torse ce qui activa l'effet des chaînes et lui arracha des hurlements de douleur.

« La ferme ! La ferme ! La ferme ! » se déchaînait-il.

Puis subitement, il se calma en se retournant et en voyant le visage de son épouse. Il accourut auprès d'elle, inquiet.

« Aurore, que fais-tu donc par terre ? Tu vas tomber malade, tu n'es pas sérieuse, pense au bébé ! »

Il porta le cadavre de sa femme et s'adressa une dernière fois au prisonnier avant de quitter le cachot d'Angelgard.

« Attends-toi à recevoir de la visite et pas celle que tu crois. Je suis sûr que tu vas adorer. » annonça-t-il avec mépris.

Les jours et les semaines qui suivirent, Ardyn fut torturé sans aucun ménagement par des bourreaux se succédant et ayant reçu l'ordre de trouver comment l'éliminer. Fide eut l'interdiction d'aller le voir. Somnus leur avait laissé une totale liberté dans le choix des méthodes et le prisonnier fut la victime de la perversion humaine dans toute sa splendeur. Ses tortionnaires ne se contentaient pas seulement de le tuer, ils prenaient leur temps et se délectaient de pouvoir assouvir leurs pulsions démentielles sur un corps qui se reconstituait sans cesse et revenait à son état d'origine à chacun de ses décès. L'homme subit donc les pires sévices possibles et inimaginables. Ses bourreaux eurent tout le loisir de créer de nouvelles techniques de torture toutes plus inhumaines et sanglantes les unes que les autres. En parallèle et jusqu'à ce que le Dieu sombre dans le sommeil, il reçut également le foudroiement de Ramuh, exigeant que les criminels se repentent pour leurs crimes.

Seulement, rien ne semblait pouvoir lui offrir le repos éternel. Les ténèbres le ressuscitaient à chaque mort et le condamnaient à souffrir encore et encore pour le plus grand plaisir de ses tortionnaires. Une seule de ces méthodes aurait pu faire basculer n'importe qui dans la démence mais Ardyn refusait de donner la moindre satisfaction à ses oppresseurs et tenait bon.

o-o-o-o

« Votre Majesté, accordez-moi le droit d'honorer mon serment ! » implora Fide.

Chaque jour depuis que Somnus lui avait interdit de retourner à Angelgard, l'homme brun aux yeux verts n'eut de cesse de le supplier de revoir son jugement. Malgré le fait qu'il savait qu'Aurore était morte lors d'une visite à la prison, il ne pouvait pas se résoudre à croire qu'Ardyn l'avait fait de façon délibérée. Il avait dû se passer quelque chose d'inhabituel et il refusait de se contenter de la seule parole de Somnus. Le Roi avait complètement changé de comportement. Il multipliait les conquêtes. C'étaient toutes des femmes blondes aux yeux bleus, comme si le jeune veuf recherchait inlassablement Aurore en elles. En vain. Fide ressentait beaucoup de pitié pour son ami d'enfance.

« Très bien. » avait fini par accepter le Roi.

L'ancien bras droit d'Ardyn s'attendait encore à un refus après des mois de sollicitations.

« Merci, votre Majesté ! »

De l'eau avait probablement coulé sous les ponts, peut-être que Somnus commençait à faire son deuil et à pardonner à son frère. Fide pourrait enfin s'acquitter de sa promesse. Il se rendit en cuisine en fin de journée et demanda aux employés de faire préparer un plat à base de viande d'Anak pour le lendemain midi et de faire en sorte que le met ne se refroidisse pas pendant le trajet jusqu'à Angelgard. Fide n'avait pas vu Ardyn depuis huit mois, cela lui avait paru une éternité et il espérait que son frère de cœur ne lui en veuille pas trop. Il balaya cette pensée sur le champ, son ami n'était pas ce genre d'homme.

Le lendemain, il se rendit donc à la prison, tenant avec soin le repas encore chaud réservé à Ardyn. Le Roi lui avait également ordonné de prendre de quoi le nettoyer car il avait congédié le personnel qui s'occupait de son frère exceptionnellement ce jour-là. Il pénétra dans le cachot, posa le plateau protégé par une cloche dans un coin de la petite pièce ainsi que sa sacoche et éclaira doucement les environs pour éviter d'aveugler son ami. Fide fit le tour de la salle du regard et ressentit comme un malaise. Il y avait d'innombrables traces diverses sur le sol et les murs ainsi qu'une odeur ambiante extrêmement désagréable. Il reconnut la présence de sang séché sur la pierre ainsi que de nombreuses gouttelettes et des traînées brunâtres qui parsemaient l'enceinte de la prison.

« Que s'est-il passé ici ? » se demanda l'homme brun aux yeux verts.

Il s'approcha alors de l'endroit où était détenu Ardyn, quelques mètres plus loin et retint un cri d'horreur. Ce dernier était couvert de sang coagulé ce qui expliquait l'odeur nauséabonde omniprésente dans l'atmosphère. Fide s'approcha pour vérifier s'il n'était pas blessé et constata soulagé que l'homme aux yeux ambrés n'avait aucune blessure. Ses yeux étaient clos, sa respiration lente et régulière, il dormait. L'homme aux yeux verts se dirigea vers sa sacoche qu'il ouvrit et en sortit une éponge. Il s'empara ensuite d'un seau renversé qui se trouvait à proximité et alla le remplir d'eau douce puis retourna auprès d'Ardyn qui somnolait toujours pour commencer à nettoyer sa peau du sang séché qui le recouvrait. Au contact de la mousse, ce dernier se réveilla en sursaut et eut un mouvement de recul instinctif comme s'il appréhendait quelque chose.

« C'est moi Ardyn. » rassura Fide. « Il n'y a que moi aujourd'hui, Somnus m'a autorisé à venir te voir. » lui dit-il en souriant pour l'apaiser.

Il passa l'éponge sur son front puis sur le reste de son visage et nettoya une partie de son torse. Pourquoi y-avait-il autant de sang ici ?

« Qu'est-ce qu'ils t'ont fait ? » le questionna-t-il en serrant les poings.

Mais le prisonnier ne répondit pas, il fixait le vide, le regard terne et la tête baissée.

« Est-ce que tu as faim ? Je t'ai amené ce que tu m'as demandé la dernière fois, j'espère que ça te plaira. » s'exclama le brun aux yeux verts.

Il entendit son ami déglutir. Apparemment, il en avait envie. Fide se leva pour aller chercher le plateau qui avait commencé à refroidir. Il passa sa main au-dessus pour sentir la chaleur et se réjouit, le met était encore tiède. Il coupa la pièce en morceaux, en piqua un gros avec une fourchette et la tendit à Ardyn qui mangea sans hésitation. L'homme aux yeux ambrés n'avait pas goûté à de la nourriture depuis des mois mais il ne pouvait pas oublier le goût de la viande d'Anak.

« Qu'est-ce que c'est ? » demanda-t-il presque dans un murmure.

« Eh bien, ce que tu voulais manger, de la viande d'Anak. » affirma Fide, étonné.

« Je ne sais pas ce que c'est mais ce n'est pas de l'Anak… » poursuivit faiblement Ardyn.

« Je ne comprends pas, j'ai bien demandé cette viande, tout spécialement pour ce jour, aux cuisines. »

« Est-ce bon ? » demanda une voix à l'entrée de la prison.

Fide se retourna vivement et aperçut Somnus dans l'embrasure de l'accès au cachot. Que venait-il faire ici ? Son regard passa entre les deux frères et il fut frappé par la haine qui se lisait dans leurs yeux. Ardyn força sur ses liens, porté par une colère insurmontable. Le resserrement des chaînes ne le faisait même plus réagir tant il avait supporté une douleur plus atroce.

« Tu pourrais me répondre, ce n'est pas très poli ! » s'exclama le cadet avec un faux sourire.

« M'empoisonner ne servira à rien, tes petits amis ont déjà essayé. » dit l'aîné sèchement.

« Hmm je sais bien et c'est vraiment dommage. Peu importe la méthode, tu reviens à chaque fois. »

« De quoi parlez-vous ? » demanda l'homme aux yeux verts qui ne comprenait rien à ce qu'il se passait.

« Oh, ton très cher ami ne t'a encore rien dit ? Je pensais que vous étiez plus proches que ça tous les deux ! Presque comme des frères ! » se moqua Somnus « Il se trouve que cette…chose est incapable de mourir. Pourtant, j'ai demandé aux meilleurs experts en matière de torture, en vain. C'est qu'il est résistant ! »

« T-torture ? » bredouilla Fide, stupéfait.

Tout ce sang, c'était ça ? Le liquide rouge séché sur le sol et les murs, c'était le sang d'Ardyn ? Fide refit le tour de la pièce des yeux et intégra enfin la cruelle réalité.

« T-tu l'as tué combien de fois ? » exigea de savoir ce dernier.

« Trop pour que je m'en souvienne. Hé, vous connaissez la dernière ? Il paraît qu'un des Chocobos a disparu de l'écurie. Je me demande bien où il est…

Les lèvres de Somnus s'étirèrent en un rictus démoniaque. Ardyn regarda le plateau de viande et comprit pendant que Fide se tenait la bouche, écœuré.

« Teioh ! » cria le prisonnier, déchaîné. Il se mit à avoir un haut-le-cœur qui le fit tousser plusieurs fois de dégoût.

« Alors, ça a quel goût un Chocobo Noir ? » interrogea le Roi dont le sourire méprisant ne le quittait pas. « Je serais bien tenté d'essayer pour voir mais bon, j'ai déjà mangé ! C'est vraiment triste que ton premier repas depuis des mois fusse ce pauvre volatile. Tu l'aurais vu, il piaillait tellement que ça m'a presque fait pitié. Quel soulagement de ne plus l'entendre quand ils l'ont achevé ! »

« Arrête Somnus… » prévint Fide. « Tu en as assez fait, ça suffit. »

« Oh non, ce n'est pas suffisant. » contredit le Roi. « D'ailleurs, je songeais à une chose, je te plaindrai presque daemon. Ressens-tu des émotions ou fais-tu juste semblant pour continuer de tromper ton monde ? »

« Quelle question ! »

« C'est vrai ? » demanda le cadet en insistant sur ses mots.

Tout se passa très vite, trop vite. Une épée transperça le corps de Fide qui s'effondra à genoux devant Ardyn, impuissant. Pris d'une rage démentielle, ce dernier oublia les chaînes qui l'entravaient pour tenter de venir en aide à son ami mais la magie de Bahamut subsistait et il ne put qu'hurler à son frère cadet d'abandonner son objectif évident.

« NOOOON ! Pas Fide ! Arrête ! »

Somnus ressortit la lame et saisit violemment les cheveux de Fide pour l'empêcher de tomber au sol. Ce dernier était encore vivant, les yeux écarquillés devant la brutalité de l'attaque, du sang coulait de sa bouche et il essayait d'articuler quelque chose. Il leva son bras en direction d'Ardyn comme s'il souhaitait aller vers lui mais l'épée s'abattit de nouveau sur lui, tranchant son membre qui tomba au sol et laissa une grosse traînée de sang.

« AAAAAHHHHH ! vociférait Ardyn, envahi par la fureur et la tristesse.

Le Roi lâcha le meilleur ami du prisonnier qui s'écroula par terre mais Fide bougeait encore.

« Tu es encore vivant toi ? »

« A-Ar-dy-n… » gémit faiblement l'homme mortellement blessé.

Il rampa lentement vers le prisonnier alors même qu'il se vidait de son sang, son bras valide toujours tendu vers son éternel ami.

« Loyal jusqu'au bout hein, il porte bien son nom celui-là. » ironisa Somnus.

Et la lame se planta dans le dos de Fide, sous les yeux horrifiés de l'homme aux cheveux violets, de la même façon qu'elle avait enlevé la vie d'Aurore. Son visage était figé, ses yeux encore ouverts, n'avaient à aucun instant quitté la direction du prisonnier.

« Excuse-moi, j'aurais plutôt dû dire « portait bien son nom » » corrigea le Roi.

« SOMNUUUUUUS ! » hurla Ardyn, déchaîné, les larmes coulant abondamment sur ses joues « JE VAIS TE TUER ! »

« Mais vas-y je t'en prie. » ricana le cadet. « Tu es vraiment ingrat. Tu devrais plutôt me remercier, vous allez pouvoir passer l'éternité ensemble. Enfin, jusqu'à ce que le Roi Élu apparaisse et te chasse définitivement de ce monde. Jusque-là, profite bien de ta misérable existence daemon, tu n'as plus rien, tu n'es plus rien. Bientôt, ton nom sera effacé de l'Histoire, Ardyn Lucis Caelum n'aura jamais existé. »

« Je te jure que je sortirai d'ici et tu payeras cher pour ce que tu as fait. Je me vengerai de toute ta pitoyable lignée, de tes Dieux et de ton cher Cristal ! »

« Ah ! Que de paroles vaines, monstre. » se moqua Somnus. « Bon, eh bien, ce n'est pas tout ça mais j'ai à faire. Je vous laisse entre amis. Adieu ! »

Il quitta la prison en éclatant d'un rire sardonique laissant Ardyn seul, le cadavre de Fide à moins d'un mètre de lui. Brisé, dévoré par la rancœur et la haine, l'homme aux yeux ambrés passa 2000 ans dans ce cachot morbide, oublié de tous, laissant toutes ses émotions derrière lui et n'existant plus que pour une seule chose : se venger de ceux qui lui avaient tout pris, peu importaient les sacrifices.

1 - Teioh est le nom du Chocobo Noir participant aux courses de rang A+ dans Final Fantasy VII